Jurisprudences
Saisie d’un immeuble commun grevé d’hypothèque
Cass. civ. 2e, 8 déc. 2022, n°20-14.302
Unions (mariage / pacs / concubinage), Liquidation et partage de régime matrimonial, Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
- La condamnation d’un héritier au titre d’un recel successoral, de nature délictuelle, n’est pas un passif successoral.
- Le paiement de la dette d’un époux au titre d’un recel successoral peut être poursuivi sur les biens communs.
- Le juge de l’exécution doit mentionner dans le dispositif de son jugement d’orientation le seul montant de la créance hypothécaire du poursuivant, sans ajouter d’autres créances éventuelles.
Faits de l’espèce
Dans le cadre du règlement conflictuel d’une succession, Monsieur X, héritier, est condamné à verser à son copartageant, Monsieur S, diverses sommes, dont certaines ont pour origine un recel successoral.
Le 1er mars 2004, Monsieur S (créancier) fait inscrire une hypothèque sur un immeuble acquis par Monsieur X avec son épouse commune en biens. En 2005, cet immeuble fait l’objet d’une donation des époux à leur fille.
Le 10 août 2018, Monsieur S (créancier) délivre un commandement de payer valant saisie immobilière à son copartageant débiteur et l’épouse de celui-ci, ainsi qu’à leur fille, tierce détentrice.
Le Juge de l’exécution est saisi et le litige est porté devant la Cour d’appel de Montpellier, puis devant la Cour de cassation.
Position de la Cour de cassation
Moyen n°1 : sur le droit de gage du créancier compte-tenu du régime matrimonial du débiteur
Avant de se positionner sur la saisie immobilière, la Cour de cassation a dû s’assurer que le droit de gage du créancier incluait l’immeuble dépendant de la communauté. Ne relevant pas de sa compétence, la deuxième chambre a fait trancher ce point par la première chambre de la Cour de cassation (pratique assez peu exercée mais existante).
Enoncé du moyen
La Cour d’appel de Montpellier avait rejeté la demande des époux (dont l’héritier débiteur) tendant à voir juger que la saisie ne pouvait porter sur le bien commun par le créancier personnel de l’époux. Ces derniers considéraient que le créancier ne pouvait inscrire une hypothèque sur un bien commun, même si celle-ci ne porte que sur les parts et portions de ce bien dont le débiteur est propriétaire.
Position de la Cour de cassation
La question qui se posait à la première chambre était donc de savoir si le créancier d’un recel successoral dispose d’un gage sur les biens communs de son débiteur ?
Avant de répondre, la Cour de cassation rappelle certaines dispositions du Code civil :
- L’article 1413 du Code civil, selon lequel le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier ;
« Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu ».
- Les articles 1410 et 1411 du code civil dont il résulte que le paiement des dettes dont se trouvent grevées les successions qui échoient aux époux durant le mariage, lesquelles leur demeurent personnelles, tant en capitaux qu’en arrérages ou intérêts, ne peut être poursuivi que sur les biens propres et les revenus de l’époux débiteur.
« Les dettes dont les époux étaient tenus au jour de la célébration de leur mariage, ou dont se trouvent grevées les successions et libéralités qui leur échoient durant le mariage, leur demeurent personnelles, tant en capitaux qu’en arrérages ou intérêts ».
« Les créanciers de l’un ou de l’autre époux, dans le cas de l’article précédent, ne peuvent poursuivre leur paiement que sur les biens propres et les revenus de leur débiteur.
Ils peuvent, néanmoins, saisir aussi les biens de la communauté quand le mobilier qui appartient à leur débiteur au jour du mariage ou qui lui est échu par succession ou libéralité a été confondu dans le patrimoine commun et ne peut plus être identifié selon les règles de l’article 1402 ».
Sur ces bases, la Cour de cassation considère que la dette fondée sur un recel successoral :
- Ne constitue pas une dette de la succession ;
- Constitue une dette poursuivable sur les biens communs puisque la fraude constituée par le recel n’a pas été dirigée contre l’époux, mais contre un cohéritier. L’exception prévue à l’article 1413 du code civil n’est donc pas applicable.
Elle valide ainsi l’inscription d’hypothèque prise au profit de Monsieur S (créancier) pour garantir la somme due à la suite d’une condamnation pour recel successoral.
Si le créancier peut disposer des biens communs, il n’en reste pas moins que l’époux débiteur et condamné au recel sera redevable d’une récompense envers la communauté. En effet sur le fondement de l’article 1417 du Code civil, l’époux fautif doit supporter à terme la charge finale de sa dette délictuelle.
« La communauté a droit à récompense, déduction faite, le cas échéant, du profit retiré par elle, quand elle a payé les amendes encourues par un époux, en raison d’infractions pénales, ou les réparations et dépens auxquels il avait été condamné pour des délits ou quasi-délits civils. Elle a pareillement droit à récompense si la dette qu’elle a acquittée avait été contractée par l’un des époux au mépris des devoirs que lui imposait le mariage ».
Moyen n°2 : limitation de la saisie immobilière à la seule créance visée par l’hypothèque
Le second moyen visait à préciser les conditions de mise en œuvre d’une saisie immobilière dirigée contre un tiers détenteur. La Cour de cassation a admis la validité de l’hypothèque réalisée au regard du droit des régimes matrimoniaux.
Sur la recevabilité du pourvoi
La question de la recevabilité du pourvoi était tout d’abord discutée.
Il est en effet de jurisprudence constante qu’un jugement « donnant acte » ne peut donner lieu à un pourvoi en cassation (cf. en ce sens : Cass. Civ. 3e, 4 mars 1998, n° 95-20.633).
La Cour d’appel de Montpellier avait seulement constaté que le créancier entendait poursuivre le recouvrement de cette somme. Ce chef de dispositif était donc « purement déclaratif ».
La Cour de cassation considère qu’en vertu de l’article R322-18 du Code des procédures civiles d’exécution que le montant de la créance était bien mentionné dans le dispositif du jugement d’orientation qui a autorité de la chose jugée « peu important les termes employés par le juge de l’exécution ».
« Le jugement d’orientation mentionne le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires ».
Le pourvoi est donc déclaré recevable.
Sur le bien-fondé du moyen
Le pourvoi contestait l’admission d’un montant de créance de 242 218,38 € (montant cumulé de la soulte et de la condamnation pour recel), alors que la créance visée dans l’hypothèque était fixée à 68 602,06 € (montant de la condamnation au titre du seul recel) et qu’elle ne s’élevait plus qu’à 13 378,98 € au jour du commandement.
Les époux débiteurs – demandeurs au pourvoi – considéraient que le droit de suite du créancier ne pouvait être exercé contre le tiers détenteur qu’à hauteur de la dette garantie par l’hypothèque (soit en l’espèce 68 602,06 €).
La question qui se posait était ainsi de savoir si le juge de l’exécution :
- Ne doit mentionner – dans le dispositif de son jugement – le seul montant de la créance hypothécaire ;
- Ou s’il peut retenir une valeur supérieure en y ajoutant d’autres créances ?
La Cour de cassation adopte une position restrictive : le Juge de l’exécution ne doit mentionner dans le dispositif de son jugement que la seule créance hypothécaire.
L’arrêt de la Cour d’appel est donc cassé sur ce point.
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