Jurisprudences
Donation d’une somme d’argent avec réserve d’usufruit
Comité de l’abus de droit fiscal (CADF), 2023
Anticipations de successions, Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
La donation de somme d’argent avec une réserve de quasi-usufruit est valable car le donateur se dépouille irrévocablement de ses biens avec le mécanisme de la créance de restitution.
Le comité de l’abus de droit fiscal (CADF) a traité de la question de la donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit et de sa requalification en donation « fictive ».
En l’occurrence, une veuve a consenti une donation-partage de la nue-propriété de somme d’argent à ses deux enfants. Elle s’est ainsi réservé l’usufruit de cette somme.
Les droits de mutation sont payés par les donataires, sur la valeur de la nue-propriété uniquement, ce qui leur a permis de bénéficier d’un avantage fiscal.
Au décès de leur mère les enfants ont inscrit au passif de la succession une créance de restitution (quasi-usufruit) égale aux sommes données.
L’administration fiscale y a vu un abus et a soumis au droit de mutation la valeur de l’usufruit, en l’assortissant d’un intérêt de retard et d’une majoration de 80%. Le comité de l’abus de droit fiscal est saisi.
Donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit : validité de principe
Donation conforme au principe d’irrévocabilité spéciale des donations
L’article 894 du Code civil définit la donation comme « un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte ».
L’article 944 du même code selon lequel « Toute donation entre vifs, faite sous des conditions dont l’exécution dépend de la seule volonté du donateur, sera nulle »
Aux premiers abords, la donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit semble porter atteinte au principe d’irrévocabilité spéciale des donations, qui interdit au donateur de se réserver la possibilité de reprendre ce qu’il a donné.
En effet, en se réservant la jouissance de la somme d’argent le donateur n’est-il pas libre d’en disposer comme il l’entend, ce qui serait donc contraire au principe d’irrévocabilité des donations ?
Toutefois, relevons que cette clause ne lui permet pas pour autant de révoquer sa donation.
En effet, la réserve de quasi-usufruit permet au donateur de disposer du bien donné, mais sa succession demeure débitrice d’une créance de restitution envers les donateurs, nu-propriétaire. In fine le donateur est donc bien dépouillé des sommes données.
Une telle donation s’apparente simplement à une donation à terme, parfaitement valable malgré le principe d’irrévocabilité spéciale des donations.
La réunion fictive de la donation : réserve d’usufruit et exclusions du principe de fixité des valeurs
En l’occurrence, il était question dans l’affaire traitée par la CADF d’une donation-partage de somme d’argent.
La donation était donc à réunir fictivement à la masse de calcul de la quotité disponible et de la réserve en application du principe posée par l’article 922 du code civil qui dispose que « La réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou testateur. Les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d’après leur état à l’époque de la donation et leur valeur à l’ouverture de la succession, après qu’en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l’époque de l’aliénation. S’il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l’ouverture de la succession, d’après leur état à l’époque de l’acquisition. Toutefois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n’est pas tenu compte de la subrogation. »
Toutefois, l’article 1078 du code civil qui pose le principe de fixité des valeurs des donation-partage n’est pas applicable en l’espèce puisqu’il est prévu une réserve d’usufruit sur la somme d’argent donnée.
En effet l’article 1078 du code civil dispose que « Nonobstant les règles applicables aux donations entre vifs, les biens donnés seront, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage pour l’imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l’aient expressément accepté, et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent. »
Précautions à prendre lors de la donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit
La donation doit porter sur des biens présents
La réserve de quasi-usufruit ne peut porter que sur des biens dont le donateur a la pleine propriété au jour de l’acte en application de l’article 943 du code civil qui dispose que « La donation entre vifs ne pourra comprendre que les biens présents du donateur ; si elle comprend des biens à venir, elle sera nulle à cet égard. »
C’est la raison pour laquelle la CADF précise habituellement que la donation doit être considérée comme fictive à hauteur des sommes dont le donateur n’avait pas la disponibilité au jour de l’acte de donation. Une telle donation ne peut donc pas porter sur une somme d’argent pouvant résulter de la cession ultérieure de valeurs mobilières.
Aussi par précaution, il convient d’annexer, à l’acte de donation le relevé bancaire justifiant de l’existence des deniers objet de la réserve de quasi-usufruit, afin d’écarter tout risque de requalification en acte fictif.
Clause d’indexation possible
Il est également recommandé de prévoir les modalités d’indexation ou de revalorisation de la créance de restitution et une sûreté réelle pourrait garantir le paiement de la créance.
Acte notarié nécessaire
Sur le plan formel, la donation avec réserve de quasi-usufruit ne peut résulter que d’un acte authentique.
En effet, en l’absence de tradition réelle du bien donné, c’est-à-dire de remise matérielle et immédiate de la chose donnée (ce qui est le cas avec une donation de somme d’argent contenant réserve d’usufruit), l’acte de donation doit nécessairement être passé sous forme notarié.
L’existence de l’acte notarié permettra également aux héritiers de déduire la dette de restitution de la masse taxable de la succession du quasi-usufruitier par application de l’article 773, 2° du Code général des impôts qui dispose que « Toutefois ne sont pas déductibles : (…)
2° Les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers ou de personnes interposées. Sont réputées personnes interposées les personnes désignées dans l’article 911, dernier alinéa, du code civil.
Néanmoins, lorsque la dette a été consentie par un acte authentique ou par un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l’ouverture de la succession autrement que par le décès d’une des parties contractantes, les héritiers, donataires et légataires, et les personnes réputées interposées ont le droit de prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l’ouverture de la succession ; »
L’article 773 du code général des impôts prévoit en effet que certaines dettes ne sont pas déductibles de l’actif imposable aux droits de mutation (tels que les droits de succession) car elles sont présumées soit remboursées soit fictives.
Il est ainsi prévu que ne sont pas déductibles les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers. Une exception est toutefois prévue si la dette consentie par acte sous-seing privé a date certaine avant l’ouverture de la succession (ce qui s’acquiert pour l’enregistrement de la donation auprès de l’administration fiscale) ou qu’elle a été consentie par acte authentique.
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