Aller au contenu

Droit de la famille

Divorce – Constitutionnalité des conditions de révision d’une prestation compensatoire fixée sous forme de rente

Conseil const., 15 janv. 2021, n°2020-871, QPC

Divorce – Séparation de corps

Enseignement de l'arrêt

La loi du 30 juin 2000 prévoyant la révision des prestations compensatoires sous forme de rente viagère même fixées avant sa promulgation n’est pas contraire au principe d’égalité devant la loi.

Dans une décision n° 2020-871 QPC du 15 janvier 2021, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution française les dispositions relatives aux conditions de révision d’une prestation compensatoire fixée sous forme de rente. Cette décision est l’occasion de rappeler lesdites modalités.

Révision des prestations compensatoires fixées sous forme de rente viagère

Pour la révision des prestations compensatoires fixées sous forme de rente, il faut distinguer deux cas.

Rentes viagères avant la loi du 30 juin 2000

Pour celles-ci, la révision, la suspension ou la suppression est soumise à la démonstration que le maintien en l’état de la rente procurerait au créancier un avantage manifestement excessif au regard des critères posés à l’article 276 du code civil. Cette condition a été ajoutée par la loi du 26 mai 2004. 

Pour apprécier ce critère, il est notamment tenu compte de la durée du versement de la rente et du montant déjà versé.

La loi de 2004 prévoit également que :

  • l’article 276-3 du code civil est applicable à la révision, à la suspension ou la suppression des rentes viagères fixées par le juge ou par convention avant sa propre entrée en vigueur ;
  • la possibilité de substituer un capital aux rentes viagères fixées par le juge ou par convention avant sa propre entrée en vigueur dans les conditions fixées à l’article 276-4 du code civil.

Rentes fixées après la loi du 30 juin 2000

L’article 276-3 du code civil dispose : « La prestation compensatoire fixée sous forme de rente peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties.

La révision ne peut avoir pour effet de porter la rente à un montant supérieur à celui fixé initialement par le juge ».

Cette demande relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Le demandeur doit justifier d’un changement important soit dans sa situation, soit dans celle de l’autre ex-époux. Le changement doit être caractérisé et ne peut se fonder sur un élément qui était connu au moment du divorce et pris en compte dans la fixation initiale. 

Les juges du fond apprécient souverainement cette notion de « changement important ».  

Il peut trouver sa cause dans (cas tirés de la jurisprudence et de la pratique du cabinet) :

  • la mise en retraite anticipée du débiteur,
  • le remariage du débiteur
  • la naissance d’un nouvel enfant,
  • un nouveau concubinage du créancier de la prestation compensatoire
  • un héritage / une succession.

Saisine du conseil constitutionnel

Le Conseil Constitutionnel a été saisi le 16 octobre 2020 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 742 du 15 octobre 2020) d’une question prioritaire de constitutionnalité pour lui permettre de prendre une décision face à la demande d’une requérante contestant l’application de la nouvelle loi dans son dossier. La demande de la Cour de cassation est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe VI de l’article 33 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

Ce paragraphe prévoit que : « VI. – Les rentes viagères fixées par le juge ou par convention avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2000-596 du 30 juin 2000 relative à la prestation compensatoire en matière de divorce peuvent être révisées, suspendues ou supprimées à la demande du débiteur ou de ses héritiers lorsque leur maintien en l’état procurerait au créancier un avantage manifestement excessif au regard des critères posés à l’article 276 du code civil.

L’article 276-3 de ce code est applicable à la révision, à la suspension ou la suppression des rentes viagères fixées par le juge ou par convention avant l’entrée en vigueur de la présente loi.

La substitution d’un capital aux rentes viagères fixées par le juge ou par convention avant l’entrée en vigueur de la présente loi peut être demandée dans les conditions fixées à l’article 276-4 du même code ».

Arguments de la requérante

La requérante reproche l’application de ces nouvelles dispositions aux prestations compensatoires fixées sous forme de rente sous l’empire du droit antérieur à la loi du 30 juin 2000. 

Elle dénonce également, comme contraire au principe d’égalité devant la loi, la différence de traitement instaurée par ces dispositions entre les prestations compensatoires fixées avant la loi du 30 juin 2000 (et donc seules soumises à la condition de l’avantage excessif) et celles après.

Réponse du conseil constitutionnel

Sur la méconnaissance de la garantie des droits

Le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur peut modifier des textes antérieurs ou abroger ceux-ci en leur substituant d’autres dispositions, sous réserve des garanties constitutionnelles. 

Les dispositions contestées appliquent aux prestations compensatoires fixées sous forme de rente viagère avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 une nouvelle condition de révision : la recherche d’un avantage manifestement excessif procurée au créancier, au regard des critères à prendre en compte pour la fixation initiale de la prestation compensatoire.

Or sous l’empire de la loi précédente (30 juin 2000), le législateur avait déjà soumis les prestations compensatoires fixées sous forme de rente à une condition de révision, d’ordre public.

Par ailleurs, le montant de la rente est fixé selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Or cette prévision peut se trouver démentie par l’évolution ultérieure de la situation des époux et conduire à des déséquilibres contraires à l’objet de la prestation compensatoire, que l’édiction de règles de révision permet de corriger.

Le Conseil constitutionnel considère ainsi que les créanciers de rentes viagères fixées sous l’empire du droit antérieur à la loi du 30 juin 2000 ne pouvaient légitimement s’attendre à ce que ne s’appliquent pas à eux, pour l’avenir, les nouvelles règles de révision des prestations compensatoires.

Sur le principe d’égalité devant la loi

Le Conseil constitutionnel rappelle qu’avant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, la prestation compensatoire pouvait être fixée sous forme de rente viagère lorsqu’il n’était pas possible d’en prévoir le versement en capital par le débiteur.

La loi du 30 juin 2000 est venue restreindre le recours à ce mode de versement en prévoyant qu’il ne serait plus possible qu’à titre exceptionnel, lorsque l’âge ou l’état de santé du créancier ne lui permettent pas de subvenir à ses besoins. Le législateur a en outre limité les risques que les rentes viagères prononcées dans ce nouveau cadre procurent aux créanciers un avantage manifestement excessif, en prévoyant leur révision. 

Cette différence de situation est de nature à justifier la différence de traitement instaurée par les dispositions contestées entre les rentes viagères fixées avant cette loi et celles fixées après.

Les dispositions contestées sont ainsi déclarées conformes à la constitution.

Cet article vous intéresse ? Découvrez aussi les contenus suivants

Guide de la famille et du divorce

02

Mesures du divorce

jurisprudences et lois commentées

Droit de la famille

La révision de la prestation compensatoire : illustrations jurisprudentielles

Cass. civ 1re, 30 janv. 2011, n°10-24.632 / Cass. civ. 1ère, 11 sept. 2013, n°12-20.410 / Cass. civ. 1ère, 25 juin 2008, n°07-14.209 / Cass. civ. 1ère, 27 juin 2018, n°17-20.181 / Cass. civ. 1ère 21 juin 2023 n°21-17.077

Publié le 08 Oct 2024

jurisprudences et lois commentées