Guide Pratique
Successions
Partie 13 - Liquidation et partage de la succession
L'imputation et la réduction des libéralités : contrôle et respect de la réserve
Il a été vu que la réserve héréditaire est la partie de la succession dont le défunt ne peut pas librement disposer par libéralités.
En savoir plus sur la réserve héréditaireAfin de la préserver, le législateur a mis en place le mécanisme de la réduction des donations et legs. Une fois que ces quote-parts (réserve et quotité disponible) sont déterminées, il importe de vérifier si les libéralités consenties par le défunt dépassent la quotité disponible et portent atteinte à la réserve héréditaire. Pour ce faire, elles sont d’abord « imputées » puis, en cas de dépassement, réduites.
L’imputation correspond à affecter une libéralité, soit à la quotité disponible soit à sa réserve. Les libéralités qui ne pourront s’imputer sur la quotité disponible et qui portent atteinte à la réserve des héritiers peuvent faire l’objet d’une action en réduction.
Comment imputer les donations et legs ?
Dans quel ordre imputer les donations et les legs ?
Afin de connaître l’ordre d’imputation des libéralités, il existe deux degrés d’imputation : le premier relatif à la nature de l’acte (donation ou legs) et le second lié à la chronologie.
- les donations sont imputées, conformément à l’article 923 du Code civil :
- en priorité (par rapport aux legs) puisqu’elles leur sont par hypothèse antérieures ;
- selon leur ordre chronologique : les plus anciennes venant s’imputer en premier. Dès lors, les donations les plus récentes sont soumises à réduction en priorité. En cas de donation de même date, ceux-ci sont réduits au marc le franc, c’est-à-dire selon un prorata ;
« Il n’y aura jamais lieu à réduire les donations entre vifs, qu’après avoir épuisé la valeur de tous les biens compris dans les dispositions testamentaires ; et lorsqu’il y aura lieu à cette réduction, elle se fera en commençant par la dernière donation, et ainsi de suite en remontant des dernières aux plus anciennes. »
- les legs contenus dans un testament seront imputés en dernier et donc réduits en premier lieu. En cas de plusieurs legs, ceux-ci sont là aussi réduits au marc le franc, c’est-à-dire selon un prorata, sans aucune distinction entre legs universels et legs particuliers (article 926 du Code civil), sauf précision contraire par le testateur (article 927 du Code civil).
« Lorsque les dispositions testamentaires excéderont soit la quotité disponible, soit la portion de cette quotité qui resterait après avoir déduit la valeur des donations entre vifs, la réduction sera faite au marc le franc, sans aucune distinction entre les legs universels et les legs particuliers. »
« Néanmoins dans tous les cas où le testateur aura expressément déclaré qu’il entend que tel legs soit acquitté de préférence aux autres, cette préférence aura lieu ; et le legs qui en sera l’objet ne sera réduit qu’autant que la valeur des autres ne remplirait pas la réserve légale. »
Où imputer les donations et les legs : quotité disponible ou réserve ?
Le lieu d’imputation dépend de l’objectif de la libéralité : elle s’imputera sur la réserve s’il ne s’agit que de procéder à une avance sur succession ; elle s’imputera au contraire sur la quotité disponible s’il s’agit d’avantager le gratifié.
Les libéralités en avancement de part successorale (ou avancement d’hoirie)
Les libéralités en avancement de part successorale s’imputent par principe sur la réserve de l’héritier gratifié qui a accepté la succession. Afin de savoir si une libéralité est consentie en avancement de part successorale, il s’agit de distinguer (article 843 du Code civil) :
- les donations consenties à un héritier réservataire lesquelles sont présumées en avancement de part successorale. Sauf stipulation expresse contraire du donataire, elles s’imputent donc sur la réserve du gratifié,
- et les legs faits à un héritier réservataire ne s’imputent sur la réserve que si le testateur l’a expressément prévu.
« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant. »
Les libéralités hors part successorale
Le défunt peut disposer de la quotité disponible au profit d’un héritier réservataire ou d’un tiers.
