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Succession
La jurisprudence sur l’absence d’indivision en présence d’un legs universel est-elle applicable en cas de réductibilité en intégralité du legs universel ?
Liquidation et partage de successionsA la lumière des nombreux dossiers traités sur ce point au cabinet, nous vérifions dans cet article l’applicabilité de la jurisprudence constante selon laquelle il n’y a pas d’indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire lorsque le legs universel est entièrement réductible.
Notion de legs universel
L’article 1002 du code civil prévoit que « Les dispositions testamentaires sont ou universelles, ou à titre universel, ou à titre particulier ».
« Les dispositions testamentaires sont ou universelles, ou à titre universel, ou à titre particulier ».
Il existe donc trois catégories de legs possibles. Toute disposition testamentaire est nécessairement qualifiée de :
- Legs universel,
- Legs à titre universel,
- Legs particulier.
Il est donc important, lors de la rédaction d’un testament, de vérifier la nature du legs consenti pour ainsi connaître les effets dans le règlement de la succession.
Dans cet article, nous nous consacrons au legs universel défini à l’article 1003 du code civil.
« Le legs universel est la disposition testamentaire par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes l’universalité des biens qu’il laissera à son décès. »
Ce qui caractérise le legs universel, c’est la vocation du légataire à recueillir la totalité de la succession. Que faut-il comprendre par « totalité » de la succession ?
Cela revient à considérer que le légataire universel a vocation à recevoir, tout ce qui ne revient pas à un autre héritier, par l’effet de la loi ou par l’effet d’un autre legs à titre universel ou particulier :
- Limite en cas d’autres dispositions testamentaires : le legs universel n’affecte pas les droits d’autres légataires à titre universel ou particuliers. En effet, en présence d’autres légataires, celui qui bénéficie d’un legs universel ne recueille que la totalité de la quotité disponible restante après détermination des droits des légataires particuliers ou à titre universel ;
- Limite en présence d’héritier réservataire : le legs universel ne peut pas non plus porter atteinte à la réserve successorale des héritiers réservataires. En présence d’héritiers réservataires, le légataire universel -s’il a vocation à recueillir l’universalité du patrimoine- ne peut en pratique recueillir au bout du compte que le montant en valeur de la totalité de la quotité disponible. S’il est lui-même héritier réservataire, il a droit à sa part de réserve, ainsi qu’à la quotité disponible.
Les modalités de la réductibilité
Ainsi, le legs universel n’échappe pas à la réductibilité en cas d’atteinte à la quotité disponible en présence d’héritiers réservataires.
Le code civil prévoit expressément les modalités de cette réductibilité.
Le principe de la réductibilité en valeur
L’article 924 du Code civil fixe le principe de la réductibilité des libéralités en valeur.
« Lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, successible ou non successible, doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent.
Le paiement de l’indemnité par l’héritier réservataire se fait en moins prenant et en priorité par voie d’imputation sur ses droits dans la réserve. »
En pratique, il convient de procéder par étapes pour le calcul de l’indemnité de réduction.
Si le legs universel excède la quotité disponible et porte atteinte à la réserve d’un héritier réservataire, certes le légataire universel recueillera l’intégralité du patrimoine successoral mais en contrepartie, il devra verser une indemnité de réduction à l’héritier réservataire (équivalente à l’atteinte à sa réserve).
En d’autres termes, si le legs universel porte atteinte aux droits des héritiers réservataires, ceux-ci peuvent exercer une action en réduction du legs. Toutefois, le légataire universel ne sera pas tenu de restituer en nature des biens de la succession, mais de verser aux héritiers réservataires une somme équivalente à leurs droits dans la succession.
En application de cette règle de la réductibilité en valeur, la Cour de cassation a considéré qu’en principe, le legs étant réductible en valeur et non en nature, il n’existe aucune indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire. (Civ. 1re, 11 mai 2016, no 14-16.967).
La Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises cette position absolument fondamentale dans le traitement juridique et procédural des successions en présence d’un legs universel.
La première des conséquences de cette position jurisprudentielle est l’impossibilité de solliciter judiciairement les opérations de « partage » de la succession. En effet, le partage n’est possible qu’en présence d’une indivision.
Les héritiers réservataires lésés peuvent uniquement engager une action en compte et liquidation et le cas échéant y inclure une action en réduction afin d’obtenir la condamnation du légataire universel à leur verser une indemnité de réduction.
La réductibilité en nature
Le code civil prévoit à titre subsidiaire la possibilité de réductibilité en nature, sous certaines conditions.
« Le gratifié peut exécuter la réduction en nature, par dérogation à l’article 924, lorsque le bien donné ou légué lui appartient encore et qu’il est libre de toute charge dont il n’aurait pas déjà été grevé à la date de la libéralité, ainsi que de toute occupation dont il n’aurait pas déjà fait l’objet à cette même date.
