Jurisprudences
Filiation – reconnaissance des décisions étrangères par l’exequatur établissant la filiation des enfants issus d’une GPA
Cass. civ. 1ère, 14 nov. 2024, n°23-50.016
Enfants – Filiation et adoption
Enseignement de l'arrêt
L’exequatur d’un jugement étranger établissant la filiation d’une mère d’intention à l’égard d’un enfant issu d’une GPA, ne s’oppose pas à l’Ordre Public International français. L’exequatur de ce jugement doit amener à la reconnaissance du lien de filiation de l’enfant, et non à une adoption plénière.
La GPA dans l’ordre juridique français
Historique et droit actuel
En France, l’article 16-7 du Code civil prohibe le recours à la gestation pour autrui.
« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. »
Cette prohibition s’explique par le principe d’indisponibilité du corps humain et le principe d’indisponibilité de l’état des personnes.
Cette position française n’est pas partagée par tous les pays. En effet, certains pays admettent le recours à la gestation pour autrui et l’encadrent juridiquement. Ainsi, des contrats de droit privé sont établis entre la mère porteuse et les parents d’intention, sous réserve d’une compensation financière parfois importante.
De plus en plus de français ayant un désir d’enfant font le choix de recourir à la gestation pour autrui dans un pays étranger. Une fois que l’enfant est né, se pose la question de l’établissement de sa filiation sur les actes d’états civils français, et particulièrement le lien entre l’enfant et son parent d’intention puisque le parent biologique se voit automatiquement établir sa filiation.
Alors que la Cour de cassation avait autorisé la transcription sur les actes d’état civil établis à l’étranger (Cass. ass. plén., 4 oct. 2019, n° 10-19.053 : JurisData n° 2019-016985), la loi de bioéthique n°2021-1017 du 2 août 2021 a mis fin à cette pratique.
Désormais, un parent d’intention ne peut établir son lien de filiation avec un enfant issu d’une gestation pour autrui que de deux manières :
- par l’exequatur du jugement étranger établissant la filiation,
- par la procédure d’adoption plénière.
Solution différente selon le cadre juridique du pays étranger
L’exéquatur
La procédure d’exequatur d’un jugement étranger permet de faire produire les effets de ce jugement en France. C’est un moyen de rendre le jugement étranger exécutoire en France.
Lorsqu’un jugement étranger établit une filiation entre un parent d’intention et un enfant issu d’une gestation pour autrui, il faut entamer une procédure devant le juge français afin que ce jugement soit exécutoire, donc appliqué en France.
Toutefois, comme notre système interdit de recourir à une mère porteuse, les demandeurs doivent fournir de nombreuses garanties quant au consentement de la mère porteuse.
L’adoption plénière
La procédure d’adoption plénière permet d’établir une filiation adoptive qui remplace la filiation d’origine de l’enfant.
Certains pays étrangers autorisent le recours à une mère porteuse sans pour autant l’encadrer juridiquement. Ainsi, en l’absence de jugement étranger, la seule solution pour faire reconnaitre le lien de filiation est de passer par une procédure d’adoption plénière. Il faut encore une fois, justifier que la mère porteuse souhaite abandonner son enfant au profit du ou des parents d’intention. Parfois, le juge va considérer que le consentement de la mère porteuse n’est pas suffisamment claire, précis et éclairé.
Apport de l’arrêt
Reprise des faits et de la procédure
En l’espèce, une femme seule, recourt à la gestion pour autrui au Canada. Par un jugement du 1er février 2021, la Cour Suprême de la province de Colombie-Britannique (Canada) admet que cette dernière est le seul parent de l’enfant né d’une gestation pour autrui et d’un double don de gamètes par des tiers donneurs. Ainsi, elle détient la garde exclusive de l’enfant et « l’ensemble des droits et responsabilités parentaux à son égard ».
La mère d’intention assigne le Procureur de la République près du Tribunal de Paris afin que soit prononcée l’exequatur du jugement et pour lui faire produire les effets d’une adoption plénière.
Le tribunal judiciaire de Paris, ainsi que la Cour d’appel de Paris font droit à ses demandes.
Le Procureur de la République forme un pourvoi en cassation au visa de l’article 16-7 du Code civil, contre la décision de la Cour d’appel en soutenant que le jugement canadien est contraire à L’ordre Public international français.
L’exequatur d’un jugement étranger établissant une filiation entre une mère d’intention et un enfant issu d’une GPA est-il contraire à l’ordre public international français ?
Position de la Cour de cassation
Par un arrêt du 14 novembre 2024, la Cour de cassation retient que le jugement étranger est exécutoire en France et qu’il n’est pas contraire à l’ordre international public français. Cependant, la Cour de cassation casse et annule dans le même temps la décision de la Cour d’appel qui considère que le jugement étranger produit les effets d’une adoption plénière en France.
Au visa de l’article 509 du Code de procédure civile, la Cour de cassation rappelle qu’en principe, un jugement étranger est exécutoire sur le territoire français.
« Les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi. »
Ainsi, lorsque le jugement étranger donne lieu à une mesure d’exécution sur les biens ou de coercition sur les personnes, il faut passer par l’exequatur du jugement. Le jugement étranger ne produit pas ses effets de plein droit.
La régularité d’un jugement étranger doit être contrôlée par le juge français. Pour accorder l’exequatur à ce jugement, il doit vérifier la régularité internationale de ces jugements et en l’absence de convention internationale, le juge français doit vérifier que 3 conditions sont remplies :
- Le juge étranger doit avoir une compétence indirecte fondée sur le rattachement du litige au juge saisi.
