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Droit de la famille

Famille : refus de soumettre à l’étude d’une QPC l'absence de suspension de la prescription entre concubins

Cass. civ. 1ère, 10 juil. 2024, n°24-10.157

Unions (mariage / pacs / concubinage), Divorce – Séparation de corps, Liquidation et partage de régime matrimonial, Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières

Enseignement de l'arrêt

Refus de la Cour de cassation de renvoyer au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité relatives à l’article 2236 du code civil (qui ne prévoit pas la suspension de la prescription entre concubins contrairement aux époux et partenaires de Pacs).

Rappel de la définition du concubinage

Dispositions générales

Le Code Civil donne une définition sommaire des contours du concubinage à son article 515-8 « Le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple. ».

Contrairement aux partenaires liés par un PACS et aux époux liés par le mariage, l’union des concubins est très peu régie par la loi. 

Napoléon lui-même a eu cette phrase célèbre : « les concubins se passent de la loi, la loi se désintéresse d’eux ». Les mœurs ont évolué et des dispositions spécifiques peuvent désormais s’appliquer aux concubins. 

Néanmoins ils demeurent tout de même soumis à un régime très différent des époux et des partenaires. 

Ainsi dans un cadre successoral, le concubin survivant n’a aucun droit légal dans la succession de son compagnon décédé (sauf testament). Il est également taxé comme un tiers avec des droits de mutation de 60%. 

Autre exemple d’un point de vue fiscal : contrairement au mariage et au PACS, le concubinage ne permet pas de créer un foyer fiscal unique. Chacun déclare ses revenus séparément et demeure imposable individuellement. Les concubins devront notamment choisir lequel d’entre eux prendra fiscalement les enfants communs à charge. 

Le cas spécifique de la prescription des créances entre concubins

Dans le cas fréquent où des concubins ont acquis des biens ensemble, ils peuvent avoir à faire valoir des créances entre eux liées au financement dans le cadre de la liquidation de leur indivision

Sur ce point, les époux et les partenaires bénéficient de la suspension de la prescription pour faire valoir leurs créances sur le fondement de l’article 2236 du Code civil : le délai commencera à courir à compter du jour où le prononcé du divorce est devenu définitif ou à compter de la date de rupture du PACS. Autrement dit, les époux et les Pacsés peuvent sereinement vivre leurs vies communes sans avoir à surveiller un quelconque délai qui les priveraient de leurs droits de créance. Seuls le divorce et la dissolution du Pacs fait enfin naître cette crainte en marquant le point de départ de la prescription

« Elle ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ».

De leur côté, les concubins ne bénéficient pas d’une telle suspension et sont donc contraints de régler – parfois du temps de la vie commune – les créances existant entre eux s’ils ne veulent pas que celles-ci se prescrivent. Or il peut être difficile d’opérer de telles opérations du temps de la vie commune. 

Faits de l’espèce

Monsieur [P] et Madame [B] vivent en concubinage et le 25 juin 2002, ils acquièrent en indivision un bien immobilier destiné au logement de la famille. qui vivaient en concubinage, ont acquis en indivision, le 25 juin 2002, un bien immobilier destiné au logement de la famille. 

Ils se séparent en août 2019.

Le Tribunal judiciaire de Colmar ordonne l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l’indivision le 6 mai 2021 et un notaire est classiquement désigné pour y procéder.

Un appel est interjeté. Par arrêt du 17 octobre 2023, la cour d’appel de Colmar déclare prescrites la créance d’apport de Monsieur [P] ainsi que les créances de conservation du bien indivis nées antérieurement au 6 mai 2016 qu’il fait valoir à l’égard de l’indivision

Monsieur [P] forme un pourvoi en cassation et sollicite le renvoi au Conseil constitutionnel de deux questions prioritaires de constitutionnalité. 

« 1°/ L’article 2236 du code civil, en ce qu’il ne prévoit la suspension de la prescription qu’entre époux et partenaires pacsés, et non entre concubins, méconnaît-il le principe d’égalité garanti par les articles 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et 1er de la Constitution ? »

« 2°/ L’article 2236 du code civil, qui ne prévoit la suspension de la prescription qu’entre époux et partenaires pacsés, ce qui contraint le concubin à agir en justice contre l’autre pendant le cours du concubinage pour interrompre la prescription applicable à ses créances patrimoniales contre ce dernier, laquelle peut se trouver acquise lors de sa rupture, méconnaît-il le droit de mener une vie familiale normale résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ? »

Position de la Cour de cassation sur la demande de QPC

La Cour de cassation précise tout d’abord que l’article 2236 du Code civil n’a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel. Il pourrait donc être pertinent d’interroger le Conseil constitutionnel sur cet article.

Cependant, la Cour de cassation considère ici que :

  • les questions posées – ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application – ne sont pas nouvelles ; 
  • les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.

La Cour de cassation considère que l’article 2236 ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi puisque l’absence de suspension de la prescription à l’égard des concubins est fondée sur une différence de situation. Elle rappelle que le législateur a pu ne pas inclure les concubins dans la mesure où leur situation se distingue de celles des époux et des partenaires, en ce qu’il s’agit d’une union de fait qui se forme et se défait par la seule volonté, qui est en dehors de tout cadre juridique, et qui emporte des droits et obligations moins nombreux.

Ensuite, l’application de la disposition du Code civil n’entraîne pas une atteinte au droit des concubins à mener une vie familiale normale, puisqu’elle n’impose nullement à celui qui détient une créance contre l’autre d’agir en justice pendant la durée de leur relation afin d’éviter la prescription.

En conséquence, la Cour de cassation refuse de renvoyer les questions au Conseil constitutionnel.

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