Aller au contenu

Droit des successions

Donation - Conditions de renonciation à l’usufruit

Cass. civ. 3e, 14 nov. 2024, n°23-16507

Anticipations de successions

Enseignement de l'arrêt

La Cour de cassation rappelle qu’en cas de donation avec réserve d’usufruit, l’acte emportant renonciation à celui-ci exige :

  • l’identification précise de l’objet de la renonciation ;
  • et l’intervention de l’ensemble des usufruitiers.

Rappel juridique

L’usufruit est « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance » (article 578 du Code civil).

« L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ».

Le propriétaire d’un bien peut consentir une donation de celui-ci, en totalité ou en partie. Il peut notamment consentir une donation en nue-propriété d’un bien et se réserver l’usufruit de celui-ci : c’est l’hypothèse de la donation avec réserve d’usufruit

La durée de l’usufruit est habituellement fixée sur la durée de vie du donateur mais elle peut aussi être fixée pour un délai fixe. 

La donation d’usufruit  peut encore être optimisée en prévoyant un « usufruit successif » (parfois appelé « réversion d’usufruit » bien que cela soit juridiquement inexact). Dans cette hypothèse, le propriétaire d’un bien consent une donation en nue-propriété, décide de se réserver l’usufruit sa vie durant et de concéder sur ce même bien un second usufruit ne commençant qu’à l’expiration du premier.

Faits de l’espèce

Par acte notarié du 18 janvier 1989, un couple procède à une donation-partage de la nue-propriété de leurs biens au profit de leurs trois enfants, Madame [Y] [F] et Messieurs [T] et [U] [P]. Les parents donateurs conservent l’usufruit en se consentant un usufruit successif croisé sur la tête de chacun d’entre eux. 

Le 13 septembre 1989, ils signent un document dactylographié dans lequel ils renoncent à leur usufruit mais sur les seuls biens donnés à leur fille. Ils écrivent renoncer «à l’usufruit qu’ils pourraient prétendre sur toute construction ou bâtiment qui serait érigé dans le futur sur la parcelle appartenant en nue-propriété à Mme [L] [F], née [P], enseignante, épouse de M. [H] [Y] [F]. En d’autres termes, Mme [L] [Y] [F]-[P] et sa famille sont seuls usufruitiers des bâtiments qu’ils pourraient ériger sur le terrain situé à [Localité 8] selon la donation-partage qui a été faite et passée en l’étude de Me [B] [D] le 13 janvier 1989».

Le 16 novembre 1989, le père s’engage à nouveau auprès de sa fille et lui écrit «pour la bonne règle, je te confirme la promesse que je t’ai faite devant Mamy de prendre l’engagement pour que tu puisses construire en toute quiétude votre maison, de te donner, ceci devant notaire, l’usufruit de la totalité de ta parcelle, et ceci au plus tard au moment où sera effectuée la remise à [son frère] de la parcelle au bord du lac qui lui est attribuée»

Le père décède le 18 décembre 2006.

Par acte du 20 octobre 2017, la mère assigne sa fille en condamnation à son profit à une somme annuelle de 67 000 € à compter de l’année 2012, au titre de l’occupation des terrains objet de la donation-partage.

La mère décède en Suisse le 19 février 2023.

La Cour d’appel fait droit à la demande de la mère et condamne la fille à payer un loyer au titre de l’occupation des terrains litigieux. 

La fille Madame [Y] [F] se pourvoit en cassation.

Réponse de la Cour de cassation

A l’appui de son pourvoi, la demanderesse considère que :

  • le juge a l’obligation de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ; 
  • l’usufruitier peut renoncer à son droit, par tout acte de nature à manifester sans équivoque sa volonté de renoncer ; que cette renonciation n’est soumise à aucune forme particulière ;

La Cour de cassation considère que :

  • si le bénéficiaire peut consentir une renonciation à son droit sans aucune forme particulière, elle ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer,
  • dans les cas de donation avec réserve d’usufruit, l’acte de renonciation suppose l’intervention de l’ensemble des usufruitiers.

Au cas d’espèce, la Cour de cassation observe que :

  • au sein de l’acte sous seing privé du 13 septembre 1989, les époux ont déclaré renoncer expressément à l’usufruit auquel ils pourraient prétendre sur toute construction ou bâtiment qui serait érigé dans le futur sur la parcelle donnée en nue-propriété à leur fille mais que l’acte précisait qu’elle et son époux seraient seuls usufruitiers des bâtiments qu’ils pourraient ériger sur le terrain ; 
  •  l’engagement du père du 16 novembre 1989 de donner à sa fille l’usufruit de la totalité de la parcelle confirmait que celle-ci n’en disposait pas jusqu’alors, en dehors de la partie à construire.

En conséquence, elle valide le raisonnement de la Cour d’appel considérant que les donateurs n’avaient pas renoncé à tout usufruit sur les terrains donnés à leur fille.