Jurisprudences
Retrait d’un associé d’une GAEC et dissolution par extinction de l’objet social
Cass. com., 20 nov. 2012, n°10-25.081
Patrimoine - Fiscalité
Enseignement de l'arrêt
Absence de dissolution pour extinction de l’objet social d’une GAEC dont l’un des associés a perdu cette qualité.
Rappel du contexte légal
Causes de dissolution légale des société civiles
Les causes de dissolution des sociétés civiles sont énoncées par l’article 1844-7 du code civil qui dispose que la société prend fin :
« 1° Par l’expiration du temps pour lequel elle a été constituée, sauf prorogation effectuée conformément à l’article 1844-6 ;
2° Par la réalisation ou l’extinction de son objet ;
3° Par l’annulation du contrat de société ;
4° Par la dissolution anticipée décidée par les associés ;
5° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ;
6° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal dans le cas prévu à l’article 1844-5 ;
7° Par l’effet d’un jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ;
8° Pour toute autre cause prévue par les statuts ».
Fonctionnement des GAEC
L’affaire portée devant les tribunaux concernait la dissolution d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) pour extinction de son objet.
L’article L.323-3 du code rural et de la pêche maritime dispose que : « Les groupements agricoles d’exploitation en commun ont pour objet de permettre la réalisation d’un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations de caractère familial ».
Le GAEC est aussi une société d’exploitants :
- chaque associé a l’obligation d’y travailler ;
- et la société a un caractère égalitaire dans les responsabilités de l’exploitation (article R. 323-31 du Code rural).
Il en résulte une société à fort intuitu personae.
Pour être effectivement un GAEC, un groupement doit établir qu’il est conforme par son objet et ses statuts aux caractéristiques posées par la loi pour cette structure, et il doit être reconnu comme tel par un comité d’agrément. Cette formalité se justifie par le fait que le législateur a fait des GAEC un outil de sa politique agricole, qu’il leur a conféré différents avantages, ce qui amène à contrôler que le groupement s’inscrit effectivement dans la mise en œuvre de la politique poursuivie.
Rappel des faits
En 1994, deux frères décident de constituer un groupement agricole d’exploitation en commun ayant pour objet l’activité agricole et plus particulièrement l’activité laitière.
L’un d’entre eux, souhaitant se retirer de la société, cède à son frère ses parts sociales ainsi que deux parcelles de terres. Le prix de vente n’ayant pas été payé, une première procédure est engagée par le cédant aux termes de laquelle la cession est déclarée parfaite.
En 2007, le cédant assigne son frère et la société pour faire constater la dissolution du groupement pour extinction de son objet social ainsi que la résolution de la vente des deux parcelles de terre pour non paiement du prix.
La cour d’appel de Pau accueille cette demande en retenant que le travail en commun ne constitue pas un moyen de mise en œuvre de l’objet social mais bien, du fait des dispositions de la loi, l’objet même du GAEC. Dès lors, la disparition du travail en commun par la réunion de toutes les parts en une seule main, entraîne la disparition de l’objet social.
L’associé unique du GAEC se pourvoit en cassation, prétendant que rien n’empêchait le GAEC de se doter d’un deuxième associé, de sorte qu’il ne pouvait être affirmé que l’objet social ne retrouverait pas ultérieurement toute sa vigueur.
La Cour de cassation casse effectivement l’arrêt d’appel pour violation de l’article 1844-7, 2° du Code civil, après avoir constaté que « la perte de sa qualité d’associé par M. Y ne faisait pas par elle-même obstacle à ce que l’activité constituant l’objet du GAEC fût réalisée par le travail en commun de plusieurs associés, de sorte qu’elle n’avait pas pour conséquence l’extinction de cet objet et n’impliquait donc pas la dissolution de la société ».
Apport de l’arrêt
Sur l’objet de la société
La solution ainsi adoptée traduit la volonté de la Cour de cassation de privilégier la survie de la société. Elle est dans la droite ligne de celle qui a été retenue à l’égard des sociétés civiles de moyens.
Celles-ci « ont pour objet exclusif de faciliter à chacun de leurs membres l’exercice de son activité. À cet effet, les associés mettent en commun les moyens utiles à l’exercice de leurs professions, sans que la société puisse elle-même exercer celle-ci ».
La Cour de cassation avait ainsi déjà précisé que la cessation d’activité de l’un des membres de la SCM n’a pas pour conséquence l’extinction de son objet social. (Cass. com., 15 sept. 2009, n° 08-15.267)
L’extinction de l’objet implique que sa réalisation soit devenue définitive. La réalisation d’un travail en commun ou la mise de moyens en commun ressortissent plus des modalités d’accomplissement d’une activité que de la définition de celle-ci. Ce qui importe, c’est l’objectif. Si tant est que la pluralité d’associés fasse partie de l’objet social, on doit admettre qu’elle peut être aisément rétablie par une rétrocession de droits sociaux ou par une augmentation de capital. Il n’y a là nulle impossibilité définitive à laquelle se heurterait la réalisation de l’objet social. La société demeure une « structure d’accueil » pour de nouveaux associés.
Sur la reconnaissance du GAEC par le comité départemental ou régional
Rappelons tout d’abord que cette reconnaissance est l’une des deux conditions posées par l’article L. 323-11 du code rural à l’attribution de la personnalité morale de la société civile.
L’article L. 323-12, alinéa 1 du Code rural et de la pêche maritime, dispose que « les sociétés qui, par suite d’une modification de leur objet, de leurs statuts ou du fait des conditions de leur fonctionnement ne peuvent être regardées comme des groupements agricoles d’exploitation en commun, au sens du présent chapitre et des textes pris pour son application, encourent le retrait de la reconnaissance qu’elles ont obtenue ».
La cour de Pau a considéré que l’attribution ou le maintien de la personnalité morale des GAEC étaient subordonnés non seulement à la reconnaissance administrative, mais également au respect de l’ensemble des autres dispositions du chapitre réglant le régime des GAEC et particulièrement celles relatives à leur objet.
La Cour de cassation ramène la spécificité des règles des articles L. 323-11 et L. 323-12 du Code rural et de la pêche maritime dans ses exactes limites. La personnalité morale des GAEC n’est liée ni à leur reconnaissance administrative ni au respect des règles qui leur sont propres. Les GAEC sont des sociétés civiles à statut particulier. Ils peuvent s’écarter de ce statut particulier : dans ce cas, ils s’exposent à perdre leur reconnaissance administrative, mais ils peuvent néanmoins demeurer des sociétés civiles tout à fait valables. Il serait tout-à-fait inapproprié de prétendre qu’un GAEC qui ne satisferait plus aux dispositions spécifiques qui le qualifient devrait être dissous. Derrière le GAEC, il y a une société civile qui peut poursuivre son existence.