Aller au contenu

Droit des successions

Succession - Validité du testament international

Cass. ass. plénière, 17 janv. 2025, n°23-18.823

Droit international privé de la famille

Enseignement de l'arrêt

Il est possible de recevoir un testament en la forme internationale dans une langue non comprise par le testateur dès lors que celui-ci est assisté d’un interprète répondant aux conditions requises par la loi interne.

Rappel du contexte légal

Objectif de la convention de Washington

La Convention de Washington du 28 octobre 1973 portant loi uniforme sur la forme d’un testament international entrée en vigueur en France le 1er décembre 1994 élaborée par l’Institut International pour l’unification du droit privé (UNIDROIT) qui a pour objectif -ambitieux mais précieux- de prévoir une forme de testament qui pourrait être admise par la loi interne de tous les pays. Les avocats spécialisés en droit international de la famille -et en premier lieu les membres de notre cabinet- l’appellent de leurs vœux depuis longtemps.

La Convention a plus précisément pour objet d’assurer la reconnaissance directe par chaque droit national de la validité formelle du testament international. La Convention de Washington a pour but d’introduire dans chaque État contractant une nouvelle forme de testament, qui s’ajoutera à celles déjà connues, appelée « testament international ». Il faciliterait grandement le traitement des successions internationales pour les héritiers et leurs avocats et le contentieux lié à la remise en cause des testaments.

Les États-signataires de la convention sont pour l’heure : le Canada, le Niger, la Libye, le Portugal et l’ex-Yougoslavie ; l’Équateur ; le Chypre ; la Belgique ; l’Italie ; la Slovénie ; la Bosnie-Herzégovine, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Iran, la Sierra Leone, Taïwan, le Laos, le Saint-Siège, la Russie et l’ex-Tchécoslovaquie. 

Le testament international fait partie du droit matériel des États ayant ratifié cette convention. Il est donc valable dans les relations réciproques de ces États dès lors que ses conditions de forme ont été respectées, quel que soit le lieu de situation des biens, la nationalité ou le domicile du testateur.

Forme du testament international

Le testament est valable d’un point de vue formel dès lors qu’il respecte la forme prévue par la Convention de Washington. Le testament doit être établi par écrit, pas nécessairement de la main du testateur ni manuscrit, dans une langue quelconque.

Article 3 de la loi uniforme annexée à la convention de Washington :

1. Le testament doit être fait par écrit.

2. Il n’est pas nécessairement écrit par le testateur lui-même.

3. Il peut être écrit en une langue quelconque, à la main ou par un autre procédé.

Le testateur doit déclarer devant deux témoins et une personne habilitée à instrumenter (en France, un notaire) que le document est son testament et qu’il en connaît le contenu, sans être tenu d’en donner le contenu aux témoins, ni à la personne habilitée. En présence de ceux-ci, il signe le testament ou reconnaît sa signature ; les témoins et la personne habilitée doivent en faire de même.

Article 4 de la loi uniforme annexée à la convention de Washington :

1. Le testateur déclare en présence de deux témoins et d’une personne habilitée à instrumenter à cet effet que le document est son testament et qu’il en connaît le contenu.

2.  Le testateur n’est pas tenu de donner connaissance du contenu du testament aux témoins, ni à la personne habilitée.

La loi uniforme n’apporte pas de précisions quant à la possibilité pour le testateur de se faire assister d’un interprète, laquelle n’est prévue qu’à l’article 5 de la convention de Washington.

Article 5 de la loi uniforme annexée à la convention de Washington :

Les conditions requises pour être témoin d’un testament international sont régies par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée. Il en est de même à l’égard des interprètes éventuellement appelés à intervenir.

La loi du 29 avril 1994 par laquelle la France a procédé à la désignation de la personne habilitée à instrumenter sur le territoire national ne contient aucune disposition relative à l’intervention d’un interprète. 

L’arrêt commenté indique que ces textes peuvent recevoir deux interprétations différentes quant à la possibilité, en matière de testament international, de pallier la méconnaissance par le testateur de la langue qu’il a choisie pour tester en recourant à un interprète (interprétation n°1 choisie par la chambre civile et interprétation n°2 choisie par l’Assemblée plénière ci-dessous).

Apport de l’arrêt

Rappel des faits

Une femme, de nationalité italienne, décède le 28 février 2015, en laissant pour lui succéder ses trois filles ainsi que son petit-fils, venant par représentation de sa mère, prédécédée.

