Jurisprudences
Acte de notoriété dissimulant un héritier : ni faux ni escroquerie
Cass. crim., 15 nov. 2023, n°22-816634
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
Par arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation précise les conditions pour qualifier d’escroquerie l’omission volontaire par l’époux survivant d’un descendant et pour qualifier de faux l’acte de notoriété.
Pas d’inquiétude, notre cabinet reste uniquement spécialisé en droit de la famille, du patrimoine et des successions, mais la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation étudiée ici éclaire la question de la sincérité de l’acte de notoriété dans les contentieux successoraux.
Rappel du contexte légal
Les éléments constitutifs d’une infraction pénale
Rappelons que, pour qu’une infraction soit constituée, il est nécessaire de réunir trois éléments :
- un élément légal
- un élément matériel
- un élément moral.
L’élément légal
Pour qu’une infraction soit constituée, il est nécessaire de trouver dans un premier temps le texte qui la prévoit.
Ainsi, pour pouvoir constituer une infraction, il faut tout d’abord regarder dans la loi pénale, si les actes commis constituent un délit ou un crime.
Une fois cet élément démontré, il faut s’intéresser à l’élément matériel de l’infraction.
L’élément matériel
L’élément matériel renvoie au comportement adopté par l’auteur des faits. Il renvoie à la réalisation en elle-même de l’infraction réprimée par la loi.
L’infraction peut dans certains cas être constituée alors même que l’auteur n’a pas obtenu le résultat qu’il voulait : c’est la tentative prévue à l’article 121-5 du Code pénal.
« La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ».
L’élément moral
L’élément moral découle de l’article 121-3 du Code pénal qui dispose en son premier alinéa que « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».
Ainsi, l’élément moral renvoie à la pensée, à l’élément psychologique propre à la personne de l’auteur des faits.d
Toutefois, il n’est pas nécessaire que l’auteur de l’infraction ait forcément agit de manière intentionnelle.
En effet, l’article 121-3 du Code pénal prévoit également que : « Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de
négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue
par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».
Les éléments constitutifs de l’escroquerie
L’escroquerie est un délit, prévu à l’article 313-1 du code pénal, consistant dans le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
« L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge. L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. »
Élément matériel : le comportement
Usage de faux nom ou fausse qualité
L’usage de faux nom consiste à usurper un nom (patronyme, prénom ou pseudonyme, réel ou imaginaire) pour inspirer confiance et tromper sa victime. L’usage de fausse qualité consiste à se prévaloir d’une qualité que l’on n’a pas (situation de famille, profession, titre…) aux mêmes fins. Ainsi en ira-t-il de celui ou celle qui se prétend père de famille, veuve, ecclésiastique, médecin, commerçant ou encore mandataire.
L’abus de qualité vraie
Il s’agit d’utiliser une qualité que l’on possède réellement pour inspirer confiance et tromper la victime. Par exemple, abuse de sa qualité le notaire qui fait signer un compromis de vente subordonné à l’acquisition d’un autre immeuble en sachant que le propriétaire de cet immeuble refuse de le céder au prix indiqué (Crim. 11 mars 2009). De même, abuse de sa qualité le notaire qui acquiert, en connaissance de cause, un tableau très en deçà de sa valeur, auprès d’une personne âgée dont il gérait les affaires (Crim. 12 sept. 2018, n° 17-82.122).
L’emploi de manœuvres frauduleuses
Consiste en l’accomplissement d’actes positifs (la simple omission est inopérante) pour tromper la victime et la déterminer à la remise. Elles doivent donc être antérieures à cette remise. De jurisprudence constante, de simples allégations mensongères ne sauraient, en elles-mêmes, et en l’absence de toute autre circonstance, constituer des manoeuvres frauduleuses.
Elément moral
Pour que l’auteur de l’escroquerie soit incriminé, il faut prouver qu’il a eu l’intention de commettre ce délit. En effet, il doit avoir la volonté de tromper la victime, en utilisant des moyens frauduleux pour le faire.
Les éléments constitutifs du faux
Le faux est une altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un préjudice et accomplie par tout moyen, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. À cette définition du faux, qui constitue l’incrimination générale, s’ajoutent des faux spéciaux.
L’élément matériel
Il s’agit d’une altération de la vérité de nature à causer un préjudice, commise sur un support d’une nature spécifique.
Le faux ne peut être commis que sur un « écrit ou tout autre support d’expression de la pensée » ayant une certaine valeur probatoire (« qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques »). La valeur probatoire de l’écrit peut dépendre non de sa nature mais de l’utilisation qui en est faite.
