Jurisprudences
Succession de l’artiste : dévolution des droits patrimoniaux et des droits moraux
Lois réglementant la succession d'un artiste
Liquidation et partage de successions, Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières, Anticipations de successions, Patrimoine - Fiscalité
Enseignement de l'arrêt
- Le conjoint survivant bénéficie, nonobstant ses autres droits légaux dans la succession, de l’usufruit du droit d’exploitation dont l’auteur n’aura pas disposé.
- Les droits moraux, que sont le droit de paternité et le droit au respect de l’œuvre respectent les règles de dévolution légale, tandis qu’une dévolution spécifique est prévue à l’article L121-2 du code de la propriété intellectuelle pour le droit de divulgation.
La distinction entre les droits patrimoniaux et les droits moraux
Si les droits patrimoniaux et les droits moraux ne connaissent pas le même régime successoral, c’est d’abord parce qu’ils sont constitués de droits très différents. Il convient donc de commencer par distinguer les droits que contenus dans la notion de « droits patrimoniaux » et ceux contenus dans la notion de « droits moraux ».
Définition des droits patrimoniaux
La particularité des droits patrimoniaux vis-à-vis des droits moraux est qu’ils sont valorisables et qu’ils prennent fin 70 ans après la mort de l’auteur.
Ils sont constitués de trois droits distincts :
Le droit de représentation
Comme son nom l’indique, le droit de représentation permet à l’auteur d’une œuvre d’autoriser ou d’interdire la communication de son œuvre au public. Il est précisément défini par l’article 122-2 du code de la propriété intellectuelle :
« La représentation consiste dans la communication de l’oeuvre au public par un procédé quelconque, et notamment :
1° Par récitation publique, exécution lyrique, représentation dramatique, présentation publique, projection publique et transmission dans un lieu public de l’oeuvre télédiffusée ;
2° Par télédiffusion.
La télédiffusion s’entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d’images, de documents, de données et de messages de toute nature.
Est assimilée à une représentation l’émission d’une œuvre vers un satellite. »
Le droit de reproduction
Il s’agit du droit pour l’auteur de l’œuvre de la fixer matériellement sur tout support permettant de la communiquer au public. L’article 122-3 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle donne une liste non exhaustive des différents modes de reproduction possible :
« Elle peut s’effectuer notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique ou magnétique. »
Le droit de suite
Ce droit ne concerne pas toutes les œuvres, il est spécifique aux œuvres graphiques et plastiques. Il permet à l’auteur de toucher un pourcentage du prix de chaque revente de l’œuvre par un professionnel du marché de l’art.
Ce droit se distingue des deux autres droits patrimoniaux en ce qu’il ne permet pas à l’auteur d’autoriser ou d’interdire, mais prévoit uniquement une rémunération de ce dernier.
Définition des droits moraux
A la différence des droits patrimoniaux, les droits moraux n’ont pas de valeur vénale, ils poursuivent uniquement l’objectif de protéger la personnalité de l’auteur de l’œuvre, c’est pour cela qu’ils sont perpétuels.
Ils sont au nombre de quatre :
Droit de divulgation
Il s’agit pour l’auteur d’être le seul à pouvoir décider si oui ou non son œuvre doit être montrée au public et dans quelle condition.
Droit de paternité et droit au respect de l’œuvre
Le droit de paternité permet à l’auteur d’exiger que son nom et sa qualité d’auteur soient indiqués sur tous les modes de publication de son œuvre. Il est garanti par l’article 121-1 alinéa 1er du code de la propriété intellectuelle qui garantit également le droit au respect de l’œuvre :
« L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre »
Le droit au respect de l’œuvre permet à l’auteur de s’opposer à la dénaturation de son œuvre même s’il en a cédé les droits d’exploitation.
Droit de repentir (ou droit de retrait)
Le droit de retrait permet à l’auteur de faire cesser l’exploitation de son œuvre et de ses droits, à charge pour lui d’indemniser le co-contractant qui exploitait l’œuvre le cas échéant.
La dévolution successorale des droits patrimoniaux et des droits moraux
Dévolution des droits patrimoniaux
La dévolution des droits patrimoniaux suit les règles du droit commun des successions. Par conséquent, il convient de déterminer quels sont les droits qui ont été cédés du vivant de l’artiste et ceux dont il dispose encore et qui font donc partie de la succession.
