Jurisprudences
Date de la saisine de la juridiction en matière de la responsabilité parentale
Cass. civ. 1ère, 22 nov. 2023, n°21-25.874
Droit international privé de la famille
Enseignement de l'arrêt
La juridiction est saisie par requête à la date de son dépôt dès lors que les diligences prévues par la loi procédurale ont été effectuées quel que soit le comportement procédural du requérant.
Rappel du contexte légal
Droit international : la compétence juridictionnelle en matière de la responsabilité parentale
Le règlement (CE) no 2201/2003 connu sous le nom de « règlement Bruxelles II bis » est un instrument juridique unique visant à aider les couples internationaux à résoudre les litiges transnationaux liés au divorce et à l’autorité parentale sur les enfants.
L’article 8 du règlement prévoit la générale compétence juridictionnelle en matière de la responsabilité parentale :
« 1. Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.
2. Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12 ».
Le règlement Bruxelles II bis a été remplacé depuis le 1er août 2022 par sa version « refondue », c’est-à-dire le règlement (UE) n° 2019/1111 du 25 juin 2019, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants appelé règlement Bruxelles II ter.
En matière de responsabilité parentale, la compétence générale de la résidence habituelle de l’enfant est maintenue par le nouveau règlement (article 7 du règlement Bruxelles II ter).
Les deux règlements européens (ancien et nouveau) figent la compétence au jour de la saisine de la juridiction. Le déménagement ultérieur de l’enfant n’a donc pas d’impact sur la détermination de la compétence.
A titre d’exemple, une autre solution est proposée par la convention de la Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants. Dans son article 5, il est indiqué qu’en cas de changement de la résidence habituelle de l’enfant dans un autre Etat contractant, sont compétentes les autorités de l’Etat de la nouvelle résidence habituelle (sous réserve des dispositions de l’article 7 de la convention).
Droit interne : les règles de la saisine de la juridiction en matière de la responsabilité parentale
Dans le cadre des autres procédures relevant de la compétence du juge aux affaires familiales (hors divorce), l’article 1137 du code de procédure civile permet aux demandeurs de saisir le juge aux affaires familiales soit par requête aux fins de fixation des modalités d’exercice d’autorité parentale soit par assignation :
« Le juge est saisi par une assignation à une date d’audience communiquée au demandeur selon les modalités définies par l’article 751.
En cas d’urgence dûment justifiée, le juge aux affaires familiales, saisi par requête, peut permettre d’assigner à une date d’audience fixée à bref délai.
Dans ces deux cas, la remise au greffe de l’assignation doit intervenir au plus tard la veille de l’audience. A défaut de remise de l’assignation dans le délai imparti, sa caducité est constatée d’office par ordonnance du juge aux affaires familiales ou, à défaut, à la requête d’une partie.
Le juge peut également être saisi par requête remise ou adressée au greffe, conjointement ou par une partie seulement. La requête doit indiquer les nom, prénom et adresse des parties ou, le cas échéant, la dernière adresse connue du défendeur. Pour les personnes morales, elle mentionne leur forme, leur dénomination, leur siège et l’organe qui les représente légalement. Elle contient l’objet de la demande et un exposé sommaire de ses motifs. Elle est datée et signée de celui qui la présente ou de son avocat ».
L’article 1108 du code de procédure civile précise le moment où la juridiction est réputée saisie :
« Le juge aux affaires familiales est saisi, à la diligence de l’une ou l’autre partie, par la remise au greffe d’une copie de l’acte introductif d’instance.
Sous réserve que la date de l’audience soit communiquée plus de quinze jours à l’avance, la remise doit être effectuée au moins quinze jours avant cette date.
La remise doit avoir lieu dans ce délai sous peine de caducité de l’acte introductif d’instance constatée d’office par ordonnance du juge aux affaires familiales, ou, à défaut, à la requête d’une partie.
Le défendeur est tenu de constituer avocat dans le délai de quinze jours à compter de l’assignation.
Toutefois, si l’assignation lui est délivrée dans un délai inférieur ou égal à quinze jours avant la date de l’audience, il peut constituer avocat jusqu’à l’audience.Dès le dépôt de la requête formée conjointement par les parties, de la constitution du défendeur ou, à défaut, à l’expiration du délai qui lui est imparti pour constituer avocat, le juge aux affaires familiales exerce les fonctions de juge de la mise en état ».
Saisine par requête
La date de la requête est le jour de son dépôt au greffe.
