Jurisprudences
Assurance-vie : le défaut de consentement et la nullité de la modification de la clause bénéficiaire
Cass. civ. 1ère, 5 avr. 2023, n°21-12.875
Patrimoine - Fiscalité, Liquidation et partage de régime matrimonial, Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
Lorsque la nullité d’une modification de la clause bénéficiaire est invoquée sur le fondement du défaut de consentement, les juges du fond doivent rechercher au-delà de la preuve de l’insanité d’esprit dans l’acte lui-même, s’il ne résultait pas de l’ensemble des circonstances extérieures ayant entouré la signature des avenants, que le souscripteur n’avait pas exprimé de manière certaine et non équivoque, sa volonté de modifier les clauses bénéficiaires.
Rappel du contexte légal
La modification de la clause bénéficiaire
L’article L132-8 du Code des assurances prévoit la possibilité pour l’assuré de modifier le nom du bénéficiaire du contrat d’assurance-vie jusqu’à son décès, pour autant que sa volonté soit exprimée de manière certaine et non équivoque.
« Le capital ou la rente garantis peuvent être payables lors du décès de l’assuré à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés.
Est considérée comme faite au profit de bénéficiaires déterminés la stipulation par laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à une ou plusieurs personnes qui, sans être nommément désignées, sont suffisamment définies dans cette stipulation pour pouvoir être identifiées au moment de l’exigibilité du capital ou de la rente garantis.
Est notamment considérée comme remplissant cette condition la désignation comme bénéficiaires des personnes suivantes :
-les enfants nés ou à naître du contractant, de l’assuré ou de toute autre personne désignée ;
-les héritiers ou ayants droit de l’assuré ou d’un bénéficiaire prédécédé.
L’assurance faite au profit du conjoint profite à la personne qui a cette qualité au moment de l’exigibilité.
Les héritiers, ainsi désignés, ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires. Ils conservent ce droit en cas de renonciation à la succession.
En l’absence de désignation d’un bénéficiaire dans la police ou à défaut d’acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre. Cette désignation ou cette substitution ne peut être opérée, à peine de nullité, qu’avec l’accord de l’assuré, lorsque celui-ci n’est pas le contractant. Cette désignation ou cette substitution peut être réalisée soit par voie d’avenant au contrat, soit en remplissant les formalités édictées par l’article 1690 du code civil, soit par voie testamentaire.
Lorsque l’assureur est informé du décès de l’assuré, l’assureur est tenu de rechercher le bénéficiaire, et, si cette recherche aboutit, de l’aviser de la stipulation effectuée à son profit. »
L’action en nullité
Il est établi, par ailleurs, qu’une action en nullité de la modification de la clause bénéficiaire peut être introduite. En effet, il est possible d’invoquer à cet effet le défaut de consentement en raison d’une insanité d’esprit et de la preuve du trouble mental, sur le fondement des articles 414-1 et 414-2 du Code civil.
Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.
« De son vivant, l’action en nullité n’appartient qu’à l’intéressé.
Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d’esprit, que dans les cas suivants :
1° Si l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental ;
2° S’il a été fait alors que l’intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d’ouverture d’une curatelle ou d’une tutelle ou aux fins d’habilitation familiale ou si effet a été donné au mandat de protection future.
L’action en nullité s’éteint par le délai de cinq ans prévu à l’article 2224. »
Apport de l’arrêt
Rappel des faits et de la procédure
Les faits
Un homme est décédé le 23 janvier 2013. Ce dernier avait souscrit deux contrats d’assurance sur la vie auprès de la Caisse nationale de prévoyance assurances (assureur) en désignant sa nièce en bénéficiaire de premier rang et, à défaut, sa fille. Cependant, le 27 octobre 2012, il appose sa signature sur deux avenants, rédigés par son assistante de vie, qui modifient les clauses bénéficiaires de ces contrats. Les avenants sont adressés après son décès à l’assureur, qui a versé les fonds aux nouvelles bénéficiaires désignées. Une action en nullité de ces avenants est introduite.
La procédure
Arrêt d’appel
La cour d’appel de Paris dans un arrêt du 14 novembre 2020 décide que l’action introduite est irrecevable en application de l’article 414-2-1° du code civil et que la nullité de la modification des clauses bénéficiaires par avenants en date du 27 octobre 2012 n’est pas encourue sur ce fondement.
Pourvoi en cassation
Le pourvoi en cassation soutient que l’absence de consentement qui entraîne la nullité de l’acte peut découler d’une insanité d’esprit mais aussi de l’absence de consentement réel et sérieux si l’auteur de l’acte n’a pas perçu la signification exacte et la portée de l’engagement qu’il prend.