Une fois la dévolution légale appliquée, les droits patrimoniaux peuvent se retrouver en indivision. Il est alors préférable de rédiger une convention d’indivision afin d’éviter les conflits relatifs aux actes passés par l’un des héritiers. L’une des questions conflictuelles qui peut se poser est, par exemple, de savoir si l’inscription à un organisme de gestion et de collecte des droits patrimoniaux (ex : SACEM) est un acte de disposition ou d’administration.
A défaut de convention d’indivision, le code de la propriété intellectuelle prévoit tout de même un garde-fou à son article 121-3, qui comprend la notion d’abus notoire sur l’usage ou le non usage d’un droit d’exploitation :
« En cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé visés à l’article L. 121-2, le tribunal judiciaire peut ordonner toute mesure appropriée. Il en est de même s’il y a conflit entre lesdits représentants, s’il n’y a pas d’ayant droit connu ou en cas de vacance ou de déshérence.
Le tribunal peut être saisi notamment par le ministre chargé de la culture »
Par ailleurs, le droit de suite a une particularité car il ne se transmet pas en même temps que le reste du patrimoine à l’occasion d’un legs universel. En effet, avant 2016 le droit de suite ne pouvait pas être légué, depuis il doit l’être par legs particulier.
Enfin, le code de la propriété intellectuelle prévoit tout de même une particularité à son article 123-6 concernant la dévolution des droits d’exploitation dont l’auteur n’aura pas disposé :
« Pendant la période prévue à l’article L. 123-1, le conjoint survivant, contre lequel n’existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps, bénéficie, quel que soit le régime matrimonial et indépendamment des droits qu’il tient des articles 756 à 757-3 et 764 à 766 du code civil sur les autres biens de la succession, de l’usufruit du droit d’exploitation dont l’auteur n’aura pas disposé. Toutefois, si l’auteur laisse des héritiers à réserve, cet usufruit est réduit au profit des héritiers, suivant les proportions et distinctions établies par l’article 913 du code civil.
Ce droit s’éteint au cas où le conjoint contracte un nouveau mariage. »
Dévolution des droits moraux
L’article L 121-1 du code de la propriété intellectuelle dispose :
« L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.
Ce droit est attaché à sa personne.
Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.
L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires. »
Le droit commun des successions est donc applicable au droit de paternité ainsi qu’au droit au respect de l’œuvre.
En revanche, le droit de divulgation connaît une dévolution spécifique régie par l’article L 121-2 du code de la propriété intellectuelle qui dispose :
« L’auteur a seul le droit de divulguer son oeuvre. Sous réserve des dispositions de l’article L. 132-24, il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci.
Après sa mort, le droit de divulgation de ses œuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l’auteur. A leur défaut, ou après leur décès, et sauf volonté contraire de l’auteur, ce droit est exercé dans l’ordre suivant : par les descendants, par le conjoint contre lequel n’existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n’a pas contracté un nouveau mariage, par les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession et par les légataires universels ou donataires de l’universalité des biens à venir.
Ce droit peut s’exercer même après l’expiration du droit exclusif d’exploitation déterminé à l’article L. 123-1. »
C’est donc l’exécuteur testamentaire qui se voit attribuer le droit de divulgation, dans le cas où il en existe un. Dans ce cas là, l’exécuteur va conserver ce droit sa vie durant. Cependant, il ne pourra évidemment pas décider de ce qu’il adviendra de ce droit après sa mort.
A défaut d’exécuteur testamentaire, le code fixe un ordre de dévolution commençant par les descendants et finissant par les légataires ou donataires universels. Il est donc primordial pour l’artiste de choisir son exécuteur testamentaire, à défaut de quoi il prend le risque que son droit de divulgation ne soit pas utilisé comme il le souhaite.
Cette différence de régime entre les droits moraux peut donner lieu à un éparpillement de ces derniers entre plusieurs successeurs. Ainsi, la jurisprudence a affirmé que s’agissant du droit de paternité et du droit au respect de l’œuvre, chacun des titulaires du droit peut l’exercer individuellement. A l’inverse, pour le droit de divulgation, il ne peut y avoir qu’un seul détenteur.
Toutefois, la notion garde-fou d’abus notoire mentionnée ci-dessus est également applicable pour les droits moraux.
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