Jurisprudences
Compétence du juge aux affaires familiales pour les créances liées aux indemnités d’occupation dans le couple
Cass. civ. 1ère, 5 avr. 2023, n°21-25.044
Unions (mariage / pacs / concubinage), Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières
Enseignement de l'arrêt
Le juge aux affaires familiales a compétence exclusive pour traiter de l’indemnité d’occupation due entre concubins, peu importe le fondement de la demande et même si le bien occupé appartient de manière divise à l’époux non occupant.
Présentation de l’indemnité d’occupation
Principe légal et fondement
L’article 815-9 du code civil dispose que : « Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision. A défaut d’accord entre les intéressés, l’exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal.
L’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité. »
L’article 815-9 du code civil précité fonde le principe de l’indemnité d’occupation qui existe entre les indivisaires.
Il s’agit d’une somme due à celui ou ceux des indivisaires qui ne peuvent jouir du bien indivis, du fait de l’occupation privative de leur bien indivis.
Cette notion génère un contentieux important dans le cadre des opérations de comptes, liquidation partage de régimes matrimoniaux ou de successions.
Les tribunaux sont donc fréquemment saisis de ces questions et ont pu apporter des précisions utiles quant aux contours de cette indemnité d’occupation.
Point de départ de l’indemnité d’occupation
En matière d’indivision conventionnelle ou successorale, l’indemnité d’occupation est due à partir du moment où le bien indivis est occupé et que la preuve de cette occupation peut être rapportée. Il convient de préciser que la charge de la preuve pèse sur le demandeur de cette indemnité.
Modalités de calcul du montant de l’indemnité d’occupation
L’indemnité d’occupation n’est pas un loyer même si elle y ressemble. Elle est déterminée grâce à la valeur locative du bien à laquelle est en général appliquée une décote d’usage (généralement comprise entre 10% et 30% et fréquemment fixée à 20%).
Ainsi, pour un indivisaire titulaire de 50% de la propriété d’un bien dont la valeur locative serait de 1.000 € par mois, l’indemnité serait ainsi calculée :
1000€ x 80% / 2= 400€ indemnité d’occupation
Conditions pour réclamer une indemnité d’occupation
Dans le cadre des procédures contentieuses, tant dans les successions que dans les divorces, l’occupation d’un bien qui dépend d’une indivision peut durer, notamment dans ce dernier cas, lorsque l’attribution du bien a été octroyée à un des époux dès l’ordonnance sur mesures provisoires.
Rappelons que la demande d’indemnité d’occupation est enfermée dans une prescription quinquennale. En effet, l’article 815-10 du code civil dispose que « Aucune recherche relative aux fruits et revenus ne sera, toutefois, recevable plus de cinq ans après la date à laquelle ils ont été perçus ou auraient pu l’être » et l’article 2244 du code civil fixent le principe de la prescription quinquennale.
Compétence d’attribution du juge aux affaires familiales
Dans un arrêt du 5 avril 2023 n°21-25.044, la première chambre civile de la Cour de cassation a été amenée à préciser la juridiction compétente pour statuer sur les questions de liquidation en cas de séparation de couple.
Dans le cas étudié, deux concubins se séparent. L’un d’eux saisit le juge aux affaires familiales afin qu’il tranche la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux.
Dans le cadre de cette procédure, la concubine sollicite la condamnation de l’autre au paiement d’une indemnité d’occupation pour un bien appartenant exclusivement au demandeur en fondant sa demande sur l’occupation sans droits ni titre de l’ancien concubin, et non pas sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux.
Les juges du fond vont débouter la demanderesse en appel en relevant d’office l’incompétence du juge aux affaires familiales.
Ils se fondent sur l’article L213-3 2° du code de l’organisation judiciaire qui dispose que « Dans chaque tribunal judiciaire, un ou plusieurs magistrats du siège sont délégués dans les fonctions de juge aux affaires familiales.
Le juge aux affaires familiales connaît :
1° De l’homologation judiciaire du changement de régime matrimonial, des demandes relatives au fonctionnement des régimes matrimoniaux et des indivisions entre personnes liées par un pacte civil de solidarité ou entre concubins, de la séparation de biens judiciaire, sous réserve des compétences du président du tribunal judiciaire et du juge des tutelles des majeurs ;
2° Du divorce, de la séparation de corps et de leurs conséquences, de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux, des personnes liées par un pacte civil de solidarité et des concubins, sauf en cas de décès ou de déclaration d’absence ;
3° Des actions liées :
a) A la fixation de l’obligation alimentaire, de la contribution aux charges du mariage ou du pacte civil de solidarité et de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ;
b) A l’exercice de l’autorité parentale ;
c) A la révision de la prestation compensatoire ou de ses modalités de paiement ;
d) Au changement de prénom ;
e) A la protection à l’encontre du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin violent ou d’un ancien conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin violent ;
f) A la protection de la personne majeure menacée de mariage forcé.
4° Des demandes d’attribution à un concubin de la jouissance provisoire du logement de la famille en application de l’article 373-2-9-1 du code civil. »
Cette liste n’intégrant pas les questions liées à l’occupation sans droit ni titre d’un bien, le Juge aux affaires familiales se déclare incompétent.
Néanmoins, la Cour de cassation censure cette décision au visa de l’article 76 du code de procédure civile qui dispose que « Sauf application de l’article 82-1, l’incompétence peut être prononcée d’office en cas de violation d’une règle de compétence d’attribution lorsque cette règle est d’ordre public ou lorsque le défendeur ne comparaît pas. Elle ne peut l’être qu’en ces cas.
Devant la cour d’appel et devant la Cour de cassation, cette incompétence ne peut être relevée d’office que si l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française. »
La haute juridiction retient ainsi que « il résulte de ce texte que la cour d’appel ne peut relever d’office son incompétence que si l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française. […] En statuant ainsi, alors que la demande ne relevait pas de la compétence d’une juridiction répressive ou administrative et n’échappait pas à la connaissance de la juridiction française, la cour d’appel a violé le texte susvisé. Mme [F] fait le même grief à l’arrêt, alors « que le juge aux affaires familiales est seul compétent pour statuer sur les créances entre concubins dans le cadre de la liquidation et du partage de leurs intérêts patrimoniaux ; qu’en déclarant que le juge aux affaires familiales n’était pas compétent pour connaître d’une demande en paiement d’une indemnité d’occupation dès lors qu’elle n’était pas fondée sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux entre concubins, quand la créance était née de leur séparation, la cour d’appel a violé l’article L. 213-3-2° du code de l’organisation judiciaire »
En d’autres termes, le juge aux affaires familiales, tant qu’il est saisi d’une demande de créance qui doit être traitée dans le cadre de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux d’un couple ne peut décliner sa compétence, au motif que la demande formulée le serait sur un fondement ne rentrant pas dans son chef de compétence d’attribution.
En conclusion, tous les intérêts patrimoniaux du couple en cours de séparation relèvent de la compétence exclusive du Juge aux affaires familiales, y compris les demandes de créances entre eux.
Une autre juridiction aurait été compétente pour statuer sur les questions d’occupation sans droit ni titres si les protagonistes concernés n’avaient pas été en couple.
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