Délivrance d’un legs particulier et mesure d’exécution forcée
Cass. civ. 1ère, 21 sept. 2022, n° 19-22.693
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
Une décision ordonnant la délivrance d’un legs particulier ne constitue pas un titre exécutoire permettant d’initier une mesure d’exécution forcée. La Cour de cassation rappelle ainsi la distinction pourtant connue entre délivrance et paiement d’un legs.
Les conditions de l’exécution forcée sont prévues dans les articles L111-1 et suivants du code des procédures civiles d’exécution.
« Tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard. Tout créancier peut pratiquer une mesure conservatoire pour assurer la sauvegarde de ses droits. L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution ».
Par application de l’article L. 111-2 du code des procédures civiles d’exécution, le créancier qui dispose d’un titre exécutoire peut mettre en œuvre une mesure d’exécution.
« Le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. »
Droits du légataire particulier
Le droit à la chose léguée est énoncé à l’article 1014 du code civil.
« Tout legs pur et simple donnera au légataire, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée, droit transmissible à ses héritiers ou ayants cause.
Néanmoins le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu’à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l’ordre établi par l’article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie. »
Le légataire à titre particulier devient le propriétaire de son legs dès le jour du décès. Cependant, afin de se mettre en possession d’une chose léguée, ce dernier doit demander la délivrance de son legs aux héritiers réservataire sauf s’il cumule la qualité d’héritier, laquelle lui confère automatiquement la saisine.
Apport de l’arrêt
Rappel des faits et de la procédure
Le de cujus décède le 3 janvier 1993. Il laisse pour lui succéder son fils unique qui décède entre-temps. Ses ayants droits sont son épouse et sa fille d’une précédente union.
Par testament authentique dressé le 20 juin 1991, il institue M. F légataire à titre particulier d’une somme d’argent pour un montant de 1.800.000 francs, soit 274.408,23 euros.
Le légataire particulier assigne les héritiers du défunt en délivrance de son legs.
Par arrêt en date du 13 mars 2012, la cour d’appel Aix-en-Provence juge que le légataire particulier est fondé à solliciter cette délivrance dans les limites de la quotité disponible.
Le 3 juillet 2013, la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel Aix-en-Provence sauf en ce qu’il a dit que le légataire particulier était fondé à solliciter la délivrance de son legs dans les limites de la quotité disponible.
Par acte d’huissier en date du 5 janvier 2016, le légataire particulier fait délivrer aux ayants droit un commandement de payer aux fins de saisie-vente sur le fondement des arrêts de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 13 mars 2012 et de la Cour de cassation du 3 juillet 2013 (soit les décisions ordonnant la délivrance du legs).
Les ayants droit saisissent un juge de l’exécution en contestation de cette mesure d’exécution forcée.
Le 27 juin 2019, la cour d’appel de Versailles décide que le commandement de payer, fondé sur un titre exécutoire régulier, est valable. La cour d’appel de Versailles a déduit de l’interprétation des deux arrêts précités qu’il est définitivement confirmé que le légataire particulier est fondé à solliciter la délivrance du legs consenti par le testament du 20 juin 1991 dans les limites de la quotité disponible, ce qui s’interprète comme une décision ordonnant la délivrance qui n’est rien d’autre que la reconnaissance par le juge de la régularité du titre du légataire.
La cour d’appel de Versailles indique que toutes les décisions rendues sont devenues définitives et ont autorité de la chose jugée et selon l’article L 111-3 du code des procédures civiles d’exécution les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire constituent des titres exécutoires. Ainsi ces arrêts seraient constitutifs d’un titre exécutoire pour avoir paiement de ce legs.
Les ayants droit se pourvoient en cassation.
Position de la Cour de cassation
La Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel au visa des articles L 111-2 du code des procédures civiles d’exécution et 1014 du code civil.
La Cour de cassation rappelle que le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution.
Cependant, la délivrance d’un legs particulier a pour seul objet la reconnaissance des droits du légataire, permettant l’entrée en possession de l’objet du legs et l’acquisition des fruits, et se distingue du paiement du legs.
