Jurisprudences
Décès d’un associé et renonciation par les héritiers à leur demande d’agrément
Cass. com., 24 janv. 2024, n°21-25.416
Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières, Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
- Par arrêt du 24 janvier 2024, la Cour de cassation énonce que, si à la suite du décès d’un associé, ses héritiers ont été agréés par les associés survivant aux termes d’une transaction alors qu’un expert avait été auparavant désigner pour déterminer la valeur des parts sociales, les héritiers peuvent renoncer à entrer dans la société.
- Les associés survivants qui ont refusé l’agrément et qui ont demandé en justice la désignation d’un expert pour que soit déterminée la valeur de ses parts sociales, sont, à l’issue du délai légal, tenus d’acquérir ou de faire acquérir ces parts au prix fixé par l’expert si l’héritier a renoncé à sa demande d’agrément.
Rappel du contexte légal de la transmission des parts sociales d’une SARL à la suite d’un décès d’un associé
La cession et transmission de parts sociales en SARL est soumise à une procédure d’agrément lorsque le candidat à l’acquisition (le cessionnaire) est un tiers étranger à la société.
Si la cession est réalisée entre associés, conjoints, descendants ou ascendants, la vente est en principe libre (article L223-13 du Code de commerce).
« Les parts sociales sont librement transmissibles par voie de succession ou en cas de liquidation de communauté de biens entre époux et librement cessibles entre conjoints et entre ascendants et descendants.
Toutefois, les statuts peuvent stipuler que le conjoint, un héritier, un ascendant ou un descendant ne peut devenir associé qu’après avoir été agréé dans les conditions prévues à l’article L. 223-14. A peine de nullité de la clause, les délais accordés à la société pour statuer sur l’agrément ne peuvent être plus longs que ceux prévus à l’article L. 223-14, et la majorité exigée ne peut être plus forte que celle prévue audit article. En cas de refus d’agrément, il est fait application des dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article L. 223-14. Si aucune des solutions prévues à ces alinéas n’intervient dans les délais impartis, l’agrément est réputé acquis.
Les statuts peuvent stipuler qu’en cas de décès de l’un des associés la société continuera avec son héritier ou seulement avec les associés survivants. Lorsque la société continue avec les seuls associés survivants, ou lorsque l’agrément a été refusé à l’héritier, celui-ci a droit à la valeur des droits sociaux de son auteur.
Il peut aussi être stipulé que la société continuera, soit avec le conjoint survivant, soit avec un ou plusieurs des héritiers, soit avec toute autre personne désignée par les statuts ou, si ceux-ci l’autorisent, par dispositions testamentaires.
Dans les cas prévus au présent article, la valeur des droits sociaux est déterminée au jour du décès conformément à l’article 1843-4 du code civil ».
Cependant, les statuts d’une SARL peuvent stipuler qu’un héritier ne peut devenir associé qu’après avoir été agréé dans les conditions prévues à l’article L. 223-14 du Code de commerce.
« Les parts sociales ne peuvent être cédées à des tiers étrangers à la société qu’avec le consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte.
Lorsque la société comporte plus d’un associé, le projet de cession est notifié à la société et à chacun des associés. Si la société n’a pas fait connaître sa décision dans le délai de trois mois à compter de la dernière des notifications prévues au présent alinéa, le consentement à la cession est réputé acquis.
Si la société a refusé de consentir à la cession, les associés sont tenus, dans le délai de trois mois à compter de ce refus, d’acquérir ou de faire acquérir les parts à un prix fixé dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil, sauf si le cédant renonce à la cession de ses parts. Les frais d’expertise sont à la charge de la société. A la demande du gérant, ce délai peut être prolongé par décision de justice, sans que cette prolongation puisse excéder six mois.
La société peut également, avec le consentement de l’associé cédant, décider, dans le même délai, de réduire son capital du montant de la valeur nominale des parts de cet associé et de racheter ces parts au prix déterminé dans les conditions prévues ci-dessus. Un délai de paiement qui ne saurait excéder deux ans peut, sur justification, être accordé à la société par décision de justice. Les sommes dues portent intérêt au taux légal en matière commerciale.
Si, à l’expiration du délai imparti, aucune des solutions prévues aux troisième et quatrième alinéas ci-dessus n’est intervenue, l’associé peut réaliser la cession initialement prévue.
Sauf en cas de succession, de liquidation de communauté de biens entre époux, ou de donation au profit d’un conjoint, ascendant ou descendant, l’associé cédant ne peut se prévaloir des dispositions des troisième et cinquième alinéas ci-dessus s’il ne détient ses parts depuis au moins deux ans.
Toute clause contraire aux dispositions du présent article est réputée non écrite ».
En cas de refus d’agrément, il est fait application des dispositions des 3e et 4e alinéas dudit article.
Si aucune des solutions prévues à ces alinéas n’intervient dans les délais impartis, l’agrément est réputé acquis.
Lorsqu’au contraire l’agrément a été refusé à l’héritier, celui-ci a droit à la valeur des droits sociaux de son auteur. Les associés ont alors un délai de trois mois à compter de ce refus pour acquérir ou faire acquérir les parts à un prix fixé dans les conditions énoncées.
Apport de l’arrêt
Faits
Bérénice, Benoit et Francois détiennent une SARL financière, holding d’un groupe de presse.
