Cas Pratique
Tutelle
Je souhaite remettre en cause le testament et la donation d’une personne placée sous tutelle
Liquidation et partage de successionsMonsieur Jean Titouplin a été informé qu’il était atteint d’une maladie incurable. Craignant pour sa vie et sans enfant, il a rédigé un testament afin de remercier les personnes qui s’occupaient de lui au quotidien, à savoir son meilleur ami et son infirmière. La dégradation de son état a nécessité de mettre en place une mesure de tutelle.
À son décès, la famille de Monsieur Jean Titouplin estime que ce dernier, qui n’avait plus toute sa tête au moment de la rédaction de ce testament, n’avait pas conscience de l’importance de cet acte beaucoup trop généreux.
Ils souhaitent remettre en cause le testament.
Que répondre à la famille de Monsieur Jean Titouplin ?
Le testament qui a été rédigé par Monsieur Jean Titouplin est intervenu avant son placement sous le régime de la tutelle.
Monsieur Jean Titouplin jouissait donc d’une liberté testamentaire totale, sous réserve de respecter les conditions de forme que doivent revêtir les testaments. Pour mémoire, le testament doit être entièrement rédigé à la main, daté et signé par son auteur.
En savoir plus sur les conditions de forme du testamentPar ailleurs, l’article 970 du Code civil dispose que le testateur, c’est-à-dire l’auteur du testament doit être sain d’esprit. L’insanité d’esprit annihile entièrement le consentement du testament et fait obstacle à toute manifestation de sa volonté de manière valable. L’insanité d’esprit peut provenir d’une cause mentale ou d’une cause physique.
« Le testament olographe ne sera point valable s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur : il n’est assujetti à aucune autre forme. »
En cas d’insanité d’esprit de Monsieur Jean Titouplin, l’annulation du testament est encourue, étant précisé que c’est à l’héritier contestataire -qui se prévaut de cette cause d’annulation du testament de prouver l’insanité d’esprit par tout moyen. Le juge sera alors chargé d’apprécier la qualité des preuves fournies et décider si le testateur était ou non sain d’esprit au moment de la rédaction du testament.
Il est conseillé à la famille de Monsieur Jean Titouplin de se prévaloir d’éléments de preuve extrinsèques au testament, tels que des correspondances transmises par le défunt ou des attestations de ses proches afin de prouver l’altération de ses facultés cognitives.
Les parents de Monsieur Jean Titouplin pourront surtout utiliser le dossier médical du défunt au soutien de leurs prétentions (certificats ou ordonnances médicales), les juges faisant ici primer la nécessité probatoire sur le secret médical sur le fondement de l’article 901 du Code civil.
« Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence. »
En présence d’un majeur protégé, c’est-à-dire placé sous un régime de sauvegarde de justice, de curatelle ou de tutelle, les conditions de validité du testament sont renforcées dans un souci de protection du testateur.
Aucune annulation automatique n’est prévue par la loi pour le cas de testaments rédigés de proche ou quasi concomitante avec l’ouverture de la mesure de protection (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice).
Il appartient donc à la personne qui se prévaut de la nullité du testament d’apporter de manière certaine et étayée des éléments probants de la preuve de l’insanité d’esprit du testateur.
À titre d’illustration, la cour d’appel de Paris a confirmé la validité d’un testament rédigé par un majeur protégé seul juste avant son placement sous tutelle :
« Considérant que M. … a établi le testament en cause avant l’ouverture de sa tutelle, de sorte qu’il n’avait pas à obtenir pour ce faire l’autorisation du juge des tutelles » (Cour d’appel, Paris, Pôle 3, chambre 1, 8 Mars 2017 – n° 15/24.862).
De même, conformément à l’article 476 du code civil, il appartient aussi à celui qui se prévaut de la caducité du testament fait antérieurement à l’ouverture de la mesure de protection d’apporter la preuve réelle et sérieuse de la disparition de la cause qui avait déterminé le testateur à disposer.
« La personne en tutelle peut, avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, être assistée ou au besoin représentée par le tuteur pour faire des donations.
Elle ne peut faire seule son testament après l’ouverture de la tutelle qu’avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, à peine de nullité de l’acte. Le tuteur ne peut ni l’assister ni la représenter à cette occasion. Toutefois, elle peut seule révoquer le testament fait avant ou après l’ouverture de la tutelle ».
Enfin, il convient de préciser que le législateur a considéré que certaines personnes ne pouvaient pas recevoir à titre gratuit du fait de leur position d’ascendance vis-à-vis du testateur. Afin de protéger les personnes vulnérables contre les manœuvres ou captation exercée par des personnes avec lesquelles elles entretiennent des liens particuliers et étroits, la loi française édicte plusieurs interdictions spéciales de disposer ou d’être gratifié par donation ou testament (articles 901 et suivants du Code civil).
« Pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l’erreur, le dol ou la violence. »
Cette protection particulière apparaît principalement dans le milieu médical qui comprend les infirmières (article 909 du Code civil).
« Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci.
Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et les personnes morales au nom desquelles ils exercent leurs fonctions ne peuvent pareillement profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires que les personnes dont ils assurent la protection auraient faites en leur faveur quelle que soit la date de la libéralité.
Sont exceptées :
1° Les dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du disposant et aux services rendus ;
2° Les dispositions universelles, dans le cas de parenté jusqu’au quatrième degré inclusivement, pourvu toutefois que le décédé n’ait pas d’héritiers en ligne directe ; à moins que celui au profit de qui la disposition a été faite ne soit lui-même du nombre de ces héritiers.
Les mêmes règles seront observées à l’égard du ministre du culte. »
Si le testament devait ne pas être annulé, l’infirmière ne pourrait en tout état de cause pas bénéficier du testament établi par Monsieur Jean Titouplin.
En savoir plus sur les incapacités spéciales de recevoirCet article vous intéresse ? Découvrez aussi les contenus suivants
Guide des successions
Contestation du testament
jurisprudences et lois commentées
La nullité des actes réalisés par un majeur protégé
Cass. civ. 1ère, 13 déc. 2023, n°18-25.557
jurisprudences et lois commentées