La défunte institue ses trois filles légataires de la quotité disponible par testament authentique.

Ce testament est reçu en France le 17 novembre 2002 en langue française sous la dictée de la testatrice qui s’est exprimée en langue italienne, non comprise par le notaire ni les deux témoins. La défunte ne maîtrise pas la langue française et a donc été assistée par un interprète non-assermenté (selon le petit-fils, la traductrice est une proche des trois filles, bénéficiaires du testament).

D’après le petit-fils, le document notarié ne reflète pas la volonté de sa grand-mère et sollicite donc l’annulation du testament.

Il assigne donc ses tantes en nullité du testament. Celles-ci appellent en intervention forcée le notaire.

Rappel de la procédure

Testament non valide

Une première interprétation tient compte de ce que la loi uniforme, que les États parties ont seule l’obligation d’intégrer à leur droit interne, ne prévoit pas le recours à un interprète (interprétation n°1).

Le 2 mars 2022, la Cour de cassation décide que si « un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l’expression de la volonté de son auteur, celui-ci ne peut l’être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l’aide d’un interprète ».

En d’autres termes, le testament doit être rédigé dans une langue comprise par le testateur, sinon il n’est pas valide.

En résumé, si un testament international peut être écrit en une langue quelconque, celui-ci ne peut cependant l’être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l’aide d’un interprète.

L’Assemblé plénière indique que cette position, approuvée par une partie de la doctrine, s’inscrit dans un courant jurisprudentiel, qui interprétant les règles formelles à l’aune de leur finalité (en l’occurrence favoriser la liberté du disposant et le respect de ses volontés tout en s’assurant de la réalité de ses intentions), subordonne la validité du testament à la faculté pour le testateur d’en vérifier personnellement le contenu (1ère civ., 9 juin 2021 pourvoi n° 19-21.770, publié ; 1ère civ., 12 octobre 2022, pourvoi n° 21-11.408, publié).

Opposition de la cour d’appel de renvoi

Après l’arrêt de la Cour de Cassation, la cour d’appel de Lyon est saisi. Elle ne suit pas cette position et valide le testament en tant que le testament international en retenant qu’aucune disposition de la convention ou de la loi uniforme ne prévoit que le testateur doive nécessairement écrire son testament dans une langue qu’il comprend. 

Le petit-fils continue de poursuivre la nullité du testament et forme un nouveau pourvoi à l’encontre de cet arrêt. Il invoque un moyen unique fondé sur le principe posé par l’arrêt du 2 mars 2022 : la violation de l’article 3 paragraphe 3 et l’article 4 paragraphe 1 de la loi uniforme et de l’article 5 de la convention.

Évolution de la position de la Cour de cassation

Seconde interprétation

Une seconde interprétation tire de l’article 5 paragraphe 1 de la Convention, la possibilité d’avoir recours à un interprète dans les conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée a été désignée. Selon l’Assemblée plénière, cette solution assure, « dans un contexte de mobilité des personnes et d’internationalisation des patrimoines, une application harmonisée des règles du testament international au sein des États ayant ratifié la Convention ».

Langue non comprise par le testateur

L’Assemblée plénière juge que la loi uniforme permet qu’un testament soit écrit dans une langue non comprise du testateur dès lors que, dans ce cas, celui-ci est assisté par un interprète répondant aux conditions requises par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée à instrumenter (le notaire en France) a été désignée.

Recours à un interprète

Aucune disposition de la Convention ni de la loi uniforme ne fait obligation aux États parties d’introduire dans leur législation des dispositions relatives aux conditions d’intervention d’un interprète.

Comme il a été précisé ci-avant, la loi n° 94-337 du 29 avril 1994, qui désigne comme personne habilitée à instrumenter en matière de testament international ne contient pas de telles dispositions.

Comment interpréter le silence de la loi n° 94-337 du 29 avril 1994 ?

La Cour de cassation considère que ce silence ne permet pas en lui-même le recours à un interprète.

Rappel des règles en matière des testaments authentiques

Avant la loi du 16 février 2015

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 16 février 2015, il résultait de la jurisprudence que si le testateur avait la possibilité de dicter son testament dans une langue étrangère, c’était à la condition que les notaires et les témoins comprennent cette langue.  

