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Droit des successions

L’usufruitier et l’abus de jouissance

Cass. civ. 1ère, 2 oct. 2024, n°22-15.701

Liquidation et partage de successions

Enseignement de l'arrêt

  • La carence dans l’exercice du droit de jouissance peut être considérée comme un abus de jouissance et fonder une déchéance totale de l’usufruit au titre de l’article 618 du Code civil.
  • L’abus de jouissance est de l’appréciation souveraine des juges du fond. 

La déchéance totale de l’usufruit prononcée par la Cour d’appel

Un homme décède. Il laisse pour lui succéder deux enfants issus d’une première union et son épouse commune en biens. L’épouse bénéficie de l’usufruit de l’universalité des biens composant la succession en vertu d’une donation au dernier vivant, notamment sur un bien immobilier.

Au cours de l’usufruit la valeur vénale du bien immobilier baisse de manière significative, passant de 290.000 € à 130.000 €. Les héritiers réservataires accusent la carence d’entretien de l’usufruitière dans l’exercice de son droit témoignant d’un abus de jouissance.

La Cour d’appel de Rouen par un arrêt en date du 2 mars 2022, prononce l’extinction de l’usufruit en vertu de l’article 618 du Code civil après appréciation des photos versées au débat et au regard de la perte de valeur de l’immeuble très dégradé et l’importance des travaux à réaliser.

« L’usufruit peut aussi cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien.

Les créanciers de l’usufruitier peuvent intervenir dans les contestations pour la conservation de leurs droits ; ils peuvent offrir la réparation des dégradations commises et des garanties pour l’avenir.

Les juges peuvent, suivant la gravité des circonstances, ou prononcer l’extinction absolue de l’usufruit, ou n’ordonner la rentrée du propriétaire dans la jouissance de l’objet qui en est grevé, que sous la charge de payer annuellement à l’usufruitier, ou à ses ayants cause, une somme déterminée, jusqu’à l’instant où l’usufruit aurait dû cesser ».

La décision de la Cour de cassation

La motivation du pourvoi

La conjointe survivante forme un pourvoi en cassation considérant que les photographies versées au débat font apparaître que le bien reste parfaitement habitable et comporte beaucoup de mobilier. En outre, elle considère que les juges du fond, en se fondant simplement sur des photos sans mieux s’expliquer sur l’état du bien, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 618 du Code civil. 

La réponse de la Cour de cassation

La première chambre civile de la Cour de cassation a considéré qu’il revient au Juge du fond d’apprécier souverainement l’abus de jouissance. La cour d’appel n’est pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation. C’est à bon droit qu’elle retient que la carence totale et ancienne du conjoint survivant dans l’exercice de son usufruit était à l’origine de la dégradation manifeste de l’immeuble. Cette carence a eu pour conséquence de rendre obligatoire la réalisation de travaux lourds et onéreux avant toute entrée dans les lieux. 

Analyse de la solution de la Cour de cassation

La Cour de cassation se prononce rarement sur l’application de l’article 618 du Code civil. Les arrêts en la matière sont rares. L’arrêt en date du 2 octobre 2024 vient rappeler qu’il revient à l’appréciation souveraine des Juges du fond de caractériser l’abus de jouissance et que la sanction prévue par l’article précité n’est pas simplement théorique.

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