François décède le 25 janvier 2003, en laissant pour lui succéder ses deux filles, Diane et Yseut.
Le 12 janvier 2004, l’assemblée générale extraordinaire de la société Financière refuse, en application d’une clause statutaire d’agrément, d’agréer Diane et Yseut comme associées au titre des parts dont elles avaient hérité de leur père.
Le 25 juin 2004, Diane et Yseut saisissent le président d’un tribunal de commerce pour que soit désigné, sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil, un expert afin de déterminer la valeur de leurs droits sociaux. Celui-ci évalue, le 3 octobre 2004, ces droits à la somme de 5 905 200 euros.
Bérénice et Benoit n’ayant pas acquis ou fait acquérir les parts de Diane et Yseut dans le délai prévu à l’article L. 223-14 du code de commerce, le 2 novembre 2004, ces dernières assignent en rachat forcé de leurs parts sociales.
Le 25 juillet 2017, la société Financière, les associés survivants et les héritières de l’associée décédé concluent un protocole transactionnel selon lequel ces dernières reconnaissaient avoir été agréées en qualité d’associées de la société Financière et s’engagent à renoncer à toute action ou toute contestation relative à cette qualité en contrepartie du respect par les associés survivant des engagements pris au titre du protocole.
Il est convenu au protocole la signature d’un pacte d’actionnaires.
Un conflit s’élève par la suite. Selon les héritières, les actionnaires survivants n’ont pas respecté les conditions de la transaction, de sorte qu’elles sont titulaires, à leur égard, d’une créance au titre du rachat de leurs parts sociales, Diane et Yseut saisissent un juge de l’exécution qui, par trois ordonnances rendues le 8 novembre 2019, les autorise à pratiquer des saisies conservatoires des droits d’associés et de valeurs mobilières au préjudice de Bérénice et Benoit et de la société Financière
Les 10 et 13 mars 2020, la SARL et les associés survivants, assignent Diane et Yseut en rétractation de ces trois ordonnances et obtiennent gain de cause.
Critique de la position de la Cour d’appel
Diane et Yseut font grief à l’arrêt d’ordonner la rétractation des trois ordonnances rendues le 8 novembre 2019 par le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris et d’ordonner la mainlevée de l’ensemble des saisies conservatoires pratiquées entre le 8 novembre et le 1er décembre 2019 en vertu de ces ordonnances, d’une part à l’encontre de la société Financière et d’autre part à l’encontre des associés survivants entre les mains de la société Financière alors « que la transaction, qui ne met fin au litige que sous réserve de son exécution, ne peut être opposée par l’une des parties que si celle-ci en a respecté les conditions ; qu’en l’espèce, en affirmant qu’en l’absence de décision de justice ayant annulé le protocole d’accord transactionnel, celui-ci avait autorité de chose jugée, et en se bornant à retenir qu’il n’était pas démontré que l’absence de signature du pacte d’actionnaires convenu au protocole ne serait imputable qu’à Bérénice et Benoit ou en raison de leur exécution de mauvaise foi du protocole, quand le seul constat du défaut de signature du pacte d’actionnaires convenu constituait une inexécution de la transaction, ce qui excluait que Bérénice et Benoît puissent opposer la transaction, la cour d’appel a violé les articles 2044 et 2052 du code civil ».
La position de la Cour de cassation
Sur le premier moyen lié à l’opposabilité du protocole
Il résulte des constatations de la Cour d’appel que les associés survivants ne pouvaient opposer la transaction à Diane et Yseut en l’absence de signature du pacte d’actionnaires stipulé dans le protocole d’accord transactionnel.
Sur le moyen relevé d’office lié
Pour statuer comme il fait, l’arrêt, après avoir relevé que les associés survivants avaient, à la suite de leur refus d’agréer comme associées Diane et Yseut demandé en justice le 25 juin 2004, sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil, la désignation d’un expert pour que soit déterminée la valeur de leurs parts sociales, que celui-ci avait, le 3 octobre 2004, fixé le prix des parts et que Mmes Diane et Yseut avaient, le 2 novembre 2004, engagé à l’encontre des associés survivant une action en rachat forcée de leurs parts, retient que, faute que soit intervenue, dans le délai légal expirant, après prorogation, le 12 octobre 2004 l’acquisition de leurs parts par ou à la diligence des associés ou la réduction du capital de la société du montant de la valeur nominale de ces parts, l’agrément de Siane et Yseut comme associées de la société Financière est réputé acquis.
Selon la Cour de Cassation, il en résulte de la combinaison de L. 223-14 du code de commerce, l’article 1843-4 du code civil que l’héritier d’un associé décédé qui a demandé à être agréé comme associé au titre des parts dont il a hérité peut, à tout moment, même après la fixation du prix par l’expert, renoncer à sa demande d’agrément et exiger le remboursement de la valeur des droits de son auteur.
Les associés survivants qui ont refusé d’agréer comme associé l’héritier d’un associé décédé et qui ont demandé en justice, sur le fondement de l’article 1843-4 du code civil, la désignation d’un expert pour que soit déterminée la valeur de ses parts sociales, sont, à l’issue du délai légal, tenus d’acquérir ou de faire acquérir ces parts au prix fixé par l’expert si l’héritier a renoncé à sa demande d’agrément. Une telle hypothèse constitue l’intervention de la solution prévue au troisième alinéa de l’article L. 223-14 du code de commerce.