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Droit des successions

La clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie prévoyant « mes héritiers »

Cass. civ. 1ère, 30 sept. 2020, n°19-11.187

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

Les légataires universels ou légataires à titre universel sont des héritiers institués et il appartient aux juges du fond d’établir leur identité.

Rappel des faits et de la procédure

Vocations successorales

Une mère de deux enfants rédige un testament olographe dans lequel elle institue :

  • sa fille en qualité de légataire de la moitié de la quotité disponible ;
  • et sa petite-fille, fille de son fils, légataire de l’autre moitié. 

En retenant cette organisation, la testatrice a réalisé un legs à titre universel, conformément à l’article 1010 du Code civil. En effet, elle lègue quote-part des biens dont la loi lui permet de disposer (en l’espèce une partie de la quotité disponible). Ce type de legs ne vise pas des biens déterminés mais une quotité indéterminée de biens. 

« Le legs à titre universel est celui par lequel le testateur lègue une quote-part des biens dont la loi lui permet de disposer, telle qu’une moitié, un tiers, ou tous ses immeubles, ou tout son mobilier, ou une quotité fixe de tous ses immeubles ou de tout son mobilier. »

Rappelons qu’en présence de deux enfants (vivants ou représentés), la quotité disponible correspond à 1/3 de l’actif net de la succession.

Par conséquent, les droits de chacun des héritiers sont les suivants : 

  • fille : la moitié de la succession (1/3 de réserve particulière (soit 4/12) + la moitié de la quotité disponible d’1/3 (soit 2/12),
  • fils : 1/3 de la succession, sa réserve (soit 4/12),
  • petite-fille : 1/6 de la succession, la moitié de la quotité disponible (soit 2/12).

Modification de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie

La testatrice est ensuite placée sous le régime de la tutelle, sa fille étant désignée comme tutrice. 

Sur autorisation du Juge des tutelles (devenu depuis le 1er janvier 2020 le Juge des contentieux et de la protection), la fille tutrice souscrit au nom de sa mère un contrat d’assurance-vie dont la clause bénéficiaire indique « mes héritiers ». 

Au décès de la majeure protégée, la compagnie d’assurance décide de verser les capitaux décès en fonction des droits de chacun des co-héritiers visés par le testament de la défunte selon les quotes-parts décrites ci-dessus.

Le fils émet une contestation, estimant que sa fille, légataire à titre universel, ne saurait être assimilée à un héritier.

Cette affaire nous conduit à nous poser la question suivante : le légataire à titre universel peut-il être considéré comme un « héritier » et donc faire partie des bénéficiaires du contrat d’assurance-vie ?

Position de l’appelant et réponse de la cour d’appel

Le fils considère que seul un légataire universel (et non « à titre universel ») aurait pu être considéré comme un bénéficiaire du contrat d’assurance-vie :

« en retenant, pour juger que la société Predica avait pu valablement verser un sixième de la valeur de l’assurance à Mme B…  N… , petite-fille de la défunte et légataire à titre universel, que le terme d’ héritiers « présent dans la clause bénéficiaire devait s’entendre des héritiers légaux et testamentaires », quand un légataire à titre universel ne saurait être assimilé à un héritier, la cour d’appel a violé les articles 724 et 731 du code civil, ensemble les articles 1003 et 1010 du même code ».

La cour d’appel rejette son argumentaire, ce qui conduit le fils de la défunte à former un pourvoi en cassation.

Position de la Cour de cassation

La Cour de cassation rejette le pourvoi :

« Réponse de la Cour

4. Selon l’article L. 132-8 du code des assurances, le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l’assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés. Est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la désignation comme bénéficiaires des héritiers ou ayants droit de l’assuré. Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires et conservent ce droit en cas de renonciation à la succession.

5. Pour identifier le bénéficiaire désigné sous le terme d’« héritier », qui peut s’entendre d’un légataire à titre universel, il appartient aux juges du fond d’interpréter souverainement la volonté du souscripteur, en prenant en considération, le cas échéant, son testament.

