Jurisprudences
Succession – Prestations sociales et remboursement au décès du bénéficiaire
Cass. civ. 2e, 26 janv. 2023, n° 21-18.653
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
Dans le cadre d’une action en recouvrement d’aides sociales sur l’actif de la succession d’un bénéficiaire handicapé, la charge effective et constante s’entend d’un engagement régulier et personnel de l’héritier auprès de la personne handicapée, placée en établissement, tant d’ordre matériel qu’affectif et moral.
Prestations sociales et remboursement des aides perçues
Lorsqu’une personne âgée ou handicapée a reçu certaines aides sociales, ses héritiers sont susceptibles de devoir rembourser une partie voire la totalité de ces prestations.
Une telle obligation varie en fonction de chaque prestation sociale.
Quelques exemples :
- aide sociale à l’hébergement (ASH), aide destinée à payer l’hébergement des personnes âgées en maison de retraite. L’aide versée tout au long du séjour en EHPAD est entièrement prélevée sur l’actif successoral ;
- allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) : le remboursement est dû si l’actif net successoral (actif – passif) dépasse la somme de 39 000 €. A défaut, aucun remboursement n’est dû ;
- les prestations sociales suivantes : l’APA, la PCH, l’AAH, la CMU, le RSA, l’ACTP et l’ASI ne sont jamais soumises à remboursement au jour du décès du bénéficiaire.
L’organisme concerné dispose d’un délai de 5 ans à compter du jour où il a eu connaissance du décès du bénéficiaire pour solliciter le remboursement. Au-delà, l’organisme ne peut plus réclamer le remboursement.
Lorsque le remboursement est dû par les héritiers, il existe quelques exceptions et/ou limites, objet justement du présent cas d’espèce.
Faits de l’espèce
1. Madame L, handicapée à la suite d’un accident de la circulation est hébergée par un foyer d’accueil médicalisé du 1er juillet 2009 jusqu’à son décès le 22 septembre 2014.
Le 19 mai 2017, le Président du conseil département du Nord notifie à sa sœur Madame C – héritier de Madame L – sa décision de récupérer sur la succession de celle-ci la somme de 270 654,47 € au titre de l’aide sociale versée pour la prise en charge de ses frais de séjour et d’hébergement en établissement.
2. Madame C conteste cette décision. Son recours est rejeté et elle se pourvoit en cassation.
Position de la Cour de cassation
1. En s’appuyant sur l’article L. 344-5, 2° du Code de l’action sociale et des familles, la Cour de cassation considère que :
- le département qui a engagé des dépenses d’aide sociale au titre des frais d’hébergement et d’entretien d’une personne handicapée accueillie dans un établissement mentionné au 7° de l’article L. 312-1 du même code, dispose bien d’un recours en recouvrement sur l’actif de la succession du bénéficiaire ;
- mais qu’il n’y a pas lieu à l’application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d’aide sociale lorsque l’héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge de la personne handicapée.
Par cet arrêt, la Cour précise que la charge effective et constante au sens de ce dernier texte s’entend d’un engagement régulier et personnel de l’héritier auprès de la personne handicapée, placée en établissement, tant d’ordre matériel qu’affectif et moral. Elle rappelle néanmoins que la présence et le soutien effectif des proches de la personne handicapée qui « relève de l’attachement familial et de la loyauté entre membres d’une même famille », ne peut avoir pour conséquence de faire échec à l’action en récupération exercée par le département dont le financement est assuré par les impôts versés par la collectivité nationale. Pour être considéré, cet engagement doit être plus important donc que l’obligation naturelle à laquelle l’héritier est tenu.
2. S’en suit une analyse factuelle des motivations de la Cour d’appel.
Pour rejeter le recours de Madame C, la Cour d’appel constate qu’elle produit aux débats de très nombreuses attestations de membres de la famille et de tiers (personnel de l’établissement d’accueil et collègues de travail) établissant qu’elle s’est beaucoup occupée de sa sœur pendant les 25 années qui ont suivies l’accident de la voie publique à l’origine du handicap de celle-ci.
La Cour de cassation observe que la commission départementale d’aide sociale a considéré que la prise en charge et l’accompagnement par Madame C se justifiaient à hauteur de la somme de 90 000 euros à déduire des sommes récupérées par le département sur l’actif successoral : de fait, la Cour d’appel a reconnu que l’héritière avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée.
3. La Cour de cassation considère qu’en constatant que l’héritière établissait avoir assumé, de façon effective et constante, la charge de la bénéficiaire, le Département ne pouvait exercer à son encontre l’action en récupération des sommes versées au titre de l’aide sociale à l’hébergement sur la succession de la bénéficiaire.
L’arrêt d’appel est donc cassé et les parties renvoyées devant la Cour d’appel d’Amiens. A suivre donc.