Jurisprudences
Famille - Faux en écriture entre époux et éventualité du préjudice
Cass. crim., 19 oct. 2022, F-D, n° 21-84.468
Unions (mariage / pacs / concubinage), Protection des majeurs (tutelle – curatelle – sauvegarde)
Enseignement de l'arrêt
Malgré l’absence de stratagème, l’imitation de la signature de l’époux incapable de donner son consentement constitue un faux, dans la mesure où la contraction d’un emprunt est de nature à causer à la victime un préjudice éventuel.
Rappel des faits et de la procédure
En avril 2009, une femme est victime d’un accident de la circulation, qui la plonge dans un profond coma pendant plusieurs mois. Elle est hospitalisée jusqu’en janvier 2012.
En mars 2012, son époux souscrit au nom du couple un contrat de prêt de rachat de crédit d’un montant de 74 000 euros et un contrat de prêt pour travaux d’un montant de 81 000 euros afin notamment d’adapter la maison à la nouvelle situation de handicap de son époux. À cette fin, il imite la signature de son épouse.
Dans des circonstances qui ne sont pas rapportées par l’arrêt, l’épouse porte plainte et se constitue partie civile des chefs de faux, usage de faux et abus de faiblesse.
Une information judiciaire est ouverte et l’époux est mis en examen.
Par ordonnance du 11 décembre 2020, le juge d’instruction prononce un non-lieu.
L’épouse, représentée par son tuteur, ainsi que ses parents, également parties civiles, relèvent appel de cette ordonnance.
Par un arrêt du 7 juillet 2021, la Cour d’appel de Nîmes confirme l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction, considérant que même si les séquelles physiques et psychologiques irréversibles de l’accident survenu en 2009 empêchaient l’épouse de donner valablement son consentement et, bien que la commission de l’élément matériel du faux était avérée et reconnue (l’époux ayant admis avoir signé les offres de prêt en lieu et place de son épouse), les prêts n’avaient pas été préjudiciables à l’épouse. La Cour relève notamment que les fonds empruntés au moyen du prêt « travaux » avaient été effectivement affectés à la réalisation de travaux afin de répondre à son lourd handicap.
L’épouse, représentée par son tuteur, forme un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes, fondant son argumentation sur l’article 441-1 du Code pénal.
« Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques.
Le faux et l’usage de faux sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».
Analyse
Rappel du droit positif
En matière de faux, un risque de préjudice suffit à faire basculer la falsification matérielle vers le domaine pénal : en relevant que les prêts n’avaient pas été préjudiciables à l’épouse.
L’existence d’un tel risque s’apprécie à la date à laquelle la pièce a été contrefaite ou altérée.
Enseignement de l’arrêt
La décision commentée considère qu’il est nécessairement préjudiciable à la victime le fait d’apposer faussement sa signature sur une offre de prêt bancaire ; un tel engagement l’exposant, d’une part, au paiement d’intérêts au profit du créancier, et d’autre part, à un risque de poursuites judiciaires à défaut de remboursement de cet emprunt.
Ainsi, en relevant que les prêts n’avaient pas été préjudiciables à l’épouse, la chambre de l’instruction a violé l’article 441-1 du code pénal.
Les circonstances suivantes, relevées par les juges du fond, sont parfaitement indifférentes :
- les prêts souscrits ne résultent pas d’un stratagème mis en place par l’époux,
- l’un des prêts a été contracté dans le but de financer les travaux du domicile, rendus nécessaires par le lourd handicap de son épouse à sa sortie de l’hôpital afin qu’elle retrouve une certaine autonomie,
- il n’est pas démontré que le prêt destiné au rachat des autres crédits contractés par le mis en examen durant l’hospitalisation de la partie civile, ait été utilisé à d’autres fins ni que, pendant l’hospitalisation de son épouse, l’époux ait dilapidé son patrimoine ni qu’il ait engagé les deniers du couple, commun en biens, de manière disproportionnée et préjudiciable à l’épouse ou en mettant en péril l’équilibre financier du foyer.
En conclusion, en matière de faux en écriture, la simple possibilité du préjudice résultant de l’altération de la vérité suffit pour que l’infraction pénale soit consommée.
Peu importe l’absence de résultat dommageable du faux, l’absence de stratagème, voire la bonne volonté du falsificateur. Aussi, le fait pour un époux d’imiter la signature de son conjoint dans l’intérêt de ce dernier ou pour les besoins du ménage ne permette d’écarter le faux et l’application de la loi pénale.
La falsification de la signature était intrinsèquement un danger. L’époux, empêché de consentir un prêt commun du fait de l’altération des facultés de son conjoint, doit préférer le recours à l’autorisation judiciaire de l’article 217 du code civil ou la représentation judiciaire de l’article 219 du code civil, en vue d’obtenir une extension de ses droits.
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