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Droit de la famille

Divorce - L’absence d’incidence de la liquidation du régime matrimonial de communauté sur la prestation compensatoire

Cass. civ. 1ère, 21 sept. 2022, n°21-12.344

Divorce – Séparation de corps, Liquidation et partage de régime matrimonial

Enseignement de l'arrêt

Dans le cadre d’un divorce d’époux soumis au régime de communauté, la Cour de cassation affirme qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de la part de la communauté devant revenir à chaque époux pour apprécier la disparité créée par la rupture du lien conjugal. Une appréciation déjà formalisée par le passé et sujette à controverse.

La prestation compensatoire

Le divorce met fin au devoir de secours et à la contribution aux charges du mariage, de sorte que les époux n’ont plus de devoir d’entraide matérielle réciproque. 

Pour autant, le divorce peut avoir pour effet de créer un déséquilibre entre les conditions de vie des époux. 

Le code civil prévoit le mécanisme de la prestation compensatoire qui permet justement de rééquilibrer la situation matérielle des ex-époux après le prononcé du divorce.

Définition

La prestation compensatoire est définie à l’article 270 du code civil.

« Le divorce met fin au devoir de secours entre époux.

L’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge.

Toutefois, le juge peut refuser d’accorder une telle prestation si l’équité le commande, soit en considération des critères prévus à l’article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture ».

Ainsi, l’époux qui se retrouve confronté à une chute de son niveau de vie peut demander le versement d’une prestation compensatoire destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives.

En d’autres termes, il s’agit généralement d’une somme versée à un des époux à l’issue du prononcé du divorce dans l’objectif de permettre à l’autre époux de rebondir suite à la perte de niveau de vie due à la cessation de la mutualisation des moyens du mariage en cas de divorce.

La détermination de cette prestation compensatoire constitue toutefois un exercice périlleux…

Les critères de détermination de la prestation compensatoire

Le juge doit prendre en compte les besoins de l’époux à qui elle est versée (créancier) et les ressources de l’autre (débiteur) (Code civil, article 271 alinéa 1er). 

La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

A cet effet, le juge prend en considération notamment :

– la durée du mariage ;

– l’âge et l’état de santé des époux ;

– leur qualification et leur situation professionnelles ;

– les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;

– le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial;

– leurs droits existants et prévisibles ;

– leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.

L’article 271 alinéa 2 du Code civil dresse ensuite une liste des critères que le juge peut prendre en compte à ce titre.

La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

A cet effet, le juge prend en considération notamment :

– la durée du mariage ;

– l’âge et l’état de santé des époux ;

– leur qualification et leur situation professionnelles ;

– les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;

– le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial;

– leurs droits existants et prévisibles ;

– leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.

Toutefois, cette liste n’est pas exhaustive de sorte que le juge peut être amené à préciser s’il faut ou non prendre en considération tels ou tels éléments.

La Cour de cassation s’est récemment de nouveau prononcée sur les critères d’appréciation de la prestation compensatoire et notamment sur l’incidence de la liquidation du régime matrimonial.

Elle a confirmé sa position selon laquelle la prestation compensatoire s’apprécie sans tenir compte de la liquidation du régime matrimonial des époux puisqu’elle serait égalitaire.

Apport de l’arrêt

Faits de l’espèce

Deux époux mariés en 1974 sans contrat de mariage divorce par jugement du 9 juin 2016 qui a notamment :

  • ordonné la liquidation du régime matrimonial des époux (soumis au régime de la communauté),
  • condamné l’époux à régler la somme de 150.000 € à son épouse au titre de la prestation compensatoire.

Par arrêt du 28 février 2018, la Cour d’appel de Besançon confirme le principe de la prestation compensatoire et fixe le montant à 250.000 €.

L’époux se pourvoit en cassation.

Dans un premier arrêt en date du 3 octobre 2019 (RG n°18-18.574), la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel sur les dispositions relatives au montant de la prestation compensatoire.

