Aller au contenu

Droit des successions

Les modalités de rapport civil des donations avec charges

Cass. civ. 1ère, 16 nov. 2022, RG n°21-11837

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

La Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure en considérant que le rapport d’une donation avec charge n’est dû qu’à concurrence de l’émolument net procuré par la libéralité, calculé en déduisant de la valeur du bien donné à l’époque du partage (d’après son état à l’époque de la donation), le montant de la charge (déterminé au jour de son exécution).

Rappel du contexte légal

Nature de la donation

La qualification de la donation a un impact sur son rapport à la succession. Il s’agit même là du premier travail du notaire ou de l’avocat spécialisé en droit des successions.

Le code civil prévoit à son article 843, alinéa 1er, le rapport par défaut des donations entre vifs ainsi que la possibilité pour le donateur (celui qui donne) de dispenser volontairement de rapport un héritier en qualifiant « hors part successorale » la donation consentie. 

« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant. »

A l’ouverture d’une succession, il faut donc étudier l’acte de donation pour vérifier s’il s’agit d’une donation soumise ou non au mécanisme protecteur du rapport à la succession.

En savoir plus sur le rapport à la succession

De nombreux contentieux surviennent pour qualifier les donations consenties par le défunt et déterminer si elles sont rapportables et pour quelle valeur.

Valeur du rapport

Le rapport de la donation intervient, au stade des comptes et de la liquidation des droits des héritiers : à l’actif existant au jour du décès sont ajoutées les donations rapportables et les indemnités de réduction. 

Reste à déterminer quelle valeur doit intégrer la succession. C’est l’article 860 du code civil qui régit la valeur des donations rapportables. Conformément à cet article, le donataire doit rapporter la valeur de la donation au jour du partage et non la valeur au jour où il l’a reçu. Si le bien a été vendu, il faut tenir compte de la valeur dans l’acte de vente et si le prix a ensuite servi à l’acquisition d’un autre bien, il faut tenir compte de la valeur du nouveau bien.

« Le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation.

Si le bien a été aliéné avant le partage, on tient compte de la valeur qu’il avait à l’époque de l’aliénation. Si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, on tient compte de la valeur de ce nouveau bien à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de l’acquisition. Toutefois, si la dépréciation du nouveau bien était, en raison de sa nature, inéluctable au jour de son acquisition, il n’est pas tenu compte de la subrogation.

Le tout sauf stipulation contraire dans l’acte de donation.

S’il résulte d’une telle stipulation que la valeur sujette à rapport est inférieure à la valeur du bien déterminé selon les règles d’évaluation prévues par l’article 922 ci-dessous, cette différence forme un avantage indirect acquis au donataire hors part successorale. »

En revanche, l’article est silencieux sur le cas du rapport des donations avec charges.

La jurisprudence a pallié ce silence.

Ainsi, par arrêt du 23 mars 1994, RG n° 92-15.191, la Cour de cassation s’est une première fois prononcée sur une donation avec charges de rente viagère au bénéfice du donateur. Elle a considéré que :

« Lorsqu’une donation est consentie avec charges, le rapport n’est dû qu’à concurrence de l’émolument gratuit procuré par la donation; s’agissant d’une donation avec charge de rente viagère, seuls les arrérages effectivement payés, diminués des revenus retirés du bien donné jusqu’au jour du partage, sont déductibles de la valeur du bien donné à cette même date ».

La Cour de cassation étoffe sa jurisprudence en se prononçant cette fois sur une donation avec charges de payer une somme unique au jour de la donation.

Apport de l’arrêt

Faits de l’espèce

De leur vivant, un couple consent plusieurs donations à chacun de leurs trois enfants.

L’un des enfants reçoit, par acte du 29 décembre 1993, la nue-propriété d’un immeuble sous condition de règlement d’une charge consistant en un versement d’une certaine somme à la date de la donation

Les deux époux décèdent respectivement les 23 mai 1995 et 14 juillet 2001.

Des difficultés surviennent au cours des opérations de comptes, liquidation et partage de leurs successions sur ladite donation

Les héritiers sont d’accord pour la qualifier de donation simple et la soumettre au rapport. En revanche, ils s’opposent sur le montant du rapport.

Les juges de la Cour d’appel de Nîmes condamne l’héritier qui a reçu la donation avec charge à rapporter la somme de 275.630,09 € à la succession en jugeant que le rapport était dû à hauteur de l’émolument gratuit procuré par la donation, déterminé en déduisant de la valeur du bien déterminée au jour du partage (336.000 €), la valeur nominale de la charge fixée au jour de la donation (60.369,91 €).

Il se pourvoit en cassation.

Il soutient que le montant du rapport dû en vertu d’une donation avec charge n’est que de la différence entre la valeur du bien donné et la charge, déterminée au jour où la charge a été exécutée et ensuite réévaluée au jour du partage.

En bref, selon lui, il aurait fallu procéder à une réévaluation, à l’époque du partage, du montant de la charge versée en 1993.

La question était donc précise : pour calculer l’indemnité de rapport, la charge déductible de l’émolument donné doit-elle faire l’objet d’une réévaluation ?

Position de la Cour de cassation

Sans surprise, la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la motivation des juges du fond en se fondant sur l’article 860 du code civil.

Son attendu est rédigé dans les termes suivants :

« lorsqu’une donation est assortie de la charge pour le donataire de régler une certaine somme, par versements périodiques ou en capital, le rapport n’est dû qu’à concurrence de l’émolument net procuré par la libéralité, calculé en déduisant de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation, le montant de la charge déterminé au jour de son exécution.

La cour d’appel a retenu à bon droit, pour déterminer le montant du rapport, que, s’agissant d’une donation avec charge payable au jour de la donation, la valeur de l’émolument net s’établissait par la déduction du montant de la charge grevant la donation, sans réévaluation de celle-ci au jour du partage ».

Critique de l’arrêt

On pourra considérer la sanction comme sévère pour le donataire mais cette position réaffirmée de la cour de cassation, est une application stricte de l’article 860 du Code civil et du mécanisme du rapport successoral. 

Surtout, elle a le mérite du pragmatisme : de fait, le donataire a déboursé une somme fixe à un moment T (celui de la donation en l’espèce) qui est la seule à avoir grevé le bénéfice de la donation reçue.

Rappelons en outre que l’objectif du rapport successoral est de préserver les vocations légales des héritiers ab intestat si celles-ci n’ont pas été modifiées par le de cujus. Il faut vérifier l’enrichissement du donataire et s’assurer que cet enrichissement ne dépasse pas sa vocation légale. Cette évaluation se fait d’après l’état de son patrimoine au jour du partage. La charge est une valeur qui a quitté son patrimoine : elle doit donc être déterminée au jour de son exécution.