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Droit de la famille

Famille - Ce n’est pas le « juste prix » mais le « juste équilibre » qui délimite l’octroi d’une prestation compensatoire

Cass. civ. 1ère, 30 nov. 2022, RG n°21-11.128

Divorce – Séparation de corps

Enseignement de l'arrêt

Confrontée à une tentative de remise en cause du principe de la prestation compensatoire, tel que défini dans le code civil, la Cour de cassation a tapé fort dans un attendu de principe. Elle considère que la prestation compensatoire repose sur des critères objectifs, définis par le législateur, qui ménagent un juste équilibre entre le but poursuivi et la protection des biens du débiteur. 

Notion de prestation compensatoire

Le divorce met fin au devoir de secours et à la contribution aux charges du mariage, de sorte que les époux n’ont plus de devoir d’entraide matérielle réciproque. 

Pour autant, le divorce peut avoir pour effet de créer un déséquilibre entre les conditions de vie des époux. 

Le code civil prévoit le mécanisme de la prestation compensatoire qui permet justement de rééquilibrer la situation matérielle des ex-époux après le prononcé du divorce. 

Définition

La prestation compensatoire est définie à l’article 270 du code civil qui dispose que :

« Le divorce met fin au devoir de secours entre époux.

L’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge.

Toutefois, le juge peut refuser d’accorder une telle prestation si l’équité le commande, soit en considération des critères prévus à l’article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture. »

Ainsi, l’époux qui se retrouve confronté à une chute de son niveau de vie peut demander le versement d’une prestation compensatoire destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives.

Il s’agit généralement d’une somme versée à un des époux à l’issue du prononcé du divorce dans l’objectif de permettre à l’autre époux de rebondir suite à la perte de niveau de vie due notamment à la cessation de la mutualisation des moyens du mariage en cas de divorce.

La détermination de cette prestation compensatoire constitue parfois un exercice périlleux pour les personnes non aguerries….

Les critères de détermination de la prestation compensatoire

Le juge doit prendre en compte les besoins de l’époux à qui elle est versée (créancier) et les ressources de l’autre (débiteur) (article 271 alinéa 1er du Code civil). 

L’alinéa 2 de l’article 271 du Code civil dresse ensuite une liste des critères que le juge doit prendre en compte à ce titre tels que :

  • la durée du mariage,
  • l’âge et l’état de santé des époux,
  • leur qualification et leur situation professionnelle,
  • les éventuels choix professionnels faits par l’un des époux pour se consacrer à l’éducation des enfants et favoriser la carrière de son conjoint,
  • la consistance de leur patrimoine existant et prévisible,
  • leurs droits existants et prévisibles,
  • leur situation respective en matière de pension de retraite.

La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

A cet effet, le juge prend en considération notamment :

– la durée du mariage ;

– l’âge et l’état de santé des époux ;

– leur qualification et leur situation professionnelles ;

– les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;

– le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial;

– leurs droits existants et prévisibles ;

– leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.

Toutefois, cette liste n’est pas exhaustive, et le juge a été amené à préciser s’il faut ou non prendre en considération d’autres éléments.

La protection des droits fondamentaux

Confronté aux droits fondamentaux, le mécanisme français de la prestation compensatoire a connu des remises en cause :

  • C’est ainsi que la France a été condamnée devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 10 juill. 2014, Milhau c/ France, n° 4944/11). 
    • Dans cette affaire était en cause l’une des modalités d’exécution de la prestation compensatoire en capital, à savoir l’attribution d’un bien du débiteur en propriété sur décision du juge « opérant cession forcée en faveur du créancier » (article 274, 2° du Code civil, modifié par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004). Sur ce point, la Cour européenne a estimé qu’il y avait eu « rupture du juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu » et qu’en l’espèce, le requérant avait « supporté une charge spéciale et exorbitante, que seule aurait pu rendre légitime la possibilité de proposer de s’acquitter de sa dette par un autre moyen mis à sa disposition par la loi ». 
    • Pour parvenir à cette conclusion, la Cour européenne a rappelé les principes généraux qui fondent son interprétation de l’article 1 du Protocole n° 1 garantissant le droit de propriété, et les conditions que doit remplir une mesure de privation de propriété pour être compatible avec celui-ci (CEDH, gr. ch., 25 oct. 2012, Vistinš et Perepjolkins c/ Lettonie, n° 71243/01, § 94) : il faut qu’elle intervienne « dans les conditions prévues par la loi », « pour cause d’utilité publique », et qu’elle ménage « un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu ». « En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » ne conduisant pas à faire supporter à un requérant « une charge spéciale et exorbitante que seule peut rendre légitime la possibilité de contester utilement la mesure prise à son égard ». 
  • Le Conseil constitutionnel a également été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui l’avait conduit à examiner la conformité de l’article 274, 2°du code civil au droit de propriété, et à formuler une réserve quant au respect d’un principe de subsidiarité de cette modalité de versement de la prestation compensatoire, par rapport à celle du paiement d’une somme d’argent prévue par l’article 274, 1° (Cons. const. 13 juill. 2011, n° 2011-151 QPC).