La falsification peut se réaliser de plusieurs façons (matérielle ou intellectuelle), mais doit, dans tous les cas, être préjudiciable (le faux doit être de nature à causer un préjudice, sans qu’il soit nécessaire qu’il en ait réellement causé un ; il s’agit d’une infraction formelle). Le mensonge doit porter sur un élément essentiel de l’acte.
L’élément moral
Le faux est une infraction intentionnelle (ce que confirme l’adjectif « frauduleux ») ; l’auteur doit avoir eu conscience de l’inexactitude de l’acte et de son caractère préjudiciable. Pour le faux matériel, l’intention se déduit de l’accomplissement de l’élément matériel. Pour le faux intellectuel, il faut prouver la conscience, chez l’auteur, de la fausseté des déclarations (la nature du document falsifié ou l’utilisation projetée établit ce caractère préjudiciable).
Répression
Le faux et l’usage de faux sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (article 441-1 du code pénal).
« Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques.Le faux et l’usage de faux sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »
Dissimulation d’un élément lors de l’ouverture de la succession
Les faits
Mme Ana est reconnu par Monsieur Olaf le 28 novembre 1974.
M Olaf, qui n’a pas eu d’autre enfant, se marie en 1995 avec Madame Neige et décède au Royaume Uni en 2011.
Un acte de notoriété est établi le 19 janvier 2012 à la requête de Mme Neige sur lequel elle figure seule en sa qualité de conjoint survivant.
Madame Ana est finalement informée de son absence dans l’acte de notoriété et affirme que Madame Neige connaissait son existence ainsi que sa qualité de fille du défunt. Elle porte plainte contre le conjoint survivant et se constitue partie civile.
Procédure
Juge d’instruction (première instance)
Par ordonnance du 16 septembre 2021, le juge d’instruction dit n’y avoir lieu à suivre des chefs d’escroquerie, faux, usage de faux ou de tentative de ces délits.
Madame Ana relève appel de cette ordonnance.
Position de la cour d’appel : confirme la décision
S’agissant du délit d’escroquerie
- Il n’existait pas de charge suffisante contre quiconque d’avoir commis le délit d’escroquerie car le fait que Madame Neige se soit prévalue de ce qu’elle était héritière devant son notaire qui avait établi le 19 janvier 2012 un acte de notoriété en ce sens ne pouvait s’analyser comme l’usage par Mme Neige d’une fausse qualité au sens de l’article 313-1 du Code pénal car il s’agissait là d’une pure affirmation d’un droit, ne s’accompagnant d’aucune activité particulière liée à cette qualité.
- À supposer que Madame Neige ait eu connaissance du temps de son union avec Monsieur Olaf de ce que celui-ci avait une fille et qu’elle ait donc menti au notaire en s’affirmant seule héritière, il demeurait que ce mensonge, qu’il fût formulé par oral ou par écrit, ne suffisait pas à caractériser l’élément matériel de l’escroquerie à défaut d’être accrédité par des éléments extérieurs.
S’agissant du délit de faux
La Cour d’appel dit que les faits dénoncés ne pouvaient pas plus être qualifiés de faux au sens de l’article 441-6 du Code pénal, jugeant qu’un notaire n’est ni une administration publique, ni un organisme chargé d’une mission de service public mais un officier ministériel.
Position de la Cour de cassation
Arguments de Mme Ana
Au soutien de son pourvoi en cassation l’héritière absence de l’acte de notoriété indique que :
- constitue une manœuvre frauduleuse, au sens de l’article 313-1 du Code pénal, le recours à un officier ministériel de bonne foi pour accréditer une déclaration mensongère
- constitue un délit le fait de se faire délivrer indûment par une administration publique ou par un organisme chargé d’une mission de service public, par quelque moyen frauduleux que ce soit, un document destiné à constater un droit, une identité ou une qualité ou à accorder une autorisation et le notaire, en tant qu’officier public, est un organisme chargé d’une mission de service public.
Réponse de la Cour de cassation
La chambre criminelle de la Cour de Cassation donne raison à la Cour d’appel d’avoir constaté que l’éventuel mensonge n’était pas destiné à tromper une autre personne que celle qui était censée lui donner force et crédit, et qu’ainsi, elle n’a pas méconnu l’article 313-1 du Code pénal (escroquerie) ou l’article 441-6 du Code pénal (faux).
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