Cette faculté s’éteint s’il n’exprime pas son choix pour cette modalité de réduction dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle un héritier réservataire l’a mis en demeure de prendre parti. »
La réduction en nature d’une donation n’entraîne pas la nullité de celle-ci, mais seulement le retour à la masse du bien donné ou de la quote-part du bien donné dont la valeur excède la quotité disponible. Et surtout, la réduction partielle d’une donation ne peut avoir pour effet que de créer un état d’indivision entre le gratifié et l’héritier réservataire (Civ. 1re, 11 juill. 1977 / 9 oct. 1985, no 84-12.073).
Arrêt Civ. 1re, 9 oct. 1985, no 84-12.073 « Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche : vu l’article 920 du code civil ; Attendu qu’il résulte de ce texte que la réduction partielle, en nature d’une donation n’a pour effet que de créer un état d’indivision entre le gratifie et l’héritier réservataire ; Attendu que les époux x…, tous deux décédés, avaient, par acte du 26 février 1974, vendu a M. Roger y… un immeuble moyennant la somme de 44.000 francs ; Qu’il a été juge que cet acte constituait une donation déguisée ; Que M. Jean-Marie x…, unique héritier réservataire en a demandé la réduction en application de l’article 920 du code civil ; Qu’après avoir constaté l’insuffisance de l’actif successoral et donc le dépassement de la quotité disponible, les juges du fond ont dit y avoir lieu a réduction de la donation a la quotité disponible ; Qu’ils ont ordonné la résolution rétroactive de l’acte et la remise en nature de l’immeuble vendu à la disposition de l’héritier réservataire sans charges de dette ou hypothèque qui aurait pu être créée par le donataire ; Attendu qu’en statuant ainsi, sans réserver les droits du gratifie sur ledit immeuble, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, casse et annule, mais seulement en ce qu’il a ordonné la résolution rétroactive de l’acte et la remise en nature de l’immeuble en son entier à la disposition de l’héritier et condamne m. y… au paiement de la somme de 1.000 francs à titre de dommages et intérêts et celle de 2.500 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, l’arrêt rendu le 24 janvier 1984, entre les parties, par la cour d’appel de Riom ; » |
Ainsi, dans le cas d’une réductibilité en nature, la Cour de cassation ne maintient pas sa jurisprudence classique sur l’absence d’indivision entre le legs universel et l’héritier réservataire.
Cette jurisprudence s’applique-t-elle également dans le cas où le legs universel est réductible en intégralité ?
La réductibilité en intégralité du legs universel et ses conséquences
Imaginons le cas où le legs universel est intégralement réductible.
Ce scénario est envisageable dès lors que des donations antérieures, qui s’imputent en priorité par rapport au legs universel, consomment en intégralité la quotité disponible. Au moment d’imputer le legs universel sur la quotité disponible, le reliquat de quotité disponible est néant voire négatif.
En savoir plus sur l'imputation des libéralitésLe legs se trouve entièrement réductible.
Quelles sont les conséquences de cette réductibilité en intégralité du legs universel ?
- Cas de la réductibilité en valeur : comme exposé ci-dessus, la réduction des legs s’effectue en principe en valeur (article 924 du Code civil), c’est-à-dire que le légataire universel reçoit la totalité des biens dépendant de la succession, mais doit indemniser le ou les héritiers réservataires en leur versant une somme d’argent. L’indemnité de réduction sera égale au montant de la réserve globale. En pratique, le légataire universel peut rencontrer des difficultés pour verser ce montant en l’absence de liquidité. Il peut donc préférer une autre solution : réduire son legs en nature.
- Cas de la réductibilité en nature : par exception, le légataire universel peut choisir la réduction en nature. Si la réduction est totale, le legs universel est alors caduc.
La caducité s’entend de l’état de l’acte juridique qu’un événement postérieur à sa formation rend inefficace.
La caducité se distingue :
- De l’annulation en ce que dans le cas de l’acte annulé, il existait dès le départ un vice qui entachait la validité de l’acte. L’acte caduc demeure valable, mais il ne produit aucun effet en raison de la survenance d’un fait postérieur à son établissement.
- De la déchéance en ce qu’elle n’emporte pas, comme cette dernière, extinction d’un droit, mais seulement inefficacité d’un acte.
La réduction en nature rend le legs universel caduc, c’est-à-dire qu’il ne peut produire aucun effet.
En conséquence, les biens existants au décès serviraient à compléter la part de réserve de l’héritier réservataire et le légataire universel n’a aucun droit sur ces biens et est, par ailleurs, tenu de restituer à l’héritière réservataire les sommes qui leur ont été indûment versées.
Mais surtout, le legs universel étant caduc, à notre sens, la jurisprudence selon laquelle il n’y a pas d’indivision en présence d’un legs universel n’a pas vocation à s’appliquer.
En effet, le legs universel est privé de tous ses effets. Le légataire ne pouvant recueillir la totalité du patrimoine successoral, il y a donc une indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire.
Avis : La découverte de la réductibilité en nature en intégralité (et donc de la caducité du legs universel) intervenant après la détermination des opérations d’imputation des libéralités, il faut s’interroger sur la possibilité de diligenter une procédure en compte, liquidation et partage de la succession par précaution dans le cas où le legs universel serait intégralement réductible.
Par Marie Laguian et Nicolas Graftieaux, le 16 janvier 2024.
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