En cas de libéralité consentie à un héritier réservataire, la libéralité hors part successorale s’impute sur la quotité disponible et que l’héritier recevra en plus de sa réserve (article 843 du Code civil) :
« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant. »
- les donations sont consenties hors part successorale à condition que ce soit expressément énoncé par le donateur,
- les legs consentis aux héritiers réservataires sont présumés être hors part successorale.
Toutes les libéralités consenties à un tiers qui n’est pas héritier réservataire du défunt sont hors part successorale. Il en est de même en cas de libéralité consentie à un héritier renonçant à la succession.
En savoir plus sur la renonciation à la successionComment réduire les donations et legs ?
Les libéralités qui empiètent sur la réserve héréditaire peuvent être réduites par l’action en réduction tandis que les avantages matrimoniaux sont diminués par le biais de l’action en retranchement.
La réduction des donations et legs
Les modalités de la réduction
La réduction des libéralités consenties par le défunt permet de protéger la réserve héréditaire. Les libéralités sont diminuées à hauteur du dépassement de la quotité disponible.
En application de l’article 924 du Code civil, le gratifié doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité.
« Lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, successible ou non successible, doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent.
Le paiement de l’indemnité par l’héritier réservataire se fait en moins prenant et en priorité par voie d’imputation sur ses droits dans la réserve. »
En principe, le paiement de la réduction se fait en valeur, mais il peut se faire en nature à la demande du gratifié redevable de la réduction.
L’indemnité de réduction ainsi due par les héritiers qui ont trop reçu fait partie de la masse à partager et sera partagée entre les héritiers.
En savoir plus sur la réductionL’action en réduction
La réduction des libéralités ne s’applique pas de plein droit. Les héritiers doivent demander la réduction des libéralités qui empiètent sur leur réserve.
Principe
L’action en réduction appartient aux seuls héritiers réservataires ou leurs ayants droit. Elle est encadrée par un double délai, prévu à l’article 921 du Code civil, de :
- cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou ;
- deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve.
Ces délais ne peuvent en tout état de cause pas excéder dix ans à compter du décès.
« La réduction des dispositions entre vifs ne pourra être demandée que par ceux au profit desquels la loi fait la réserve, par leurs héritiers ou ayants cause : les donataires, les légataires, ni les créanciers du défunt ne pourront demander cette réduction, ni en profiter.
Le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès ».
Limitations
La renonciation anticipée à l’action en réduction
L’article 929 du Code civil permet de renoncer de manière anticipée à l’action en réduction. La renonciation anticipée à l’action en réduction n’emporte pas renonciation à la succession et le renonçant à l’action conserve sa qualité d’héritier.
« Tout héritier réservataire présomptif peut renoncer à exercer une action en réduction dans une succession non ouverte. Cette renonciation doit être faite au profit d’une ou de plusieurs personnes déterminées. La renonciation n’engage le renonçant que du jour où elle a été acceptée par celui dont il a vocation à hériter.
La renonciation peut viser une atteinte portant sur la totalité de la réserve ou sur une fraction seulement. Elle peut également ne viser que la réduction d’une libéralité portant sur un bien déterminé.
L’acte de renonciation ne peut créer d’obligations à la charge de celui dont on a vocation à hériter ou être conditionné à un acte émanant de ce dernier ».
La renonciation anticipée à l’action en réduction est encadrée par des conditions strictes.
En savoir plus sur la renonciation à l'action en réductionLa renonciation après décès
La réduction des libéralités ne s’opère pas de façon automatique. Il s’agit toujours d’une action appartenant aux héritiers réservataires et leurs ayants droit dont elle vient protéger la réserve. Après le décès, ils peuvent décider de l’exercer ou d’y renoncer.
Le fait pour les héritiers réservataires de renoncer à exercer cette action ne constitue pas une donation au légataire ou donataire avantagé et n’est donc pas sujet à droits de mutation entre eux.
Le retranchement des avantages du conjoint survivant
Les avantages matrimoniaux ne sont pas considérés comme des libéralités et ne sont donc pas sujet à réduction. En présence d’un conjoint survivant, les enfants du défunt issus d’une autre union bénéficient d’une action en retranchement.
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