Jurisprudences
Divorce : recevabilité de l’appel du fondement du divorce
Cass. civ. 1ère, 12 juill. 2023, n° 21-19.258
Divorce – Séparation de corps
Enseignement de l'arrêt
Après avoir hésité, la Cour de Cassation semble permettre à un époux de faire appel du fondement et donc du principe du divorce alors qu’il a obtenu gain de cause de ce chef, prorogeant ainsi la durée d’application des mesures provisoires. Les juges du fond ne se rallient pas tous à cette position.
L’encadrement du droit à interjeter appel du prononcé du divorce
La teneur de la question
Selon l’article 229 du code civil, le divorce peut être prononcé en cas d’acceptation du principe de la rupture du mariage par les époux, d’altération définitive du lien conjugal, de faute de l’un des époux ou lorsque les deux époux s’entendent à propos du principe et des conséquences du divorce (il s’agit alors d’un divorce par consentement mutuel).
« Les époux peuvent consentir mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire.
Le divorce peut être prononcé en cas :
-soit de consentement mutuel, dans le cas prévu au 1° de l’article 229-2 ;
-soit d’acceptation du principe de la rupture du mariage ;
-soit d’altération définitive du lien conjugal ;
-soit de faute. »
Bien entendu, le principe du double degré de juridiction s’applique à un jugement de divorce, de sorte que des époux peuvent interjeter appel d’un jugement ayant prononcé leur divorce.
La question se pose toutefois de savoir s’ils le peuvent même lorsque la décision de première instance a accueilli favorablement leur demande sur la question du fondement du divorce : les époux ayant consenti au principe de la rupture du mariage ou ceux ayant sollicité le prononcé d’un divorce pour faute lorsque cette faute est reconnue par le Juge aux affaires familiales, peuvent-il interjeter appel du chef du jugement prononçant leur divorce ? Les époux vivant séparément depuis plus d’un an et ayant donc sollicité le prononcé de leur divorce pour altération définitive du lien conjugal peuvent-ils interjeter appel du prononcé du divorce lorsque le jugement a retenu cette cause ?
Dit autrement, un époux peut-il interjeter appel du prononcé du divorce alors même que ce dernier a obtenu gain de cause en première instance sur ce fondement ?
Avant la réforme de la procédure d’appel, entrée en vigueur le 1er septembre 2017, la réponse était affirmative : dès lors que l’appelant avait succombé sur un seul chef, quel qu’il soit, il était recevable à exercer un appel général contre le jugement de divorce (Civ. 1ère, 4 juin 2007, n°05-20.079).
La question se posait toutefois depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure d’appel, interdisant désormais l’appel global. L’effet dévolutif de l’appel ne s’exerçant désormais qu’à l’égard des chefs du jugement expressément critiqués. L’appelant devait-il alors désormais justifier d’un intérêt à interjeter appel pour chacun des chefs expressément critiqués ?
Première tendance de la Cour de cassation : l’impossibilité pour l’époux ayant obtenu gain de cause de ce chef d’interjeter appel du fondement du divorce
Dans un arrêt en date du 15 décembre 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation avait affirmé qu’en cas d’appel sur le principe du divorce sur demande acceptée, ce dernier n’acquérait force de chose jugée qu’à l’issue de la procédure d’appel par application de l’article 542 du code de procédure civile. De sorte qu’il était permis de douter du maintien de la solution en vigueur sous l’ancienne procédure.
Toutefois, aux termes de son avis 20 avril 2022 (Civ.1ere, 20 avril 2002, n° 22-70.001), la Cour de cassation a affirmé que « lorsque le divorce a été prononcé conformément à ses prétentions de première instance, l’intérêt d’un époux à former appel de ce chef ne peut s’entendre de l’intérêt à ce que, en vertu de l’effet suspensif de l’appel, le divorce n’acquière force de chose jugée qu’à la date à laquelle les conséquences du divorce acquièrent elles-mêmes force de chose jugée. »
Dit autrement, selon cet avis, l’époux ayant obtenu gain de cause en première instance à propos du fondement du divorce ne pouvait pas interjeter appel de ce chef.
L’impact de cette interrogation a des conséquences pratiques très sensibles: si un époux ayant obtenu gain de cause sur le fondement du divorce en première instance ne peut pas interjeter appel de ce chef, le principe du divorce est acquis et il ne peut pas faire durer le versement du devoir de secours (dû jusqu’au prononcé définitif du divorce) en initiant une procédure d’appel.
