Jurisprudences
Les modes d’établissement de la filiation maternelle en cas d’assistance médicale à la procréation
Circulaire du 9 sept. 2021 et Question écrite n°2097 du 4 août 2022
Enfants – Filiation et adoption, Etat civil
Enseignement de l'arrêt
La question écrite n°2097 du 4 août 2022 est venue apportée des précisions à la suite de l’adoption de la loi relative à la bioéthique du 2 août 2021 ouvrant l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules. Elle précise ainsi les différents modes d’établissement de la filiation, mais laisse toutefois un vide juridique concernant les AMP réalisées entre l’entrée en vigueur de la loi et la circulaire du 21 septembre 2021.
L’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules
Le 3 août 2021, la loi relative à la bioéthique a élargi l’accès de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes (mariées, liées par un pacte civil de solidarité ou en concubinage) et aux femmes seules, qui n’était auparavant ouvert qu’aux couples composés d’un homme et d’une femme.
Ainsi, le législateur a étendu les modes de filiation déjà existant afin de permettre aux deux femmes d’établir leur filiation avec leur enfant.
Définition de l’assistance médicale à la procréation
L’assistance médicale à la procréation, ou procréation médicalement assistée, est définie à l’article L. 2141-1 du code de la santé publique :
« L’assistance médicale à la procréation s’entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle. »
Son objectif est prévu à l’article L. 2141-2 du même code qui précise que :
« L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10.
Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs.
Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l’insémination artificielle ou au transfert des embryons. »
Ainsi, l’AMP est possible pour tous les couples ou les femmes seules, dès lors qu’ils présentent un projet parental, sans qu’il soit nécessaire que l’un des membres du couple souffre d’une infertilité ou d’une maladie d’une particulière gravité, comme c’était le cas avant l’adoption de la loi du 2 août 2021. Pour ces cas, l’AMP pourra être réalisée avec un tiers donneur.
L’établissement de la filiation dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation
La loi du 2 août 2021 et la circulaire du 21 septembre 2021 n’ont rien modifié pour l’établissement de la filiation en cas d’AMP réalisée par un coupe de personnes de sexe différents. La filiation maternelle est établie à l’égard de la femme qui a accouché par sa désignation dans l’acte de naissance de l’enfant (article 311-25 du code civil : « La filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant ». La filiation du père est établie soit par la présomption de paternité, soit par la reconnaissance volontaire.
Pour une femme seule, la filiation sera établie de la même manière, à savoir par sa désignation dans l’acte de naissance de l’enfant.
Lorsque deux femmes en couple ont recours à une AMP avec tiers donneur, la loi prévoit que la filiation maternelle s’établit également de la même façon à l’égard de la femme qui a accouché de l’enfant. En revanche, pour le second lien de filiation maternelle, la loi a créé un nouveau mode d’établissement de filiation qui est la reconnaissance conjointe à l’article 342-11 alinéa 2 du code civil : « La filiation est établie, à l’égard de la femme qui accouche, conformément à l’article 311-25. Elle est établie, à l’égard de l’autre femme, par la reconnaissance conjointe prévue au premier alinéa du présent article. Celle-ci est remise par l’une des deux femmes ou, le cas échéant, par la personne chargée de déclarer la naissance à l’officier de l’état civil, qui l’indique dans l’acte de naissance ».). Il est par conséquent interdit, pour la femme qui n’a pas accouché de l’enfant, de faire établir son lien de filiation par une reconnaissance de maternité.
Dans ce dernier cas, le législateur impose aux deux femmes de consentir à l’AMP devant notaire qui devra informer sur toutes les conséquences sur le plan de la filiation. Cela signifie que leur consentement doit être donné avant l’AMP, plus précisément avant l’insémination artificielle ou le transfert d’embryon. Ce n’est qu’après avoir remis cette reconnaissance conjointe anticipée à l’officier d’état civil que le lien de filiation pourra être établi à l’égard de la femme qui n’a pas accouché de l’enfant.