Apport de l’arrêt

Faits de l’espèce

Deux époux divorcent.

Dans le cadre de la procédure de divorce, l’époux demande la condamnation de son épouse à lui verser une prestation compensatoire en capital.

Les juges du fond (cour d’appel d’Orléans du 8 décembre 2020) condamnent l’épouse à verser la somme en capitale de 50.000 € à son époux.

L’épouse se pourvoit en cassation. Elle fonde son moyen sur la violation de l’article 1, § 1, du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui prévoit que « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ». Elle estime que la prestation compensatoire en capital mise à sa charge ne respecte pas un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. 

Elle remet ainsi en cause le principe même de la prestation compensatoire tel que posé par l’article 270 du code civil.

« Le divorce met fin au devoir de secours entre époux.

L’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge.

Toutefois, le juge peut refuser d’accorder une telle prestation si l’équité le commande, soit en considération des critères prévus à l’article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture ».

Position de la Cour de cassation

La position de la Cour de cassation est guidée par le souci de justifier point par point le principe de la prestation compensatoire en capital au regard des droits fondamentaux et des termes utilisés, tant par la Cour européenne que par le Conseil constitutionnel.

Elle reprend le terme fort du « juste équilibre » comme fondement principal de sa position.

La Cour de cassation reconnaît que l’article 270 du code civil, « en ce qu’il prévoit la possibilité d’une condamnation pécuniaire de l’époux débiteur de la prestation compensatoire est de nature à porter atteinte au droit de celui-ci au respect de ses biens, au sens autonome de l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Mais elle estime qu’en visant à compenser la disparité créée par la rupture du mariage et en prévoyant le versement d’une prestation compensatoire sous la forme d’un capital, ce texte poursuit un but légitime « à la fois de protection du conjoint dont la situation économique est la moins favorable au moment du divorce et de célérité dans le traitement des conséquences de celui-ci ».

Elle ajoute que « l’octroi d’une prestation compensatoire repose sur plusieurs critères objectifs, définis par le législateur et appréciés souverainement par le juge afin de tenir compte des circonstances de l’espèce, et ne peut être décidé qu’au terme d’un débat contradictoire, en fonction des éléments fournis par les parties ».

Elle observe que l’appréciation de la disparité repose sur des critères objectifs (ressources, charges et patrimoine de chacun des époux). Et d’insister en outre sur le pouvoir d’appréciation du juge et la possibilité qui lui est laissée de refuser même d’accorder une prestation compensatoire en application de l’article 270, alinéa 3, du code civil. Au terme de ces considérations, la Cour de cassation conclut que « ces dispositions ménagent un juste équilibre entre le but poursuivi et la protection des biens du débiteur sur lequel elles ne font pas peser, par elles-mêmes, une charge spéciale et exorbitante ». 

Cette rédaction est proche du vocabulaire habituellement employée par la Cour européenne des droits de l’homme.

Critique de la position de la Cour de cassation

Le jeu de mot est aisé entre le juste prix et le juste équilibre. C’est bien de ça qu’il s’agit. Quel est le juste prix à octroyer à l’époux débiteur ? Quel est le juste prix à condamner l’époux créancier ? C’est le juste équilibre entre le but poursuivi (le créancier) et la protection des biens du débiteur (le débiteur) qui permet de garantir que l’octroi d’une prestation compensatoire ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux.

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Publié le 08 Oct 2024

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