Sur renvoi, par arrêt du 10 novembre 2020, la Cour d’appel de Besançon, après avoir détaillée la patrimoine commun des époux (un appartement évalué à 120.000 €, un local commercial évalué à 260.000 €, le « relais Marrakech » évalué selon l’époux à 500.000 € et selon l’épouse à 3.834.160 €) fixe la prestation compensatoire à 200.000 € en considérant qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte de la liquidation égalitaire du régime matrimonial des époux pour fixer ce montant de prestation compensatoire.

L’époux a formé un second pourvoi.

Il reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché « si la liquidation du patrimoine commun n’était pas de nature à réduire sensiblement les besoins » de l’épouse créancière de la prestation compensatoire.

La Cour de cassation était donc de nouveau saisie de l’incidence de la liquidation future du régime matrimonial des époux sur la fixation du montant de la prestation compensatoire.

Décisions antérieures

La cour de cassation a déjà été saisi de cette question et a considéré que la liquidation du régime matrimonial des époux étant par définition égalitaire, la cour d’appel qui a jugé qu’il n’y avait donc pas lieu de tenir compte de la part de communauté devant revenir à l’épouse pour apprécier la disparité créée par la rupture du lien conjugal dans les situations respectives des époux, a légalement justifié sa décision (Civ. 1re, 1er juill. 2009, n° 08-18.486, Civ. 2e, 24 mai 1991, n° 90-12.224, 20 mars 1996, n° 94-16.594).

Décision de la Cour de cassation

Par un arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi sur le sujet de la prestation compensatoire.

La Cour de cassation a repris sa motivation habituelle :

« 6. Sous le couvert d’un grief non fondé de manque de base légale au regard de l’article 271 du code civil, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, le pouvoir souverain d’appréciation de la cour d’appel qui, après avoir retenu à bon droit que, la liquidation du régime matrimonial des époux étant par définition égalitaire, il n’y avait pas lieu de tenir compte de la part de communauté devant revenir à Mme [U] pour apprécier la disparité créée par la rupture du lien conjugal dans les situations respectives des époux, a pris en considération l’ensemble des éléments qui lui était soumis pour fixer le montant de la prestation compensatoire

7. Il ne peut donc être accueilli. »

Critiques de l’arrêt

On peut évidemment voir un avantage à la position de la Cour de cassation : en se passant de la liquidation de la communauté, le juge du divorce pourra prononcer immédiatement la prestation compensatoire. Il n’a pas à envisager de surseoir à statuer en attendant la liquidation et le partage du régime matrimonial ni à le réaliser lui-même.

Les inconvénients de la position de la Cour de cassation semblent cependant nombreux. 

D’abord, même en présence d’une liquidation communautaire exactement égalitaire, on peut raisonnablement soutenir que la perception des fonds par l’un et l’autre des époux peut permettre de concourir au moins partiellement au niveau de vie des époux, notamment lorsque celui-ci n’était pas précédemment nourri par certains des actifs de la communauté. Imaginons le cas d’un propriétaire agricole dont la propriété ne générait que peu de revenus mais dont la vente de la propriété crée d’importantes liquidités. Cet apport de trésorerie à diviser entre époux lors du divorce permettra de financer un niveau de vie équivalent au temps de la vie commune, rendant inutile l’octroi d’une prestation compensatoire.

La position de la Cour de cassation s’explique encore moins en présence de récompenses ou créances entre époux.

Affirmer que les époux ont par principe les mêmes droits dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial de la communauté est un raccourci coupable. Dans tout partage de communauté, le juge devra apprécier la part exacte revenant à chaque époux pour apprécier la disparité créée par la rupture du lien conjugal dans les situations respectives des époux.

En outre, cette position est également critiquable en application du texte même de l’article 271 du Code civil qui prévoit l’appréciation réelle et pragmatique des besoins et ressources de chacun des époux.

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