Jurisprudences
Filiation : l'impossibilité matérielle de procéder à une expertise biologique
Cass. civ. 1ère, 2 déc. 2020, n°19-21.850
Enfants – Filiation et adoption
Enseignement de l'arrêt
L’impossibilité matérielle de procéder à une expertise biologique pour établir un lien de filiation peut constituer un motif légitime de ne pas ordonner cette expertise.
Dans un arrêt du 02 décembre 2020 (n°19-21.850), la Cour de cassation édicte que l’impossibilité matérielle de procéder à une expertise biologique pour établir un lien de filiation peut constituer un motif légitime de ne pas ordonner cette expertise.
Rappel des règles en matière de recherche de paternité et de maternité
Lorsque sa filiation paternelle ou maternelle n’est pas établie, un enfant – ou son représentant – peut intenter une action en recherche de maternité ou en recherche de paternité (actions régies par les articles 325 et suivants du code civil).
Selon l’article 310-3 du code civil « La filiation se prouve par l’acte de naissance de l’enfant, par l’acte de reconnaissance ou par l’acte de notoriété constatant la possession d’état.
Si une action est engagée en application du chapitre III du présent titre, la filiation se prouve et se conteste par tous moyens, sous réserve de la recevabilité de l’action. »
Ainsi, dans le cadre d’une action en recherche de filiation, la preuve de la maternité ou de la paternité peut être établie par tout moyen. Cette liberté de la preuve est à l’origine d’un principe jurisprudentiel bien établi selon lequel, en matière de filiation, l’expertise biologique est de droit sauf motif légitime de ne pas y procéder (Civ. 1ère, 28 mars 2000, n° 98–12806).
Les parents présumés, ceux avec lesquels un enfant cherche à établir un lien de filiation, sont parfois tentés de mettre en avant certains motifs pour ne pas se prêter à une expertise biologique.
Alors que ce « motif légitime » est de moins en moins retenu par la jurisprudence en la matière, la décision du 02 décembre 2020 en donne une illustration.
L’impossibilité matérielle : un motif légitime de ne pas procéder à une expertise
En l’espèce, la mère d’un enfant assigne un homme en recherche de paternité et demande qu’une expertise biologique soit ordonnée.
Par un arrêt du 27 juin 2019, la Cour d’appel de Douai rejette sa demande au motif qu’ordonner une telle expertise serait vain puisque, comme en attestait le procès-verbal de recherches infructueuses, il n’était pas possible de localiser le présumé père.
La mère forme alors un pourvoi en cassation.
Elle reproche d’une part à la Cour d’appel d’avoir retenu qu’en l’absence d’acte de naissance récent de l’enfant, rien ne permettait de s’assurer qu’il n’avait pas été finalement reconnu par un homme.
La mère considère effectivement que la communication d’un acte de naissance actualisé n’est pas exigée par les articles 310-3 et 327 du code civil, de sorte que les juges du fond ne pouvaient pas se prévaloir de cet argument pour rejeter la demande.
D’autre part, la mère affirme qu’elle n’était pas dans l’obligation de communiquer des documents permettant de connaître l’état civil précis du présumé père, défaillant à l’instance.
Elle explique donc devant la Cour de cassation qu’une expertise biologique aurait dû être ordonnée même si l’assignation n’avait pas pu être délivrée au présumé père, dont on ne connaissait pas les coordonnées.
Dans son arrêt du 2 décembre 2020, la Cour de cassation rappelle tout d’abord que conformément à l’article 310-3 du code civil, l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder.
La Cour précise cette règle en affirmant que : « L’impossibilité matérielle de procéder à l’expertise, en raison, notamment, de l’impossibilité de localiser le père prétendu, peut constituer un tel motif légitime ».
La Haute Juridiction considère donc que l’adresse du présumé père étant inconnue, les juges du fond avaient pu refuser d’ordonner une expertise biologique.
Des failles dans le droit à faire établir sa filiation
Comme il a été dit ci-dessus, la jurisprudence habituelle en la matière cherche à garantir la possibilité de faire établir une filiation grâce à une expertise biologique.
Les exceptions à cette expertise sont de plus en plus rares.
La Cour de cassation a d’ailleurs très récemment rappelé que l’absence de décision irrévocable au sujet de la recevabilité d’une action en recherche de paternité ne constituait pas un motif légitime de ne pas procéder à l’expertise biologique.
Rappelons que le refus du prétendu père de se soumettre à l’expertise génétique, une fois celle-ci décidée, peut constituer pour le juge un indice fort de sa paternité.
L’impossibilité d’être retrouvé représenterait-elle une opportunité pour le père prétendu ?
La Cour de cassation explique bien dans son arrêt du 2 décembre 2020 que, lorsque le demandeur ne connait pas l’adresse du père présumé et que l’commissaire de justice en charge de lui signifier l’assignation ne parvient pas à le localiser, alors cette impossibilité matérielle de procéder à l’expertise peut constituer un motif légitime de ne pas l’ordonner.
Il ne faut toutefois pas déduire de cette décision qu’il « suffit » au présumé père de faire en sorte de garder son adresse secrète pour éviter qu’un lien de filiation ne soit établi à son égard.
La Cour de cassation précise en effet qu’en l’espèce, l’impossibilité matérielle de procéder à une expertise biologique était « notamment » constituée par l’impossibilité de localiser le défendeur. Cela sous-entend que d’autres éléments du dossier doivent permettre de qualifier cette impossibilité matérielle. En l’espèce, la mère ne produisait aucun document officiel (copie de carte d’identité ou de passeport, copie intégrale de l’acte de naissance) permettant de s’assurer des prénoms, nom, date et lieu de naissance du prétendu père.
En outre, la Cour de cassation affirme qu’une telle impossibilité matérielle « peut » constituer un motif légitime de ne pas procéder à une expertise biologique. Rien ne contraint donc les juges du fond à refuser d’ordonner une telle expertise lorsque l’adresse du présumé père est inconnue.
Cette décision rejoint un précédent arrêt de la Cour de cassation (Civ. 1ren 14 juin 2005, n°03-19582) qui avait considéré que l’expertise biologique serait vouée à l’échec notamment en raison de l’absence de localisation du père.
Une décision contraire aurait le mérite du pragmatisme et de la protection de l’enfant, pourtant désormais solidement installée comme ligne directrice de la jurisprudence familiale. Si les expertises étaient ordonnées même lorsque le prétendu père n’est pas localisé, elles pourraient être exécutées une fois le géniteur retrouvé en évitant surtout à l’enfant de se heurter aux règles de prescription dans l’intervalle.
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