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Droit de la famille

Conséquences de l’absence de la signification d’une décision d’exequatur

Cass. civ. 1ère, 25 mai 2023, n° 22-12.299, n° 22-12.469

Droit international privé de la famille

Enseignement de l'arrêt

Sous l’empire du règlement Bruxelles I, la simple prise connaissance de la décision déclarant les arrêts étrangers exécutoires sur le sol français ne pallier le défaut de signification de ces décisions à la partie contre laquelle l’exécution était demandée.

Rappel du contexte légal

L’action en exequatur est une procédure judiciaire dont l’objet principal est de conférer force exécutoire, dans un État, à une décision de justice étrangère.

Règlement du 22 décembre 2000

Le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale contient des dispositions permettant de déterminer la juridiction compétente pour connaître un litige ainsi que des mécanismes assurant que les décisions rendues seront reconnues et exécutées dans les autres États membres.

Le règlement prévoit les dispositions suivantes en matière d’exécution.

Par application de l’article 38, § 1 les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.

Selon l’article 42, § 2 la déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l’exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n’a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie.

Conformément à l’article 43, § 1 et 5, cette partie peut former un recours contre cette déclaration dans le délai d’un mois à compter de sa signification, et ce délai est porté à deux mois et court à compter du jour où la signification a été faite à personne ou à domicile si la partie contre laquelle l’exécution est demandée est domiciliée sur le territoire d’un autre État membre que celui dans lequel la déclaration constatant la force exécutoire a été délivrée.

Enfin, selon l’article 47, § 3 pendant le délai du recours prévu à l’article 43, § 5, contre la déclaration constatant la force exécutoire et jusqu’à ce qu’il ait été statué sur celui-ci, il ne peut être procédé qu’à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l’exécution est demandée.

Règlement Bruxelles I bis

Ce règlement a été remplacé le 10 janvier 2015 par le règlement Bruxelles I bis relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Depuis son entrée en vigueur, les règles en matière d’exécution des décisions prononcées par une juridiction européenne changent.

Désormais, les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure spéciale. Les règlements européens prévoient les règles de reconnaissance qui se font par voie de certificat européen. 

La certification est une procédure par laquelle le juge d’un Etat membre ayant rendu une décision de justice atteste que cette décision remplit les qualités et les conditions requises pour pouvoir produire tous ses effets, y compris la force exécutoire sans qu’il soit nécessaire passer par la procédure d’exequatur

Règlements européens spécifiques au droit de la famille

En matière familiale, ces nouvelles règles de reconnaissance et d’exécution sont prévues par les règlements suivants :

  • Matière matrimoniale et autorité parentale : Règlement du 25 juin 2019 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (refonte), abrogeant le règlement (CE) nº 2201/2003 (Bruxelles II Ter).
  • Obligations alimentaires : Règlement n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires. 
  • Matière successorale : Règlement No 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen
  • Effets patrimoniaux des partenariat enregistrés : Règlement n°2016/1104 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés.

Apport de l’arrêt

Rappel des chansons

L’œuvre « Une Fille de France » est une composition musicale de M. [T] dont les paroles associées ont été coécrites par MM. [X] et [M] et qui est éditée par la société Première Music Group.

La chanson « On va s’aimer » est une composition musicale de M. [N] dont les paroles associées
ont été écrites par M. [M]. Elle a été déclarée auprès de la Saccade Italiana degli Autori ed Editori (SIAE) et coéditée par les sociétés italiennes Abramo Allione Edizioni Musicali et Universal Music Italia. La société Universal Music Publishing a assuré la sous-édition de cette œuvre en France.

Procédure en Italie

Un juge italien a été saisi d’une demande de déclarer que la chanson « On va s’aimer » constitue une contrefaçon de l’œuvre « Une Fille de France ». 

La cour d’appel de Milan fait droit à la demande des compositeurs de l’œuvre « Une Fille de France », jugé que la chanson « On va s’aimer » constituait une contrefaçon de l’œuvre musicale « Une Fille de France », et condamné les défendeurs à réparer les préjudices moraux et patrimoniaux ainsi qu’elle a interdit la poursuite de toute utilisation et exploitation de la chanson.

Les décisions italiennes déniaient à MM. [N] et [M] tout droit d’auteur sur l’œuvre musicale « On va s’aimer ». Le litige avait pour objet la modification par la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) de la documentation relative à cette œuvre en exécution de ces décisions.

Cet arrêt a été confirmé par la Cour de cassation italienne. 

Procédure en France

Position des juges du fond

Conformément aux dispositions précitées du règlement Bruxelles I, les décisions italiennes ont été reconnues et déclarées exécutoires en France par le tribunal de grande instance de Paris (devenu le tribunal judiciaire de Paris). Elles ont été signifiées à la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique. Cependant, ces décisions n’ont pas été signifiées à l’interprète et l’auteur des paroles de la chanson « On va s’aimer ». 

Les compositeurs de l’œuvre « Une Fille de France » assignent ensuite devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d’obtenir la modification de la documentation relative à la chanson « On va s’aimer » et la répartition à leur profit des droits produits par l’exploitation de celle-ci, la partie ayant succombée devant les juridictions italiennes. 

Cette dernière soulève une fin de non-recevoir tirée de l’absence de la signification des décisions rendues par le tribunal de grande instance de Paris par lesquelles les arrêts italiens ont été déclarés exécutoires en France. 

La cour d’appel de Paris rejette les fins de non-recevoir tendant à voir déclarer irrecevables l’intégralité des demandes. L’arrêt retient que ces décisions ont été portées à leur connaissance dans le cadre de la procédure devant la cour d’appel et que ceux-ci ne peuvent arguer qu’ils n’ont pas été en mesure d’exercer le recours prévu à l’article 43 du règlement n° 44/2001, qui ne soumet pas l’ouverture du recours à la signification préalable de la décision. 

Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation rappelle la position de la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l’Union européenne, selon laquelle l’exigence de signification de la décision qui autorise l’exécution a pour fonction, d’une part, de protéger les droits de la partie contre laquelle l’exécution est demandée [objectif : respect des droits de défense] et, d’autre part, de permettre, sur le plan probatoire, une computation exacte du délai de recours rigoureux et impératif ouvert à cette partie [objectif : computation des délais] et que, si seule importait la connaissance par celle-ci de la décision qui autorise l’exécution, cela risquerait de vider de sa substance l’exigence d’une signification (CJCE, 16 février 2006, Verdoliva, C-3/05).

En outre, la signification était imposée par l’article 42 du règlement Bruxelles I bis qui dispose que la déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l’exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n’a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie.

Au visa des articles précités de règlement Bruxelles I, la Cour de cassation casse donc l’arrêt de la cour d’appel de Paris renvoie les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

Ainsi, selon la Cour de cassation, la simple prise de connaissance de la décision déclarant les arrêts étrangers exécutoires sur le sol français ne saurait pallier le défaut de signification de ces décisions à la partie contre laquelle l’exécution était demandée.

En Europe, il n’y a plus de procédure d’exequatur en matière familiale. Le certificat européen remplace l’exequatur. Les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.

En conséquence, cette décision n’affectera directement les contentieux en droit de la famille que pour des décisions étrangères prononcées hors d’Europe (sauf conventions internationales, ou à défaut, les règles du droit national).

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