Selon l’article 1138 du code de procédure civile, le défendeur est convoqué par le greffe :
« Dans les quinze jours de la requête, le greffe convoque le défendeur à l’audience par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
Toutefois, lorsque la requête mentionne que l’adresse du défendeur est la dernière adresse connue, le greffe invite le requérant à procéder par voie de signification.
Le greffe avise par tous moyens l’auteur de la demande des lieu, jour et heure de l’audience.
L’assignation ou la convocation mentionne, à peine de nullité, les dispositions des articles 1139 à 1141 ».
Dans les litiges internationaux, le demandeur a intérêt à demander au greffe de tamponner la requête avec la date et l’heure précise afin d’éliminer les questions relatives à la litispendance internationale.
Saisine par assignation
La date de l’assignation est le jour de sa signification par commissaire de justice au défendeur qui vaut convocation à l’audience.
Le demandeur devra procéder à l’enrôlement de l’assignation au moins quinze jours avant la date d’audience.
Apport de l’arrêt
Rappel des faits et de la procédure
Une fille naît d’une union d’un couple le 23 octobre 2012 à Nantes (France).
Le couple se sépare.
Par requête du 28 mai 2019, le père saisit le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance (nouvellement nommé tribunal judiciaire) de Nantes aux fins de voir statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. La résidence habituelle de l’enfant est fixée en France au moment de la saisine de la juridiction française.
Le 17 mars 2020, la mère saisit une juridiction allemande aux mêmes fins. L’enfant ayant déménagé entre-temps, sa résidence est de facto située en Allemagne au moment de la saisine du juge allemand.
Le 18 septembre 2020, le père fait signifier par commissaire de justice à la mère la requête qu’il a déposée au greffe du tribunal de grande instance de Nantes le 28 mai 2019.
En l’espèce, il paraît difficile de retenir une situation de litispendance qui est subordonnée à la réunion des trois critères : une dualité d’instances en cours – entre les mêmes parties – ayant le même objet et la même cause – soumises à des tribunaux différents également compétents. Or, le seul juge compétent est celui de la résidence habituelle de l’enfant (sauf l’autonomie de la volonté des parents permettant de choisir la juridiction qui statuera sur la responsabilité parentale autre que celui de la résidence habituelle de l’enfant).
Position des parties
Devant les juges du fond, la question était de déterminer à quel moment la juridiction française est réputée saisie :
- Selon le père : la date du dépôt de la requête constitue une date de la saisine de la juridiction française. Or, le juge français a été saisi le 28 mai 2019. A ce moment, la résidence de la fille du couple était fixée en France, le juge français devra statuer sur les modalités de la responsabilité parentale.
- Selon la mère : c’est la date de la signification de la requête à son encontre. La requête a été signifiée tardivement en date du 18 septembre 2020. Plus d’une année s’est écoulée entre la date du dépôt et la date de signification. La résidence de l’enfant était en Allemagne au moment de la signification de la requête. Elle considère que seul le juge allemand est compétent pour connaître ce litige.
Arrêt de la cour d’appel
Par décision en date du 25 octobre 2021, la cour d’appel de Rennes donne raison à la mère et déclare la juridiction française incompétente estimant que le père a « commis de graves négligences en s’abstenant d’aviser le greffe en temps utile de la nouvelle adresse de Mme [W] en Allemagne et d’informer celle-ci de la procédure en cours avant l’assignation qu’il lui a fait délivrer le 18 septembre 2020, date à laquelle l’enfant n’avait plus sa résidence habituelle en France mais en Allemagne, de sorte qu’il n’est pas possible, au regard de l’ article 16 du règlement 2201/2003, de considérer que la juridiction française a été valablement saisie par la requête déposée le 28 mai 2019 ».
La cour d’appel sanctionne le père faute pour lui d’avoir accompli les diligences nécessaires après le dépôt de la requête ayant abouti à une information tardive de la défenderesse. Le père ayant « commis de graves négligences », la mère n’a pu prendre connaissance de la requête qu’au moment de la signification. Ainsi le seul acte introductif d’instance valable était l’assignation selon la cour d’appel. La juridiction française a été saisie au moment où la signification a été effectuée.
Pourvoi en cassation
Le père forme un pourvoi en cassation.
D’une part, le demandeur au pourvoi indique que la compétence est appréciée au moment où la juridiction est saisie (article 8 du règlement).
