Jurisprudences
Droit international privé : première admission du renvoi en matière de filiation
Cass. civ. 1ère, 4 mars 2020, n°18-26.661
Enfants – Filiation et adoption, Etat civil
Enseignement de l'arrêt
Par un arrêt en date du 4 mars 2020 (n°18-26661), la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur l’admission du renvoi en matière de filiation.
Le renvoi en droit international privé
Rappel de la définition du renvoi
En droit international privé, le renvoi est un mécanisme juridique d’après lequel la loi étrangère, que la loi française désigne comme applicable dans un procès en France, est prise en compte non seulement pour son contenu mais également pour ses propres règles de conflit de loi. En résumé, la loi étrangère désignée par la loi française peut elle-même pointer vers la loi d’un pays tiers ; auquel cas le juge français fonde sa décision sur cette dernière.
En matière de filiation, absence de décision judiciaire sur le renvoi et position doctrinale antérieure
Refusé par les juges du fond (Paris, 11 mai 1976), la Cour de cassation n’avait jamais eu à se prononcer sur le renvoi de loi dans la matière particulière de la filiation. De son côté, la doctrine était divisée. D’un côté, certains auteurs estimaient que l’article 311-14 du Code civil est une règle de conflit bilatérale et le renvoi devrait ainsi être admis.
« Article 311-14 du Code civil : « La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant »
De l’autre côté, d’autres auteurs étaient contre l’admission du renvoi par souci de coordination de l’article 311-14 du Code civil (cf. ci-dessous) avec les autres articles (notamment l’article 311-17 Code civil) qui prévoient des rattachements alternatifs pour lesquels le renvoi est exclu.
« Article 311-17 du Code civil : La reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l’enfant »
Faits de l’espèce
Un enfant né en Allemagne est issu du mariage d’un homme de nationalité italienne et australienne et d’une femme de nationalité allemande.
Un autre homme conteste la paternité du mari devant le tribunal de grande instance de Paris, ville de résidence des parents et de l’enfant.
Selon l’article 311-14 du Code civil la contestation de la filiation est soumise à la loi nationale de la mère au jour de la naissance, soit en l’espèce la loi allemande.
La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant.
La Cour d’appel fait pourtant application de la loi française, ce que contestent les parents de l’enfant devant la Cour de cassation.
Position de la Cour de cassation
La Cour de cassation rejette le pourvoi des parents. Elle considère qu « Aux termes de l’article 311-14 du code civil, la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant
Ce texte, qui énonce une règle de conflit bilatérale et neutre, n’exclut pas le renvoi ».
Elle considère que, par une interprétation souveraine, la Cour d’appel a pu admettre que la règle de conflit de lois allemande renvoyait à la loi française. Après avoir retenu que le droit allemand était désigné par l’article 311-14 du code civil en tant que loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant, la Cour d’appel a interprété les articles 20, 19 et 14, § 1 du EGBGB (loi d’introduction au code civil contenant les règles du droit international privé allemand) et a ainsi relevé que – pour trancher le conflit de lois relatif à l’établissement de la filiation – ceux-ci renvoient à la loi de la résidence habituelle de l’enfant et à la loi régissant les effets du mariage qui, en l’absence de nationalité commune des époux, est la loi de l’État de leur domicile commun (donc la France).
Elle relève que « la résolution du conflit de lois par l’application des solutions issues du droit allemand, lesquelles désignent la loi française, permet d’assurer la cohérence entre les décisions quelles que soient les juridictions saisies par la mise en œuvre de la théorie du renvoi ».
Cette décision au sujet de la filiation de la Cour de cassation est en adéquation avec les règles générales de droit international privé.