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À propos de l’article L.64-A du Livre des procédures fiscales – Le démembrement de propriété visant exclusivement une optimisation fiscale peut désormais être requalifiée d’abus de droit s’il est fait sans précaution.
L’optimisation patrimoniale permet, par l’usage de moyens légaux, d’améliorer les conditions de transmission et de conservation du patrimoine. Bien souvent, l’objectif poursuivi est la diminution de l’impact fiscal de la détention ou de la transmission d’actifs.
Il peut s’agir de mécanismes d’investissement et de défiscalisation (de type SCELLIER), de la possibilité d’échelonner la transmission dans le temps en amont d’une succession pour bénéficier du délai de rappel fiscal des donations, etc.
La grande difficulté dans la matière réside toutefois dans les limites à apporter à cette optimisation afin que l’administration fiscale ne la considère pas comme abusive.
En effet, même si les mécanismes utilisés par le contribuable pour optimiser son patrimoine sont légaux, l’administration fiscale peut introduire une procédure dite de « rectification contradictoire » ayant pour objectif de vérifier qu’aucun abus de droit ne peut être imputé au contribuable.
Cette notion a été récemment réformée en 2018 et le 28 décembre de la même année, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la Loi de finances pour 2019 adoptée en dernière lecture par l’Assemblée nationale le 30 décembre. L’article 109 de la loi réforme l’abus de droit en offrant à l’administration fiscale une nouvelle arme anti-évasion au sein de l’article L.64-A du Livre des procédures fiscales (LPF). Cette nouvelle définition de l’abus de droit, plus communément appelé « mini abus de droit », entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2021.
La nouvelle définition de l’abus de droit
L’abus de droit était antérieurement caractérisé lorsque l’acte était empreint d’un but exclusivement fiscal.
L’article L.64 du Livre des procédures fiscales (LPF) définit l’abus de droit, dans sa version précédente, comme suit :
« Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».
Depuis le 1er janvier 2021, l’abus de droit est défini de la manière suivante :
Article L.64 A du Livre des procédures fiscales
« Afin d’en restituer le véritable caractère et sous réserve de l’application de l’article 205 A du code général des impôts, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige peut être soumis, à la demande du contribuable ou de l’administration, à l’avis du comité mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 64 du présent livre. »
L’article L.64 A du LPF prévoit donc qu’un contribuable peut faire l’objet d’une procédure de la part de l’administration fiscale s’il est démontré que ce dernier a accompli des actes dans un but « principalement » fiscal, et ce en violation des objectifs poursuivis par les auteurs des textes.
Qu’entend-on par « principalement » fiscal, et à quel moment le caractère fiscal d’une opération devient-il prépondérant ?
C’est là le questionnement de nombreux praticiens qui attendent les premières décisions de l’administration fiscale en ce sens. En effet, le terme « principalement fiscal » reste flou pour les praticiens qui ont l’habitude dans certaines opérations de réaliser des actes dont l’un des objectifs est d’être soumis à une imposition moindre.
La position de Bercy sur le mini abus de droit et le cas de la donation en nue-propriété
Depuis le 1er janvier 2021, l’administration a le droit de contester des opérations dont le principal objectif est d’éluder l’impôt ou de réduire les charges fiscales (article L. 64 A du livre des procédures fiscales).
Or, jusqu’à présent, l’abus de droit ne sanctionnait que des schémas dont le but était « exclusivement fiscal » mais le nouveau dispositif, veut aussi s’attaquer au « petit abus de droit ».
Le régime juridique des donations de nue-propriété de biens, technique qui permet d’alléger les droits de donation et de succession tout en permettant au donateur d’en garder l’usufruit, est-il mis à mal pour cette réforme ?
Dans un premier communiqué en date du 19 janvier 2019, le ministère de l’Action et des Comptes publics a apporté une première clarification en précisant que :
« la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives. »
Dans un deuxième communiqué publié dans le JO Sénat le 13 juin 2019, le ministère de l’Action et des Comptes publics a confirmé et complété sa position :
« Le nouvel article L. 64 A du livre des procédures fiscales (LPF), permet à l’administration d’écarter comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Afin de répondre aux craintes exprimées sur ce nouveau dispositif, il est précisé que l’intention du législateur n’est pas de restreindre le recours aux démembrements de propriété dans les opérations de transmissions anticipées de patrimoine, lesquelles sont, depuis de nombreuses années, encouragées par d’autres dispositions fiscales. À cet égard, il peut être constaté notamment que les articles 669 et 1133 du code général des impôts (CGI) qui, respectivement, fixe le barème des valeurs de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien et exonère de droits la réunion de l’usufruit à la nue-propriété, n’ont pas été modifiés. Ainsi, la nouvelle définition de l’abus de droit telle que prévue à l’article L. 64 A du LPF n’est pas de nature à entraîner la remise en cause des transmissions anticipées de patrimoine et notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives. L’administration appliquera, à compter de 2021, de manière mesurée cette nouvelle faculté conférée par le législateur, sans chercher à déstabiliser les stratégies patrimoniales des contribuables. Enfin, les précisions sur les modalités d’application de ce nouveau dispositif vont être prochainement apportées en concertation avec les professionnels du droit concernés. »
Ainsi, le mini abus de droit institué par la dernière Loi de finances ne devrait pas – par principe et de manière générale – remettre en cause cette pratique de la donation de la nue-propriété.
Sanctions de l’abus de droit
En cas d’abus de droit, le contribuable est assez lourdement sanctionné. Il risque une majoration de 80% des sommes dues dite « de droit commun » qui s’applique en cas d’abus, mais qui peut être réduite au taux de 40% s’il n’est pas établi que le contribuable sanctionné a eu l’initiative principale ou a été le bénéficiaire principal de la manœuvre dénoncée.
Application par la jurisprudence
L’ancienne jurisprudence en la matière qui sanctionnait les donations avec réserve d’usufruit ayant exclusivement un objectif d’optimisation fiscale devrait aussi être modifiée.
Quoiqu’il en soit, pour éviter toute rectification fiscale, il est utile non seulement de s’assurer que les actes en eux-mêmes ne sont pas fictifs, mais également que la gestion « normale » qui est attendue en conséquence de ceux-ci soit également réelle. A défaut, la qualification d’abus de droit pourrait être recherchée par l’administration fiscale.
Bien entendu, le débat mérite selon nous d’être mené devant l’administration fiscale ou les juridictions administratives.
Par Marie Laguian