6. Après avoir relevé que G…  K…  avait, par testament olographe désignant ses héritiers et précisant la part revenant à chacun d’eux, formalisé ses volontés avant son placement en tutelle et la souscription en son nom du contrat d’assurance sur la vie, et souverainement apprécié la volonté de la défunte, la cour d’appel a pu en déduire que le capital garanti devait être réparti entre les héritiers légaux et les légataires à titre universel de G…  K… .

7. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ; »

Il convient en premier lieu de souligner qu’aux termes de l’article L. 132-8 du Code des assurances, le capital ou la rente garantis sont payables lors du décès de l’assuré à un ou plusieurs bénéficiaires « déterminés ». La Haute juridiction considère dans ce cadre que la désignation des « héritiers » ou « ayants droits » de l’assuré répond à cette exigence.

«  Le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l’assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés.

Est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la stipulation par laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies dans cette stipulation pour pouvoir être identifiées au moment de l’exigibilité du capital ou de la rente garantis.

Est notamment considérée comme remplissant cette condition la désignation comme bénéficiaires des personnes suivantes :

-les enfants nés ou à naître du contractant, de l’assuré ou de toute autre personne désignée ;

-les héritiers ou ayants droit de l’assuré ou d’un bénéficiaire prédécédé.

L’assurance faite au profit du conjoint profite à la personne qui a cette qualité au moment de l’exigibilité.

Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires. Ils conservent ce droit en cas de renonciation à la succession.

En l’absence de désignation d’un bénéficiaire dans la police ou à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu’avec l’accord de l’assuré, lorsque celui-ci n’est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du code civil, soit par voie testamentaire.

Lorsque l’assureur est informé du décès de l’assuré, l’assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire, et, si cette recherche aboutit, de l’aviser de la stipulation effectuée à son profit. »

En deuxième lieu, rappelons que les « héritiers » du titulaire du contrat ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires et conservent ce droit en cas de renonciation à la succession (article L 132-8 du Code des assurances).

«  Le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l’assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés.

Est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la stipulation par laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies dans cette stipulation pour pouvoir être identifiées au moment de l’exigibilité du capital ou de la rente garantis.

Est notamment considérée comme remplissant cette condition la désignation comme bénéficiaires des personnes suivantes :

-les enfants nés ou à naître du contractant, de l’assuré ou de toute autre personne désignée ;

-les héritiers ou ayants droit de l’assuré ou d’un bénéficiaire prédécédé.

L’assurance faite au profit du conjoint profite à la personne qui a cette qualité au moment de l’exigibilité.

Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires. Ils conservent ce droit en cas de renonciation à la succession.

En l’absence de désignation d’un bénéficiaire dans la police ou à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu’avec l’accord de l’assuré, lorsque celui-ci n’est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du code civil, soit par voie testamentaire.

Lorsque l’assureur est informé du décès de l’assuré, l’assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire, et, si cette recherche aboutit, de l’aviser de la stipulation effectuée à son profit. »

Sur la base de ces postulats, la Cour de Cassation conclut que, pour identifier le bénéficiaire désigné sous le terme d’ « héritier », il appartient aux juges du fond d’interpréter souverainement la volonté du souscripteur, en prenant en considération, le cas échéant, son testament.

En l’espèce, le de cujus avait, en désignant par testament olographe ses héritiers et en précisant la part revenant à chacun d’eux, formalisé ses volontés avant la mise en place de la mesure de tutelle et la souscription du contrat d’assurance-vie.

Selon la Haute juridiction, les juges du fond ont apprécié souverainement la volonté du de cujus et en ont conclu que le capital devait être réparti entre ses héritiers légaux et ses légataires à titre universel.

Un point mérite une attention particulière : le demandeur au pourvoi en cassation a invoqué l’autorisation donnée par le Juge des tutelles à fin d’adopter la clause bénéficiaire « mes héritiers ». Il en retirait que cette définition devait être interprétée strictement puisqu’elle avait été édictée par le juge des tutelles et qu’il s’agissait uniquement de désigner les successeurs désignés par la loi. 

