Cas Pratique
Monsieur Pignon est né en France. Il a deux enfants, Clara et Boris, avec son épouse dont il est divorcé.
Après le divorce, Monsieur Pignon prend la décision de s’installer à New York pour son travail où il demeure depuis. Il acquiert ainsi la nationalité américaine.
En France, Monsieur Pignon possède deux biens immobiliers à Paris, un château à Amboise et un chalet à Chamonix ainsi qu’un compte bancaire ouvert auprès de la Société Générale.
Aux Etats-Unis, grâce à son travail, Monsieur Pignon a réussi à se constituer un patrimoine important.
Monsieur Pignon commence à être âgé et la question de la transmission de son patrimoine se pose. Monsieur Pignon constate avec regret que le lien a été complètement rompu avec ses enfants ces dernières années, l’océan ainsi qu’un manque de compréhension les séparent.
Monsieur Pignon souhaite léguer son patrimoine dans un trust, à sa compagne de longue date et à l’organisation « World Wildlife Fund ». Aujourd’hui, Clara vit en République Tchèque et Boris vit en France, ils bénéficient de conditions de vie confortables.
Que répondre à Monsieur Pignon ?
En matière de successions, le droit français prévoit le mécanisme de la réserve héréditaire qui protège une partie plus ou moins importante de la succession au bénéfice de certains héritiers protégés, dont les enfants. Le droit français ne permet donc pas de les exhéréder.
En revanche, l’État de New-York ne connaît pas le mécanisme de la réserve héréditaire. Le testateur peut disposer de son patrimoine exactement comme il le souhaite et dans toute son étendue.
Le règlement européen relatif à « La compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen » prévoit qu’une personne peut choisir la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès pour régir l’ensemble de sa succession.
Monsieur Pignon peut donc désigner la loi américaine comme loi applicable à l’intégralité de sa succession. Conformément au droit new-yorkais, il peut désigner par testament les bénéficiaires de son patrimoine. Le testateur peut ainsi priver ses enfants de sa succession.
La Cour de cassation a statué à plusieurs reprises sur ce thème en validant l’application du règlement européen et son absence de contrariété à l’ordre public :
« Et attendu qu’après avoir énoncé que la loi applicable à la succession de Maurice Y… est celle de l’Etat de Californie, qui ne connaît pas la réserve, l’arrêt relève, par motifs propres, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’Etat de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux Etats-Unis, où son installation était ancienne et durable et, par motifs adoptés, que les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ; que la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française ; que le moyen n’est pas fondé ».
Ainsi, le juge français devra apprécier au moment du règlement de la succession si Clara et Boris sont dans un état de besoin et dans une situation de précarité.
En savoir plus sur la réserve héréditaireUn tempérament lié à l’article 913 du code civil
Néanmoins, il faut attirer l’attention de Monsieur Pignon à la modification de l’article 913 alinéa 3 du code civil qui prévoit depuis le 1er novembre 2021 que :
« Lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci ».
« Les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s’il ne laisse à son décès qu’un enfant ; le tiers, s’il laisse deux enfants ; le quart, s’il en laisse trois ou un plus grand nombre.
L’enfant qui renonce à la succession n’est compris dans le nombre d’enfants laissés par le défunt que s’il est représenté ou s’il est tenu au rapport d’une libéralité en application des dispositions de l’article 845. »
Force est de constater que cet article contredit les dispositions du règlement européen relatifs aux successions. Néanmoins, en l’état actuel du droit et du patrimoine de Monsieur Pignon, Clara et Boris, qui sont tous les deux de nationalité française et résident en France, pourront effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France.
Est-ce votre cas ? Si vous n’êtes pas dans ce cas spécifique, mais que vous vivez à l’étranger ou que votre patrimoine n’est pas uniquement situé en France, n’hésitez pas à nous contacter. |
Cet article vous intéresse ? Découvrez aussi les contenus suivants
Guide des successions
Les héritiers de la succession
jurisprudences et lois commentées
Réserve héréditaire et ordre public international
Rép. Min. n°7936, JOAN 21 nov. 2023
jurisprudences et lois commentées