Selon les demandeurs au pourvoi, l’absence de consentement réel et sérieux, distinct de l’insanité d’esprit, peut être établie par des éléments extrinsèques à l’acte litigieux.
De ce fait, la cour d’appel, bien que relevant que le souscripteur n’était pas le rédacteur des avenants, que sa signature étant tremblante et mal assurée, et que ces avenants avaient été adressés à la société CNP assurances après le décès, mais ayant jugé que ces éléments ne permettaient pas de rapporter la preuve d’un trouble mental, cette dernière aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article L132-8 du Code des assurances en ne recherchant pas si l’ensemble des circonstances extérieures entourant la signature des avenants ne permettait pas de démontrer que le souscripteur n’avait pas exprimé d’une manière certaine et non équivoque sa volonté de modifier la clause bénéficiaire et qu’il n’avait pu avoir conscience de la teneur et de la portée de l’engagement qu’il prenait.
Le débat
L’utilisation de l’avenant communiqué post-mortem, hors débat
La Cour de cassation commence par rappeler, au visa de l’article L132-8 du Code des assurances, que l’assuré peut modifier jusqu’à son décès le nom du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie, dès lors que sa volonté est exprimée d’une manière certaine et non équivoque.
En savoir plus sur la modification du bénéficiaire d'une assurance-vie par avenantL’article L132-8 du Code des assurances réserve par ailleurs la possibilité de modifier la clause bénéficiaire par voie testamentaire. De plus, lorsqu’il intervient par voie testamentaire, le changement de bénéficiaire n’a pas besoin d’être porté à la connaissance de l’assureur (Cass 2e civ, 10 mars 2022).
En l’espèce, les avenants ont été adressés après le décès à l’assureur. Bien que la réception des avenants par l’assureur ne soit pas intervenue avant le décès, il semble que ce mode de l’avenant ayant permis la modification des bénéficiaires n’a pas été un sujet de discussion. En effet, si le texte du Code des assurances parle de la modification jusqu’au décès, il ne dit pas que l’assureur doit en avoir connaissance.
Ainsi, l’utilisation de l’avenant pour changer de bénéficiaire n’est pas contesté. La discussion porte essentiellement sur l’existence ou non du consentement du souscripteur ayant modifié les clauses bénéficiaires.
La notion de consentement au centre des débats
Dans l’arrêt du 5 avril 2023, la discussion porte sur le défaut de consentement à l’appui d’une action en nullité de la modification des clauses bénéficiaires et semble réserver une marge d’action plus favorable aux plaideurs pour cette action en nullité.
Réponse de la Cour Vu l’article 132-8 du code des assurances : Il résulte de ce texte que l’assuré peut modifier jusqu’à son décès le nom du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie, dès lors que sa volonté est exprimée d’une manière certaine et non équivoque. Pour dire que l’action introduite est irrecevable en application de l’article 414-2-1°du code civil et que la nullité de la modification des clauses bénéficiaires par avenants du 27 octobre 2012 n’est pas encourue sur ce fondement, la cour d’appel retient que n’étant allégué aucun vice du consentement du souscripteur, cette action ne peut relever que des dispositions des articles 414-1 et 414-2 du code civil, et d’une part, que les dispositions des actes modifiant le nom des bénéficiaires ne sont en elles-même ni incohérentes ni absurdes ou démesurées, d’autre part, que l’apparence formelle, certes tremblée et mal assurée, de la signature ne permet pas, à elle seule, de déduire de manière certaine un état de déficience mentale grave et donc l’insanité d’esprit de son auteur. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, s’il ne résultait pas de l’ensemble des circonstances extérieures ayant entouré la signature des avenants du 27 octobre 2012 que le souscripteur n’avait pas exprimé de manière certaine et non équivoque sa volonté de modifier les clauses bénéficiaires, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. |
La Cour de cassation décide donc d’élargir la définition de défaut ou d’absence de consentement puisqu’elle reconnaît qu’il est possible d’invoquer « l’absence de consentement réel et sérieux en ce que l’auteur de l’acte n’a pas perçu la signification exacte et la portée de l’engagement qu’il prend ». Bien entendu, il reste, pour celui qui s’en prévaut, d’en apporter la preuve.
L’absence de consentement devient protéiforme.
Si certains ont pu voir cette jurisprudence comme une atteinte à la sécurité juridique, d’autres estiment qu’il s’agit plutôt d’une « bienveillance justifiée dans le contexte du grand âge ». Il sera intéressant de voir comme la jurisprudence s’empare de cet argument supplémentaire dans le contentieux extrêmement large de l’analyse du consentement en droit de la famille :
- Nullité de testament,
- Nullité de donations,
- Nullité de partages,
- Etc.
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