La Cour de cassation confirme par cet arrêt qu’une décision accueillant une demande de délivrance d’un legs de somme d’argent ne constitue pas un titre exécutoire autorisant le légataire à procéder à des mesures d’exécution forcée.
Ainsi, la délivrance du legs (soit la reconnaissance du droit du légataire à la chose léguée) ne doit pas être confondue avec son paiement (soit son exécution). Les arrêts de 2012 et 2013 qui ordonnent la délivrance du legs ne peuvent donc constituer un titre exécutoire valable.
Quelle marge de manœuvre pour le légataire particulier ?
Le paiement du legs intervient dans le cadre des opérations de partage par l’attribution au légataire de biens le remplissant de ses droits.
Dans l’attente, le légataire de sommes d’argent est protégé par plusieurs sûretés légales.
Le légataire particulier d’une somme d’argent peut demander à être préféré sur l’actif successoral à tout créancier personnel de l’héritier qui donne lieu à hypothèque légale, conformément à l’article 878 du Code civil.
« Les créanciers du défunt et les légataires de sommes d’argent peuvent demander à être préférés sur l’actif successoral à tout créancier personnel de l’héritier.
Réciproquement, les créanciers personnels de l’héritier peuvent demander à être préférés à tout créancier du défunt sur les biens de l’héritier non recueillis au titre de la succession.
Le droit de préférence donne lieu à hypothèque légale spéciale prévue au 5° de l’article 2402 et il est sujet à inscription conformément à l’article 2418 ».
Le droit de préférence interdit aux créanciers personnels de l’héritier de faire valoir leurs droits sur les biens successoraux avant le légataire.
En outre, le légataire particulier de somme d’argent peut bénéficier d’une hypothèque légale sur les immeubles de la succession qui lui permet de se faire payer sur le prix des immeubles de la succession par préférence aux créanciers personnels de l’héritier. Ceux-ci disposent d’une hypothèque légale sur les immeubles de la succession en vertu des articles 1017 et 2393 4° du Code civil.
« Les héritiers du testateur, ou autres débiteurs d’un legs, seront personnellement tenus de l’acquitter, chacun au prorata de la part et portion dont ils profiteront dans la succession.
Ils en seront tenus hypothécairement pour le tout, jusqu’à concurrence de la valeur des immeubles de la succession dont ils seront détenteurs ».
« Outre celles prévues par des lois spéciales, les créances auxquelles une hypothèque légale générale est attachée sont :
1° Celles de l’un des époux contre l’autre ;
2° Celles des mineurs ou des majeurs en tutelle contre l’administrateur légal ou le tuteur ;
3° (Abrogé) ;
4° Celles du légataire, sur les biens immeubles de la succession, en vertu de l’article 1017 ;
5° Celles des frais funéraires ;
6° Celles ayant fait l’objet d’un jugement, contre le débiteur condamné ;
7° Celles du Trésor public, dans les conditions fixées par le livre des procédures fiscales ;
8° Celles des caisses de sécurité sociale, dans les conditions fixées par le code de la sécurité sociale.
NOTA :
Conformément au I de l’article 29 de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022, ces dispositions sont applicables à compter du 1er janvier 2023. Se reporter aux modalités d’application prévues au II dudit article. »
Enfin, il faut garder à l’esprit que les legs ne s’exécutent qu’après le paiement des dettes du de cujusselon l’adage « nemo liberalis nisi liberatus » « qui a des dettes ne peut faire des libéralités ». L’article 796 du code civil prévoit que l’héritier doit régler d’abord les dettes de la succession et délivrer les legs après.
« L’héritier règle le passif de la succession.
Il paye les créanciers inscrits selon le rang de la sûreté assortissant leur créance.
Les autres créanciers qui ont déclaré leur créance sont désintéressés dans l’ordre des déclarations.
Les legs de sommes d’argent sont délivrés après paiement des créanciers. »