Jurisprudences
Héritier ni associé ni légataire - droit aux dividendes et valeurs des parts sociales
Cass. civ. 1ère, 2 sept. 2020, n°19-14.604
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
- Enseignement n°1 de l’arrêt : Un héritier légataire de parts sociales n’a pas la qualité d’associé tant qu’il n’a pas été agréé par les associés survivants.
- Enseignement n°2 de l’arrêt : L’héritier ne peut prétendre percevoir les dividendes et les bénéfices de la SCI du seul fait de sa qualité d’héritier légataire des parts reçu par legs. Il doit attendre de devenir associé.
La Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 2 septembre 2020 (Civ. 1re, n° 19-14.604) que l’héritier qui n’a pas été agréé comme associé de la SCI n’a pas qualité pour percevoir les dividendes, même avant la délivrance du legs des parts sociales aux légataires particuliers. Il n’a aucun droit dans la répartition du prix de vente des cessions d’actifs. Il ne peut que solliciter l’action en réduction dont le de cujus était titulaire.
Présentation des faits
Dans cette affaire, deux époux mariés sous un régime de communauté de biens avaient constitué une société civile immobilière (SCI) avec deux autres associés (lesquels étaient par ailleurs les frères de l’époux). Sur les 4 002 parts sociales, 634 étaient communes aux deux époux et 700 constituaient des biens propres de l’époux, le reste étant détenu par les autres associés.
Au décès de l’époux, survenu le 5 janvier 2010, les 1 334 parts du couple ont été réparties entre le patrimoine du conjoint survivant (la moitié des parts communes, soit 317 parts pour l’épouse) et la succession (la moitié des parts communes et l’intégralité des parts propres, soit un total de 1 017 parts). Un testament instituait les deux frères associés légataires particuliers de la pleine propriété des 1 017 parts attribuées à la succession.
L’épouse est à son tour décédée le 18 mars 2011, en l’état d’un testament désignant les deux associés survivants légataires de ses parts de la SCI.
L’intégralité des parts revenait ainsi, in fine, aux deux associés survivants.
L’épouse laissait également pour lui succéder un neveu. Il a accepté tardivement de délivrer les legs aux deux associés les 22 et 26 novembre 2012 (soit plus d’une année et demi après le décès de sa tante).
Le neveu a assigné les légataires de deux chefs :
- en sa qualité d’ayant droit du conjoint survivant titulaire d’une réserve héréditaire (puisque le couple n’avait pas d’enfants), il sollicitait la réduction des legs consentis par l’époux à ses deux frères, car ils excédaient la quotité disponible.
- en qualité d’héritier saisi, il revendiquait le paiement de diverses sommes correspondant au versement de dividendes réalisé entre le second décès (18 mars 2011) et la délivrance des legs (novembre 2021), ainsi que l’allocation de dommages-intérêts pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive.
Dans un arrêt du 22 février 2019, la cour d’appel fait droit à la demande en réduction des legs mais rejette les demandes au titre de l’appréhension des dividendes par les légataires.
Le demandeur succombant forme un pourvoi en cassation, articulé en six moyens.
La Cour de cassation procède à une cassation partielle de l’arrêt d’appel.
Position de la Cour de cassation
Sur les six moyens soulevés par le neveu, seul le cinquième moyen, relatif à l’évaluation des biens pour le calcul de l’indemnité de réduction, convainc la Cour de cassation de censurer la décision d’appel. Les autres moyens sont rejetés pour des motifs intéressants à étudier.
Sur la demande de réduction pour le compte de l’épouse
La Cour de cassation confirme d’abord la possibilité pour l’ayant droit du conjoint survivant titulaire d’une réserve héréditaire, de solliciter la réduction des legs consentis par l’époux à ses deux frères, car ils excédaient la quotité disponible.
En application de cette possibilité, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en ce que les parties s’étant exclusivement référées à la déclaration de succession, les juges du fond ne pouvaient, sans modifier l’objet du litige, se déterminer d’après le projet d’état liquidatif établi par le notaire.
Sur la demande de dividendes de l’héritier non associé de la SCI
L’apport de cet arrêt réside essentiellement dans la nature de fruit des dividendes distribués entre le décès du de cujus (l’épouse), survenu le 18 mars 2011, et l’entrée en possession des légataires réalisée les 22 et 26 novembre 2012.
Entre ces deux dates, la SCI avait procédé à des distributions au titre des loyers résultant de la mise en location de biens immobiliers. Selon le demandeur au pourvoi, en tant que fruits des parts sociales, ces valeurs devaient intégrer l’actif successoral et revenir à l’héritier, conformément à l’article 1014 du code civil, selon lequel « le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu’à compter du jour de sa demande en délivrance […] ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie ».
Pour rejeter la demande, la cour d’appel de Versailles avait retenu que, quoiqu’héritier, le demandeur n’était pas associé, faute d’avoir reçu l’agrément nécessaire.