Une possibilité élargie d’interjeter appel du prononcé du divorce
Les hésitations de la jurisprudence : débat entre la Cour de cassation et les juges du fond
Par plusieurs arrêts, la Cour de cassation est revenue sur son avis du 20 avril 2022, considérant qu’un époux pouvait interjeter appel du chef du fondement (et donc du principe) du divorce même s’il avait obtenu gain de cause à ce sujet dans le cadre de la procédure de première instance (Civ. 1, 9 juin 2022, n°20-22793, Civ. 1, 12 juillet 2023, n°21-19.258, Civ. 1, 14 juin 2023, n°23-70005).
Ces décisions s’éloignent donc de l’avis de la Cour de cassation du 20 avril 2022 (Civ.1ere, 20 avril 2002, n° 22-70.001) et, même, de l’état d’esprit de la réforme de la procédure d’appel, qui avait notamment pour objectif d’obliger l’appelant à justifier de son intérêt à interjeter appel pour chaque chef du jugement attaqué.
En pratique, ces arrêts peuvent également être contestées en ce qu’elles permettent à un époux ayant pourtant obtenu gain de cause de prolonger la procédure en obligeant l’autre époux à discuter à nouveau du principe du divorce.
La Cour d’appel d’Aix en Provence a toutefois rappelé que les juges du fond ne se sentaient pas systématiquement tenus par la jurisprudence de la Cour de cassation. Ainsi, dans un arrêt du 23 mai 2023 (CA Aix en Provence, 23 mai 2023, n°22/02238), les juges du fond sont revenus à l’avis de la Cour de cassation du 20 avril 2022 et ont fait droit à la demande d’un époux sollicitant l’irrecevabilité de l’appel de son épouse qui avait obtenu le prononcé du divorce pour altération définitive du lien conjugal dans le cadre de la procédure de première instance.
Il semble que cette décision n’ait pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation mais, si tel était le cas, compte tenu de la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière, il est assez probable que cet arrêt ferait l’objet d’une cassation sur ce point.
Cette décision nous permet toutefois de nous souvenir que l’aléa judiciaire existe toujours.
Les conséquences de l’appel du prononcé du divorce
L’enjeu de savoir si un époux ayant obtenu gain de cause en première instance peut interjeter appel du chef du divorce est double : le maintien du devoir de secours et la date à laquelle le juge doit se fixer pour déterminer le montant de la prestation compensatoire.
Dans un arrêt du 12 juillet 2023 (Cass. 1re civ., 12 juill. 2023, n° 21-19.258), la Cour de cassation a précisé que, pour apprécier la demande de prestation compensatoire, le juge doit se placer à la date à laquelle la décision prononçant le divorce prend force de chose jugée. Ainsi, lorsque ni l’appel principal ni l’appel incident ne portent sur le prononcé du divorce, il acquiert force de chose jugée à la date du dépôt des conclusions de l’intimé mentionnées à l’article 909 du Code de procédure civile. Cette solution a été réitérée, notamment aux termes d’un arrêt du 5 janvier 2023 (Civ. 1, 5 janvier 2023, n° 21-14.599).
En revanche, en cas d’appel du prononcé du divorce, ce dernier ne devient définitif qu’au prononcé de l’arrêt, sauf acquiescement ou désistement. Le juge doit donc se placer à cette date pour fixer le montant de la prestation compensatoire.
Concrètement, cela signifie également qu’en cas d’appel sur le prononcé du divorce, le devoir de secours est dû jusqu’au prononcé de l’arrêt d’appel.
Dit autrement, l’époux bénéficiaire du devoir de secours a tout intérêt à interjeter appel du prononcé du divorce pour continuer à percevoir une pension alimentaire pendant le temps de la procédure. De la même façon, l’époux qui anticipe que sa situation financière va se dégrader pendant la procédure d’appel a également intérêt à interjeter appel du principe du divorce afin que la Cour d’appel se positionne au jour de sa décision pour déterminer le montant de la prestation compensatoire.
Cet article vous intéresse ? Découvrez aussi les contenus suivants
jurisprudences et lois commentées
Divorce : recours au divorce accepté
Rép. min. n° 06417 : JO Sénat 3 août 2023
jurisprudences et lois commentées