De plus, cette reconnaissance conjointe obligatoire est valable même pour les AMP réalisées à l’étranger. Aucun dispositif n’impose aux couples de femmes de pas réaliser l’AMP sur le territoire national. Elles pourront dès lors pratiquer une AMP à l’étranger et revenir en France pour établir le lien de filiation si elles ont au préalable consentis conjointement devant notaire.
Les conséquences de l’entrée en vigueur de la loi sur l’établissement du second lien de filiation maternelle
Avant l’entrée en vigueur de la loi, beaucoup de femmes se sont rendues à l’étranger pour réaliser une AMP. Le législateur a donc dû prendre en considération cette situation pour qu’un lien de filiation puisse être légalement établi.
Le dispositif a posteriori pour les femmes ayant recouru à une AMP à l’étranger
La loi a ainsi créé un dispositif transitoire permettant aux couples de femmes ayant eu recours à une AMP à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi, c’est-à-dire avant le 3 août 2021, de faire établir la filiation à l’égard de la femme qui n’a pas accouché de l’enfant. Ce dispositif est valable pour trois ans, soit jusqu’au 4 août 2024, et est applicable quelle que soit la date de naissance de l’enfant, avant ou après l’entrée en vigueur de la loi, dès lors que le processus d’AMP est antérieur à sa publication.
La circulaire précise que le processus d’AMP est considéré comme réalisé à l’étranger lorsque l’insémination artificielle, avec tiers donneur, ou le transfert d’embryon, c’est-à-dire l’accueil d’un embryon ou d’une fécondation in vitro avec tiers donneur, a été réalisée à l’étranger.
C’est donc la date de l’insémination artificielle qu’il faut prendre en compte pour savoir si le lien de filiation avec la mère qui n’a pas accouché de l’enfant peut être établi selon la loi du 2 août 2021 et la circulaire du 21 septembre 2021.
Ainsi, la filiation de la femme qui n’a pas accouché de l’enfant peut être établie par la reconnaissance conjointe des deux femmes devant notaire. Cette reconnaissance diffère totalement de la reconnaissance conjointe anticipée pour les AMP à venir puisqu’elle est réalisée après l’insémination.
Elle peut être réalisée même en cas de séparation du couple, après la naissance de l’enfant. Les deux femmes devront simplement confirmer la réalité de leur projet parental au moment de la reconnaissance devant notaire et qu’elles ont eu recours à une AMP à l’étranger. Il est possible pour le couple d’établir la reconnaissance de l’enfant avant sa naissance, si l’insémination à l’étranger a eu lieu avant la publication de la loi. Cependant, pour que cette reconnaissance conjointe soit mentionnée dans l’acte d’état civil, le législateur a précisé que le couple de femmes doit s’adresser au Procureur de la République compétent pour faire la demande auprès de l’officier d’état civil et devra s’assurer que les conditions sont réunies.
La difficulté rencontrée dans le dispositif transitoire d’application de la loi
Le dispositif ainsi prévu omet de prendre en considération la situation des couples de femmes ayant eu recours à une PMA à l’étranger et dont l’insémination a été réalisée après l’entrée en vigueur de la loi.
Ainsi, puisque c’est la date de l’insémination qui est prise en compte pour l’établissement de la filiation, les femmes ayant pratiqué une AMP à l’étranger en réalisant l’insémination ou le transfert d’embryon après la date d’entrée en vigueur de la loi et avant la circulaire du 21 septembre 2021, la femme qui n’a pas accouché de l’enfant ne peut établir la filiation. Cela crée donc une insécurité juridique pour toutes ces femmes qui ne peuvent établir leur lien de filiation, et cela même si elles démontrent la réalité de leur projet parental. Ce dispositif instaure donc une rupture d’égalité dans le droit à recourir à une AMP.
Ce manque de clarté de la loi a été soulevé par Madame Laurence Cohen, députée, dans une question écrite n°02097 du 4 août 2022 dans laquelle elle demande au ministère de la Justice s’il entend élargir le nouveau régime de filiation à toutes les AMP réalisées à l’étranger sans distinction. Aucune réponse n’a encore été apportée à cette question.
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