La Cour de cassation approuve sans réserve. Après avoir rappelé la teneur des articles 1870, alinéa 1er, et 1870-1 du code civil, la première chambre civile énonce l’attendu de principe suivant: « s’il n’est associé, l’héritier n’a pas qualité pour percevoir les dividendes, fût-ce avant la délivrance du legs de ces parts à un légataire ».
Ainsi, l’héritier n’ayant pas en l’espèce reçu l’agrément de la SCI, il ne pouvait prétendre aux bénéfices distribués après encaissement des loyers, postérieurement au décès de son auteur, avant la délivrance des legs.
La Cour de cassation s’est attachée à la stricte lettre des articles 1870 et 1870-1 du code civil, qui sont limpides. Selon le premier, « la société civile n’est pas dissoute par le décès d’un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu’ils doivent être agréés par les associés ». Selon le second, « les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n’ont droit qu’à la valeur des parts sociales de leur auteur ».
Quoique classée au titre des sociétés de personnes, la société civile n’est pas dissoute par le décès ou l’incapacité d’un associé et les héritiers peuvent ainsi espérer devenir à leurs tours associés, (à condition toutefois que l’apport réalisé subsiste après son décès, ce qui exclut les apports en industrie). Mais puisque l’intuitu personae demeure important, les statuts peuvent permettre aux associés survivants de tenir en échec les prétentions des ayants droit en soumettant leur entrée à un agrément.
En d’autres termes, si la qualité d’héritier résulte de la loi, la qualité d’associé demeure largement tributaire du bon vouloir des associés survivants. Or seule la qualité d’associé confère le droit de participer aux résultats. C’est la confirmation que les parts sociales sont des biens très particuliers.
Sur la cession des actifs de la SCI
Au cours de la période litigieuse, la société avait procédé à la cession de deux actifs sociaux et l’assemblée générale avait décidé une répartition du prix de vente proportionnellement aux droits des associés dans le capital social. Cette décision était intervenue avant la clôture de l’exercice et l’approbation des comptes.
Une nouvelle fois, le demandeur faisait valoir sa qualité d’héritier saisi des parts sociales et son droit aux fruits, donc aux dividendes.
La cour d’appel le lui a refusé au motif que ces sommes distribuées correspondaient à des produits exceptionnels et non des fruits, ce qui excluait par là même la qualification de dividendes.
Sans revenir sur cette qualification, la Cour de cassation rejette le moyen. Elle relève que la cour d’appel n’a jamais nié le droit de l’héritier à percevoir les dividendes. Elle a simplement considéré que les sommes litigieuses n’en étaient pas.
Il est constant que les dividendes ont la nature de fruits et qu’ils n’ont d’existence juridique qu’à compter de la décision de l’organe compétent de procéder à leur distribution à la clôture de l’exercice après approbation des comptes. Cela explique par exemple que l’usufruitier des parts sociales qui décide de mettre en réserve les bénéfices au lieu de procéder à leur répartition ne consent pas une donation au nu-propriétaire, faute d’objet (Com. 18 déc. 2012, n° 11-27.745).
À l’inverse, le prix de vente d’une cession d’actif est un produit, et cette nature ne change pas lorsqu’il est réparti entre les associés. Ainsi la décision de l’assemblée générale de répartir ces sommes n’est « pas de nature » à modifier cette qualification, c’est-à-dire d’en faire des fruits, donc des dividendes.
En définitive :
- Selon l’article 1870, alinéa 1, du Code civil, la société civile n’est pas dissoute par le décès d’un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu’ils doivent être agréés par les associés.
« La société n’est pas dissoute par le décès d’un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu’ils doivent être agréés par les associés.
Il peut toutefois, être convenu que ce décès entraînera la dissolution de la société ou que celle-ci continuera avec les seuls associés survivants.
Il peut également être convenu que la société continuera soit avec le conjoint survivant, soit avec un ou plusieurs des héritiers, soit avec toute autre personne désignée par les statuts ou, si ceux-ci l’autorisent, par disposition testamentaire.
Sauf clause contraire des statuts, lorsque la succession est dévolue à une personne morale, celle-ci ne peut devenir associée qu’avec l’agrément des autres associés, donné selon les conditions statutaires ou, à défaut, par l’accord unanime des associés ».
- L’article 1870-1 du même Code prévoit que les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n’ont droit qu’à la valeur des parts sociales de leur auteur.
« Les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n’ont droit qu’à la valeur des parts sociales de leur auteur. Cette valeur doit leur être payée par les nouveaux titulaires des parts ou par la société elle-même si celle-ci les a rachetées en vue de leur annulation.
La valeur de ces droits sociaux est déterminée au jour du décès dans les conditions prévues à l’article 1843-4 ».
- Il en résulte que, s’il n’est pas associé, l’héritier n’a pas qualité pour percevoir les dividendes, fût-ce avant la délivrance du legs de ces parts à un légataire.
- Après le décès de sa tante, l’héritier n’avait pas été agréé comme associé de la SCI, il ne pouvait prétendre aux bénéfices distribués après encaissement des loyers, postérieurement au décès de son auteur, avant la délivrance du legs.
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