- La conformité de l’ordre public international de fond et de procédure.
- L’absence de fraude.
Dans un premier temps, la Cour de cassation admet qu’en l’espèce le jugement étranger n’est pas contraire à l’ordre public international français. En effet, aucun principe français interdit de reconnaître une filiation établie à l’étranger mais qui ne correspond pas à la réalité biologique.
La Cour de cassation revient sur les cas où le droit français autorise d’établir une filiation qui ne correspond pas à la réalité biologique, et notamment depuis l’ouverture de la procréation médicalement assistées aux couples de femmes et aux femmes seules.
Dans un second temps, la Cour de cassation rappelle que l’ordre public international français inclut la Convention européenne des droits de l’homme et notamment l’article 8 de cette convention qui consacre le respect du droit à la vie privée de l’enfant.
Le simple fait que la filiation d’un enfant soit établie par une convention de gestation pour autrui ne suffit pas à faire obstacle à la reconnaissance en France du lien de filiation entre l’enfant et son parent d’intention.
Ainsi, refuser d’établir une telle filiation est une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant.
L’absence de lien biologique entre l’enfant et la mère d’intention ne suffit pas à caractériser une fraude à l’adoption internationale, et une violation de l’ordre public international français.
La Cour de cassation rappelle toutefois que le juge doit toujours s’assurer du consentement de la mère porteuse à la convention de gestation pour autrui, et doit connaître la qualité des membres du projet parental.
Cependant, la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel qui admet que le jugement canadien produit les effets d’une adoption plénière. En effet, la décision canadienne n’est pas un jugement d’adoption plénière, et le juge français est tenu d’accorder l’exequatur d’un jugement étranger, ce qui ne lui permet pas de le réviser.
Cette décision révèle les enjeux de l’établissement du lien de filiation d’un enfant issu d’une GPA, notamment entre le droit positif français qui interdit le recours à la GPA et l’établissement de filiation par des jugements étrangers reconnus en France.
Les avancées scientifiques sur la procréation interrogent notre droit de la filiation qui ne connaît que la filiation adoptive et la filiation non adoptive. En admettant l’exequatur des jugements étrangers, la filiation établie n’entre véritablement dans aucune de ces deux catégories. D’une part, car elle n’est plus basée sur une réalité biologique, d’autre part car la filiation ne peut pas être adoptive.
Pourtant, c’est également le cas depuis l’ouverture de la PMA aux femmes seules.
Cette décision met en avant le rôle du juge dans la procédure d’exequatur et notamment le contrôle qui doit être opéré avant de l’accorder. Il est une fois encore rappelé que le consentement de la mère porteuse est essentiel et que l’enfant doit être né dans le cadre d’un projet parental construit.
Pour conclure, le juge français est tenu de reconnaitre une filiation établie à l’étranger issue d’une GPA dès lors qu’il s’assure du consentement de la mère porteuse et de l’identité des membres du projet parental. Cette décision semble être une fenêtre à l’introduction des filiations issues de GPA sur le territoire français.
Cette décision semble s’inscrire dans un mouvement européen qui veut faciliter l’établissement de ces filiations issues de GPA. En Espagne par exemple, non seulement le transfert de l’acte d’état civil étranger de l’enfant vers l’état civil espagnol est autorisé mais désormais les parents peuvent modifier le lieu de naissance de l’enfant par celui du domicile familial. C’est ce qu’a admis la Cour Suprême Espagnole le 17 septembre 2024 (décision n°1141/2024).
Les enjeux de la décision
Cette décision révèle les enjeux de l’établissement du lien de filiation d’un enfant issu d’une GPA, notamment entre le droit positif français qui interdit le recours à la GPA et l’établissement de filiation par des jugements étrangers reconnus en France.
Les avancées scientifiques sur la procréation interrogent notre droit de la filiation qui ne connaît que la filiation adoptive et la filiation non adoptive. En admettant l’exequatur des jugements étrangers, la filiation établie n’entre véritablement dans aucune de ces deux catégories. D’une part, car elle n’est plus basée sur une réalité biologique, d’autre part car la filiation ne peut pas être adoptive.
Pourtant, c’est également le cas depuis l’ouverture de la PMA aux femmes seules.
Cette décision met en avant le rôle du juge dans la procédure d’exequatur et notamment le contrôle qui doit être opéré avant de l’accorder. Il est une fois encore rappelé que le consentement de la mère porteuse est essentiel et que l’enfant doit être né dans le cadre d’un projet parental construit.
Pour conclure, le juge français est tenu de reconnaitre une filiation établie à l’étranger issue d’une GPA dès lors qu’il s’assure du consentement de la mère porteuse et de l’identité des membres du projet parental. Cette décision semble être une fenêtre à l’introduction des filiations issues de GPA sur le territoire français.
Cette décision semble s’inscrire dans un mouvement européen qui veut faciliter l’établissement de ces filiations issues de GPA. En Espagne par exemple, non seulement le transfert de l’acte d’état civil étranger de l’enfant vers l’état civil espagnol est autorisé mais désormais les parents peuvent modifier le lieu de naissance de l’enfant par celui du domicile familial. C’est ce qu’a admis la Cour Suprême Espagnole le 17 septembre 2024 (décision n°1141/2024).
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