La Cour de cassation rejette cet argument en estimant que, quand bien même le Juge des tutelles a autorisé la souscription de l’assurance-vie au bénéfice « des héritiers », c’est la volonté du souscripteur qui doit être analysée, pas celle du juge.

Les juges du fond doivent donc s’affranchir de la définition légale du terme « héritier » pour déterminer l’identité des personnes que le défunt a voulu désigner en tant que bénéficiaire dans son contrat d’assurance-vie.

Une confirmation de la jurisprudence de la Cour de cassation

Cet arrêt vient confirmer une jurisprudence ancrée de la Cour de cassation. 

La Cour de cassation avait déjà pu énoncer cette solution notamment dans deux arrêts de principe :

  • Cass. civ. 2ème, 14 déc. 2017 (n° 16-27.206) :  pour identifier le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie dont la clause désigne « mes héritiers », les juges du fond doivent rechercher et analyser la volonté du souscripteur « sans s’attacher exclusivement ni à l’acceptation du terme héritier dans le langage courant ni à la définition de ce terme en droit des successions ». Dans cette affaire, il s’agissait d’un légataire universel qui avait été pris en considération dans la liste des bénéficiaires du contrat d’assurance-vie.
  • Cass. civ. 1ère, 19 septembre 2018 (n° 17-23.568) : la Cour de cassation censure ici les juges du fond qui ont, eu égard au fait que le contrat d’assurance-vie se règle hors succession, refusé de prendre en compte le legs de la quotité disponible à un des héritiers et  pour répartir les capitaux sur la base de leurs droits déterminés par les dispositions testamentaires.

Une définition du terme « héritier » extensive comparé à la définition juridique

Le principal apport de cet arrêt est la possibilité édictée par la Cour de cassation de s’affranchir  de la définition juridique d’héritier afin de déterminer les bénéficiaires des contrats d’assurance-vie lorsque le souscripteur a désigné « mes héritiers ».

Cette définition juridique est en effet plus stricte dans le cadre du règlement d’une succession puisque sont visées par cette expression, en l’absence de testament, les héritiers ab intestat.

L’article 734 du Code civil prévoit différents ordres d’héritiers : 

« En l’absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu’il suit :

1° Les enfants et leurs descendants ;

2° Les père et mère ; les frères et sœurs et les descendants de ces derniers ;

3° Les ascendants autres que les père et mère ;

4° Les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers.

Chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d’héritiers qui exclut les suivants. »

Dans le cadre du règlement d’une succession, il convient de rappeler que la qualité d’héritier se prouve par tous moyens, et notamment par la production d’un acte de notoriété dressé par le Notaire en charge de la succession lorsque des biens ou des droits immobiliers font partie du patrimoine successoral.

Cette définition légale restrictive de la qualité d’héritier s’explique par le fait que ces derniers jouissent de droits mais aussi de devoirs.

Tout d’abord, conformément à l’article 921 du Code civil, l’action en réduction, destinée à protéger la part qui est réservée aux héritiers réservataires au sein de la succession (nommée « réserve ») ne peut être introduite que par les héritiers réservataires ou leurs ayants droit

« La réduction des dispositions entre vifs ne pourra être demandée que par ceux au profit desquels la loi fait la réserve, par leurs héritiers ou ayants cause : les donataires, les légataires, ni les créanciers du défunt ne pourront demander cette réduction, ni en profiter. 

Le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès ».

De plus, l’article 843 du Code civil énonce que les héritiers doivent rapporter à la succession les libéralités qu’il a reçues de la part du défunt :

« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ».

Cet arrêt rappelle la nécessité de désigner avec précision et avec l’aide d’un avocat spécialisé ou d’un notaire, les bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie, afin d’éviter d’avoir à rechercher la volonté du souscripteur dans le cadre d’une procédure qui peut s’avérer longue et coûteuse.

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