Jurisprudences
Droits de succession : une taxation d’office est-elle possible lorsqu’une déclaration de succession a été déposée ?
Cass. com., 1 juin 2023, n°21-24.891
Liquidation et partage de successions, Anticipations de successions
Enseignement de l'arrêt
Les droits de succession doivent être payés au moment du dépôt de la déclaration de succession
La déclaration de succession est un document fiscal souscrit par les héritiers au sens large, souvent accompagnés par un notaire, dans lequel sont répertoriés l’actif et le passif de la masse successorale.
L’actif net de succession, c’est-à-dire l’actif dont est déduit le passif, constitue la base sur laquelle sont calculés les droits de succession dus par les héritiers à l’administration fiscale.
Sauf éléments d’extranéité, le dépôt de la déclaration de succession doit intervenir dans les six mois du décès, sous peine d’intérêts et de pénalités de retard, et oblige au paiement des droits de succession dans le même temps.
Les héritiers qui n’auraient pas déposé la déclaration dans les six mois du décès sont redevables d’intérêts de retard de 0,20% par mois de retard, d’une pénalité de 10% si l’acte est déposé avec plus de six mois de retard et d’une pénalité de 40% s’il n’est toujours pas déposé après une mise en demeure de l’administration fiscale d’effectuer ce dépôt dans les 90 jours.
En pratique, lorsque la déclaration de succession n’est pas déposée dans les délais impartis, l’administration fiscale peut se saisir du dossier et engager une procédure de taxation d’office. Elle peut ainsi redresser fiscalement le contribuable. Précisions que la procédure est juridiquement non contradictoire mais les avocats de notre cabinet, spécialisés en droit des successions, parviennent à engager des discussions avec l’administration fiscale pour amoindrir les conséquences, forcément lourdes, d’une telle procédure.
Analyse de l’arrêt
En l’espèce, une femme décède en 2002 en laissant pour lui succéder ses quatre enfants.
Le 19 octobre 2004, après avoir été mis en demeure de déposer la déclaration de succession, l’un seul des héritiers procède à ce dépôt. L’administration fiscale ayant refusé le paiement fractionné des droits de succession et l’héritier ne disposant pas de la trésorerie pour régler intégralement ces droits, il ne verse qu’un acompte. L’Administration fiscale refuse pour cette raison d’enregistrer l’acte.
Le 2 mai 2012, l’administration fiscale procède à une taxation d’office et adresse à tous les héritiers une proposition de rectification du montant des droits de succession.
Un avis de mise en recouvrement au titre de la taxation d’office est alors envoyé à l’une des héritières.
Contestant cet avis, l’héritier qui avait agi spontanément assigne la direction générale des finances publiques afin de voir dire irrégulière et mal fondée la proposition de rectification et de se voir accorder un dégrèvement total.
Par arrêt du 6 mars 2018, la Cour d’appel de Grenoble rejette la contestation de la taxation d’office et retient que la déclaration de succession déposée par l’héritier était irrégulière car elle n’était pas accompagnée du paiement des droits de succession.
La Cour d’appel affirme également que la prescription abrégée de trois ans n’est pas applicable en l’absence de déclaration de succession régulière et que la procédure de taxation est ainsi soumise au délai de prescription de dix années.
L’héritier forme alors un pourvoi en cassation, soulevant que la procédure de taxation d’office aux droits d’enregistrement est inapplicable lorsqu’une déclaration de succession a été déposée dans les 90 jours de la mise en demeure, même lorsque l’administration fiscale a refusé l’enregistrement de l’acte.
Elle considère donc qu’en jugeant que la procédure de taxation d’office était applicable en l’absence d’enregistrement de la déclaration déposée dans le délai imposé par l’administration à cause du paiement d’un seul acompte sur les droits de succession, la Cour d’appel a violé les articles 66 et 67 du livre des procédures fiscales.
La question est posée : l’Administration fiscale peut-elle recourir à une procédure de taxation lorsqu’une déclaration de succession est déposée mais non enregistrée pour des raisons que l’administration fiscale considère comme légitimes ?
L’impossibilité pour l’Administration fiscale de sanctionner la mauvaise foi des hériiters en les taxant
La distinction entre le dépôt et l’enregistrement d’une déclaration de succession
Dans son arrêt du 1er juin 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que selon l’article L66 4° du livre des procédures fiscales dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 29 juillet 2011 : « Sont taxés d’office […] 4° aux droits d’enregistrement et aux taxes assimilées, les personnes qui n’ont pas déposé une déclaration ou qui n’ont pas présenté un acte à la formalité de l’enregistrement dans le délai légal, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l’article L. 67 ».
La procédure de taxation d’office est permise lorsqu’aucune déclaration de succession n’est effectuée dans le délai légal et lorsque l’acte n’est pas présenté à la formalité d’enregistrement dans ce délai.
La Cour de cassation en déduit que cette taxation d’office n’est pas envisageable lorsque la déclaration a été déposée dans le délai légal mais qu’elle n’a pas été enregistrée en raison d’un refus de l’administration fiscale, même si ce refus est légitime, par exemple en raison de l’absence de paiement des droits de succession.
La Cour de cassation précise que le droit de reprise de l’administration fiscale restait soumis au délai de prescription de trois ans, la déclaration de succession étant régulière bien qu’elle n’ait pas été enregistrée.
La Haute juridiction en conclut que la Cour d’appel de Grenoble a violé l’article susvisé et casse l’arrêt d’appel.
La possibilité pour les héritiers de ne pas régler les droits de succession lors du dépôt de la déclaration de succession
L’article L66 4° du livre des procédures fiscales est très clair et ne fait état que de deux hypothèses dans lesquelles l’administration fiscale peut procéder à une taxation d’office. Or, cet article ne prévoit pas une telle procédure lorsqu’une déclaration de succession a bien été déposée dans les délais imposés par l’administration fiscale mais que cette dernière a refusé de l’enregistrer.
La logique avec laquelle la Cour de cassation applique ce texte peut donc être saluée et permet aux contribuables d’être assurés du respect du principe de sécurité juridique.
Rappelons à toutes fins utiles les règles conditionnant le paiement fractionné des droits de succession, prévues par les articles 396 et suivants du code général des impôt : (i) la possibilité de régler en plusieurs versements les droits de succession est conditionnée au fait que ces versements doivent être égaux, que le premier doit avoir lieu en même temps que le dépôt de la déclaration de succession et (ii) l’administration fiscale doit avoir accepté un tel fractionnement.
Ces conditions n’étant pas respectées en l’espèce, les héritiers savaient qu’ils ne pouvaient pas prétendre au paiement fractionné des droits de succession et qu’il devait donc les régler en intégralité lors du dépôt de la déclaration de succession.
Refuser la possibilité pour l’administration fiscale de procéder à une taxation d’office dans de telles situations revient donc à autoriser les héritiers à déposer des déclarations de succession sans régler les droits afférents et sans craindre de taxation. Chacun y trouvera son intérêt ou sa contestation !
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