D’autre part, il évoque l’article 16 du règlement Bruxelles II bis qui définit le moment de la saisine de la juridiction :
« Une juridiction est réputée saisie : a) à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur [pour les requêtes]; ou b) si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction [pour les assignations]. » |
Le père soutient que la cour d’appel a violé les dispositions des articles précités en se plaçant, pour apprécier la résidence habituelle de l’enfant, à la date du 18 septembre 2020, date à laquelle il a fait signifier la requête qu’il avait déposée au greffe du tribunal de grande instance de Nantes le 28 mai 2019, et non la date de cette requête, au motif inopérant qu’il aurait manqué de diligence et fait preuve de négligences dans la conduite de la procédure.
Quel que soit le mode de la saisine, l’allocution « à condition » signifie que le demandeur à la procédure doit accomplir les diligences postérieures requises par le droit interne pour que la juridiction soit valablement saisie.
Décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation casse et annule le 22 novembre 2023, en toutes dispositions l’arrêt de la cour d’appel de Rennes :
« 9. Pour déclarer la juridiction française incompétente au profit de la juridiction allemande saisie, l’arrêt retient que M. [S] a commis de graves négligences en s’abstenant d’aviser le greffe en temps utile de la nouvelle adresse de Mme [W] en Allemagne et d’informer celle-ci de la procédure en cours avant l’assignation qu’il lui a fait délivrer le 18 septembre 2020, date à laquelle l’enfant n’avait plus sa résidence habituelle en France mais en Allemagne, de sorte qu’il n’est pas possible, au regard de l’article 16 du règlement 2201/2003, de considérer que la juridiction française a été valablement saisie par la requête déposée le 28 mai 2019. » 10. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que M. [S] avait déposé sa requête auprès de la juridiction française puis régulièrement assigné Mme [W], la cour d’appel a violé les textes susvisés. |
D’un point de vue pragmatique, la Cour de cassation détermine que la requête a été déposée devant le juge français (i) et que cette requête a été régulièrement signifiée à la défenderesse (ii). Le requérant a ainsi accompli les diligences exigées par la loi procédurale. C’est la seule condition que les juridictions doivent vérifier.
Pour ce qui est de graves négligences commises par le demandeur (signification tardive, absence d’information sur le changement d’adresse), elles ne doivent pas être prises en compte par les juges du fond dès lors que le requérant a accompli les seules démarches requises par les textes pour porter l’acte à la connaissance de la défenderesse, même tardivement.
Cette décision retire les possibilités de contrôle subjectif des juges du fond et prévient des contestations éventuelles relatives à l’interprétation des négligences.
En pratique, en l’espèce, l’enfant résidait en Allemagne depuis quelques années. Sans doute, peut-il être considéré qu’il serait dans l’intérêt de l’enfant que la juridiction plus proche statue sur son sort (soit le juge allemand). Toutefois, le règlement européen en figeant la compétence au jour de la saisine de la juridiction admet lui-même la situation où le juge d’un autre pays que celui de la résidence habituelle statue sur les modalités relatives à l’enfant. Il empêche aussi le passage en force du parent qui choisirait la justice d’un pays qu’il suppose être plus favorable.
En résumé, la juridiction française est réputée saisie le jour où la requête est déposée sous réserve que les formalités procédurales ont été accomplies.
Incertitudes restantes
A ce jour, une question subsiste quant à la date de la saisine de la juridiction par assignation.
L’article 16 du règlement Bruxelles II ter indique qu’il s’agit de la « date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification ».
S’agit-il de la date de transmission de l’assignation au commissaire de justice français ou de la date de transmission par le commissaire de justice français à l’autorité étrangère ou d’une date de réception par l’autorité étrangère ?
Le règlement Bruxelles I bis est plus précis à cet effet puisqu’il indique dans son article 32. 1 que « l’autorité chargée de la notification ou de la signification visée au point b) est la première autorité ayant reçu les actes à notifier ou à signifier ». Autrement dit, à partir du moment où l’autorité a reçu l’acte, la juridiction est réputée saisie. Si cette solution est largement privilégiée par la doctrine, il existe des incertitudes sur sa transposabilité aux affaires familiales.
Enfin, les juridictions ont tendance à appliquer l’article 1108 du code de procédure civile pour retenir que la juridiction est saisie au moment de l’enrôlement de l’acte. Toutefois, cette solution n’a pas de fondement à la lecture de l’article 17 du règlement Bruxelles II ter étant ajouté qu’il n’est pas possible d’apprécier le droit européen à l’aune du droit interne.
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