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Droit des successions

Impossibilité de réclamer un rapport successoral et un recel successoral en dehors d’une instance en partage

Cass. civ. 1ère, 2 sept. 2020 n°19-15.955

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

  • Enseignement n°1 : la demande de rapport et / ou de réduction d’une donation faite à l’encontre d’un donataire doit procéduralement s’inscrire dans une action en comptes, liquidation et partage de la succession du donateur. 
  • Enseignement n°2 : Refus de qualifier de donation-partage les transmissions qui n’organisent pas de partage entre les donataires en laissant subsister une indivision entre eux.

Dans un arrêt du 2 septembre 2020 n°19-15955 – la Cour de cassation est venue réaffirmer une solution désormais classique et connue : la nécessité – à peine d’irrecevabilité – d’inscrire les demandes tendant à obtenir le rapport d’une libéralité et la sanction d’un recel successoral dans le cadre d’une instance en partage. 

Faits de l’espèce

Un père avait réalisé une donation-partage d’un bien immobilier au profit de ses deux fils avant de décéder, chacun devenant propriétaire indivis d’une quote-part du bien. IL sera brièvement rappelé que la Cour de cassation refuse désormais la qualification de donation-partage à ces transmissions qui n’organisent finalement pas de partage. L’un de ses fils et le conjoint survivant renoncent à la succession, tandis que son second fils l’accepte « sous bénéfice d’inventaire » (option désormais dénommée « à concurrence de l’actif net »). 

Suite au décès du père, deux procédures sont initiées (pour être ensuite jointes procéduralement). 

Dans un premier temps, le fils renonçant assigne son frère en partage de l’indivision portant sur le bien immobilier ayant fait l’objet de la donation-partage. 

Dans un second temps, le fils acceptant sous bénéfice d’inventaire assigne à l’inverse son frère afin de le voir condamner à rapporter à la succession de leur père des donations déguisées dont il aurait bénéficié et de faire appliquer les sanctions du recel successoral. Aucune demande en partage des biens figurant dans la succession du père n’est formulée par ce dernier. Il obtient gain de cause devant les juges du fond, qui retiennent l’existence du recel successoral par le fils renonçant.

Le fils renonçant se pourvoit en cassation. Il invoque la violation des articles (dans leur rédaction antérieure à la réforme du 23 juin 2006 applicable au cas d’espèce) :

  • 822 du code civil relatif à l’action en partage ;

« Si le défunt laisse un ou plusieurs descendants mineurs, le maintien de l’indivision peut être demandé soit par le conjoint survivant, soit par tout héritier, soit par le représentant légal des mineurs.

A défaut de descendants mineurs, le maintien de l’indivision ne peut être demandé que par le conjoint survivant et à la condition qu’il ait été, avant le décès, ou soit devenu du fait du décès, copropriétaire de l’entreprise ou des locaux d’habitation ou à usage professionnel.

S’il s’agit d’un local d’habitation, le conjoint doit avoir résidé dans les lieux à l’époque du décès ».

  • 843 du code civil relatif au rapport successoral ;

« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant. »

  • 792 du code civil relatif au recel successoral.

« Les créanciers de la succession déclarent leurs créances en notifiant leur titre au domicile élu de la succession. Ils sont payés dans les conditions prévues à l’article 796. Les créances dont le montant n’est pas encore définitivement fixé sont déclarées à titre provisionnel sur la base d’une évaluation.

Faute de déclaration dans un délai de quinze mois à compter de la publicité prévue à l’article 788, les créances non assorties de sûretés sur les biens de la succession sont éteintes à l’égard de celle-ci. Cette disposition bénéficie également aux cautions et coobligés, ainsi qu’aux personnes ayant consenti une garantie autonome portant sur la créance ainsi éteinte. »

Il soutient dans son pourvoi qu’aucune demande en partage n’ayant été faite par son frère, ses demandes auraient dû être déclarées irrecevables.

Position de la Cour de cassation

Sur la recevabilité du moyen

Le frère renonçant qui s’est pourvu en cassation n’avait pas soutenu devant la Cour d’appel que les Juges ne pouvaient pas se prononcer sur la question du recel successoral et le rapport de la libéralité, dans la mesure où ils n’étaient pas saisis d’une action globale en partage de la succession du père. 

Son frère (acceptant) a donc soulevé l’irrecevabilité de ce moyen invoqué par le frère renonçant pour la première fois devant la Cour de cassation. 

La Cour déclare toutefois la recevabilité de la demande du frère renonçant, s’agissant d’un moyen de pur droit.

Sur le bien-fondé du pourvoi du fils renonçant

De l’application combinée des articles 822, 843 et 792, la Cour de cassation affirme que « les demandes en rapport d’une donation déguisée dont aurait bénéficié un héritier et en application de la sanction du recel successoral ne peuvent être formées qu’à l’occasion d’une instance en partage successoral ». Une telle position avait déjà été précisée par la Haute juridiction dans plusieurs arrêts (en ce sens : Civ. 1ère, 30 janv. 2019, n° 18-11078 ; Civ. 1ère, 6 nov. 2019, n° 18-24332).

Ainsi, la Cour de cassation considère qu’en accueillant les demandes formées par le fils acceptant au titre du rapport des libéralités et des sanctions du recel successoral, la Cour d’appel a violé les dispositions légales.

Discussion

Une demande en partage avait été formulée (dans l’instance jointe) mais uniquement en ce qui concerne le bien indivis objet de la donation-partage. Il aurait pu être considéré que les demandes du frère acceptant étaient formulées à l’occasion de cette instance en partage du bien immobilier indivis du fait de la jonction des instances mais dans la mesure où ce dernier a été sorti du patrimoine du défunt par la donation-partage, il ne pouvait être considéré que cela s’étendait aux biens successoraux.

La Cour de cassation signale ainsi que la demande en partage doit porter sur la succession concernée par les demandes en rapport et les sanctions du recel.  

La demande en partage successoral pouvait également paraître artificielle puisque tous les héritiers ayant renoncé à la succession, à l’exception du demandeur, ils ne se trouvaient pas dans une situation d’indivision. L’héritier receleur étant privé de ses droits dans les biens recelés, l’ensemble de ces biens aurait dû revenir à son cohéritier, comme s’il n’y avait jamais eu d’indivision

C’est oublier la sanction du recel qui consiste à réputer l’auteur du recel acceptant pur et simple de la succession, conduisant ainsi à créer une indivision entre l’auteur du recel et l’autre héritier. Dans ces conditions, l’héritier victime du recel aurait dû solliciter le partage de l’indivision successorale ayant résulté de l’acceptation forcée de la succession par le receleur. 

La sanction aurait d’ailleurs été d’autant plus lourde qu’il existait vraisemblablement un passif successoral important en l’espèce (expliquant probablement que le conjoint survivant et l’un des enfants aient renoncé à la succession).

Devant la cour d’appel de renvoi, l’héritier acceptant devra ainsi solliciter le partage des biens dont le rapport est demandé. Une telle demande ne saurait être irrecevable – même formulée pour la première fois en appel devant la cour de renvoi – dès lors qu’elle est, au sens de l’article 566 du code de procédure civile, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes en rapport et en sanction du recel successoral, formulées en première instance. 

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