Jurisprudences
Les conditions de déductibilité de la créance de restitution au titre de la donation d’usufruit d’une somme d’argent
Comité de l’abus de droit fiscal, 11 mai 2023, n°2022-15 et 2022-16
Liquidation et partage de successions, Anticipations de successions, Patrimoine - Fiscalité
Enseignement de l'arrêt
Le comité de l’abus de droit fiscal a rendu deux avis le 11 mai 2023, par lesquels il reconnaît la licéité de la déduction de l’actif successoral d’une créance de restitution due par la succession sur la valeur de la nue-propriété d’une somme d’argent donnée par le de cujus.
Le comité précise que cette déduction est licite seulement à hauteur de la somme effectivement détenue au jour de la donation-partage.
Une femme transmet à chacun de ses deux fils (seuls héritiers) à titre d’avancement de part, par donation-partage la nue-propriété d’une somme d’argent (valeur totale de la somme d’argent 3.200.000 €, la nue-propriété était évaluée à 1.600.000 €).
Le donateur décède. La déclaration de succession mentionne au passif une dette de restitution de 3.200.000 €, à raison du quasi-usufruit institué par la donation-partage.
L’administration fiscale dans le cadre du contrôle de cette déclaration de succession considère que la donation était fictive, puisque la défunte ne s’était pas réellement dessaisie de la somme et que par conséquent l’intention libérale n’était pas démontrée. L’administration fiscale considère que la défunte souhaitait simplement réduire l’assiette des droits de succession dus par ses enfants au moyen de l’obligation de restitution pesant sur l’usufruitier d’une somme d’argent.
L’administration fiscale met en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal et exclut la somme de 3.200.000 € du passif successoral.
Le comité de l’abus de droit fiscal est saisi pour avis.
Le comité d’abus de droit fiscal rappelle d’abord que l’article 587 du Code civil est le siège du principe de la dette de restitution, laquelle est la conséquence de la constitution du quasi-usufruit, même si celle-ci n’est pas assortie d’une sûreté.
Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution.
Le comité d’abus de droit fiscal considère que l’absence de mention dans l’acte de donation de références bancaires précises permettant d’identifier le capital transmis et d’autre-part l’absence de clause prévoyant l’information des nus-propriétaires sur l’utilisation et le remploi des fonds qui se rapportent aux modalités d’exécution des obligations de la donatrice et non à l’existence de ces obligations, n’impliquent pas nécessairement que la donation est fictive.
Le comité réaffirme donc la nature d’abord civile de l’opération : la créance de restitution en cas de donation de la nue-propriété d’une somme d’argent n’a pas pour effet immédiat de réduire l’assiette des droits de succession. Cette déduction n’est qu’une conséquence possible de la constitution d’un quasi-usufruit, conformément aux dispositions de l’article 587 du Code civil.
Si le fait de ne pas préciser dans l’acte de donation les références bancaires précises permettant d’identifier le capital transmis et de ne pas insérer de clause prévoyant l’information des nus-propriétaires sur l’utilisation et le remploi des fonds ne rend pas la donation fictive, il est prudent de le faire.
La donation de la nue-propriété d’une somme d’argent conditionnée par la propriété effective de l’intégralité de la somme par le donateur au jour de la donation
Le comité d’abus de droit fiscal juge ensuite qu’au regard des termes de l’acte de donation-partage, la donation ayant pour objet la nue-propriété d’une somme d’argent, cette somme devait être présente dans le patrimoine du donateur à la date de la donation. Elle ne peut porter sur une somme qui résulterait d’une cession ultérieure de valeurs mobilières détenues par la donatrice.
Or, au jour de la donation, la défunte possédait une somme de 2.952.150 €, inférieure aux 3.200.000 € dont la nue-propriété était l’objet de la donation.
Le comité considère donc que la donation est fictive à hauteur de 247.850 € correspondant à la différence entre les deux sommes. Dans cette proportion, cet acte ne pouvait conduire à une dette déductible de l’actif successoral.
Le comité conclut donc que l’administration fiscale était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit pour réduire de 247.850 € le montant de la dette déductive.
Il est donc licite d’inscrire au passif successoral la créance de restitution due en cas de constitution de quasi-usufruit par l’effet de la donation de la nue-propriété d’une somme d’argent. Néanmoins, au jour de la donation, le donateur doit disposer effectivement de l’intégralité de la somme d’argent, peu important qu’il soit propriétaire de valeurs mobilières dont la cession postérieure à la donation lui permettrait de disposer intégralement de la somme donnée. Rappelons également l’importance de la rédaction d’une convention de quasi-usufruit dans l’acceptabilité par l’administration fiscale de cette déduction. Surtout, cette convention de quasi-usufruit – à rédiger avec l’assistance de votre notaire ou de votre avocat spécialisé en droit des successions- constitue un outil de sécurisation pour les nus-propriétaires et de sérénité dans leurs relations avec l’usufruitier des sommes d’argent.
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