Le testament reçu par le truchement de l’interprète était donc nul (1ère civ., 18 décembre 1956, Bull. I, n° 469 ; 1ère civ., 15 juin 1961, Bull. n° 317).

La Cour de cassation assimile la forme du testament international à la forme authentique et applique la jurisprudence précitée au testament international.

Après la loi du 16 février 2015

Par loi du 16 février 2015 de simplification du droit la rédaction de l’article 972 du code civil a été modifiée en ce qu’elle permettait désormais l’intervention d’un interprète dans la rédaction d’un testament sous certaines conditions :

« Si le testament est reçu par deux notaires, il leur est dicté par le testateur ; l’un de ces notaires l’écrit lui-même ou le fait écrire à la main ou mécaniquement.

S’il n’y a qu’un notaire, il doit également être dicté par le testateur ; le notaire l’écrit lui-même ou le fait écrire à la main ou mécaniquement.

Dans tous les cas, il doit en être donné lecture au testateur.

Lorsque le testateur ne peut s’exprimer en langue française, la dictée et la lecture peuvent être accomplies par un interprète que le testateur choisit sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel. L’interprète veille à l’exacte traduction des propos tenus. Le notaire n’est pas tenu de recourir à un interprète lorsque lui-même ainsi que, selon le cas, l’autre notaire ou les témoins comprennent la langue dans laquelle s’exprime le testateur.

Lorsque le testateur peut écrire en langue française mais ne peut parler, le notaire écrit lui-même le testament ou le fait écrire à la main ou mécaniquement d’après les notes rédigées devant lui par le testateur, puis en donne lecture à ce dernier. Lorsque le testateur ne peut entendre, il prend connaissance du testament en le lisant lui-même, après lecture faite par le notaire.

Lorsque le testateur ne peut ni parler ou entendre, ni lire ou écrire, la dictée ou la lecture sont accomplies dans les conditions décrites au quatrième alinéa.

Il est fait du tout mention expresse. »

Cette loi ne disposait que pour l’avenir et n’avait pas d’effet rétroactif, le testament reçu avec l’aide d’un interprète avant l’entrée en vigueur de cette loi ne peut donc pas être considérée comme valide en tant que testament authentique. 

En application de ce texte, l’Assemblé plénière indique que si la nouvelle loi a assoupli le formalisme du testament authentique pour permettre, lorsque le testateur ne peut s’exprimer en langue française, que la dictée et la lecture du testament puissent être accomplies par un interprète, c’est sous réserve que cet interprète soit choisi par le testateur sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel. Ainsi, seul un testament authentique recueilli avec le concours d’un tel expert, postérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte, intervenue le 18 février 2015, pourrait, par équivalence des conditions, être déclaré valide en tant que testament international. 

En l’espèce, le testament a été rédigé :

  • par un notaire français avant le 18 février 2015 (date de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi);
  • avec l’aide d’un interprète qui n’était pas inscrit sur une liste d’experts judiciaires.

A titre de rappel, selon la cour d’appel de Lyon, en l’absence, à la date de la rédaction du testament, de disposition du droit interne prévoyant l’intervention d’un interprète, le défaut d’assermentation de l’interprète ayant assisté la testatrice n’était pas de nature à affecter la validité du testament. Pour la Cour de cassation, en revanche, dans la mesure où aucune disposition légale ne permettait à la date du testament litigieux, tant en matière de testament international qu’en matière de testament authentique, de recourir à un interprète pour assister un testateur ne comprenant pas la langue du testament, le testament ne pouvait être validé ni comme testament authentique ni comme testament international.

Si cette solution est en conformité avec le droit interne positif, elle semble contraire à l’article 5 de la Convention qui prévoit le recours à un interprète. 

La solution de la Cour de cassation n’aura pas d’incidence sur la validité du testament reçu en la forme internationale par une personne habilitée d’un autre État partie avec le concours d’un interprète désigné sur les modalités qui auraient été prévues par la législation de cet État. 

Dans le même temps, elle peut conduire à apprécier différemment la validité du testament reçu par une personne habilitée d’un autre État partie et celle d’un testament reçu par une personne habilitée par loi française à l’encontre de la volonté d’uniformisation des rédacteurs de la convention.

Cet article vous intéresse ? Découvrez aussi les contenus suivants

jurisprudences et lois commentées

Droit des successions
Publié le 13 Jan 2025