Jurisprudences
La détermination de la compétence juridictionnelle pour connaître d’une action en partage comportant un élément d’extranéité
Cass. civ. 1ère, 4 mars 2020, n°18-24.646
Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières, Liquidation et partage de régime matrimonial
Enseignement de l'arrêt
Pour la première fois, la Cour de cassation se prononce sur la compétence des juges français pour connaître d’une action en partage initié par un créancier sur un bien indivis situé en France mais avec des indivisaires résidents hors de l’Union Européenne, à savoir en Algérie.
Ce contexte international suppose un rappel du cadre légal.
Rappel du cadre légal et réglementaire
La compétence juridictionnelle dans l’Union européenne
Le règlement européen sur les successions (n°650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’une certificat successoral européen) a été adopté afin de simplifier les successions présentant un élément d’extranéité. Notamment si le lieu de décès ou de situation de tout ou partie des biens de la succession se situe à l’étranger.
Ce règlement, qui harmonise les règles de droit international privé dans l’Union européenne, s’applique à la succession des personnes décédées à compter du 17 août 2015. Il pose les règles permettant, d’une part, de définir la loi applicable à la succession et, d’autre part, de déterminer quel juge sera compétent pour statuer sur le litige.
Par souci de cohérence, le règlement européen tend vers une uniformité des critères de détermination de loi applicable et de juridiction compétente, de sorte que le juge compétent soit le plus possible amené à appliquer sa propre loi, ce qui est gage de meilleure justice.
Le règlement européen fixe le principe suivant à l’article 4 :
Article 4 du règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012
Compétence générale
« Sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès »
Ainsi, le lieu de résidence du défunt au moment de son décès déterminera la juridiction compétente pour statuer sur la succession.
Le défunt peut avoir expressément choisi la loi applicable au règlement de sa succession. Dans ce cas là, le juge compétent est le suivant :
Article 7 du règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012
« Compétence en cas de choix de loi
Les juridictions d’un État membre dont la loi avait été choisie par le défunt en vertu de l’article 22 sont compétentes pour statuer sur la succession, à condition :
a) qu’une juridiction préalablement saisie ait décliné sa compétence dans la même affaire, en vertu de l’article 6;
b) que les parties à la procédure soient convenues, conformément à l’article 5, de conférer la compétence à la ou aux juridictions de cet État membre; ou
c) que les parties à la procédure aient expressément accepté la compétence de la juridiction saisie. »
Ces règles permettent ainsi de faciliter la détermination du juge compétent et d’harmoniser la loi applicable.
Malgré cette tendance, il est toujours possible qu’un juge soit amené à appliquer une loi étrangère.
En pareil cas, le rôle des avocats est primordial car il leur appartient de présenter la loi étrangère au juge français, qui ne la connaît pas et n’a pas l’obligation d’en rechercher le contenu. Le contenu de la loi étrangère doit être fourni par les parties.
La compétence juridictionnelle hors Union européenne
En droit international privé, il est acquis que « la compétence internationale se détermine par extension des règles de compétence territoriale interne ». Ce principe a été précisé par un arrêt de la première chambre civile du 3 décembre 1985 (n° 84-11.209), qui a retenu que la compétence juridictionnelle internationale des tribunaux français « se détermine par l’extension des règles de compétence interne, sous réserve d’adaptations justifiées par les nécessités particulières des relations internationales ». Cette dernière formule est reprise par l’arrêt de la même première chambre du 4 mars 2020 étudié ici. Cet arrêt s’inscrit donc dans la ligne de la jurisprudence classique, dans une affaire dans laquelle aucun règlement européen n’était applicable.
Son intérêt est grand car il prend position sur la mise en œuvre de ce principe dans le domaine de l’action en partage d’un bien immobilier situé en France, en permettant à la Cour de cassation de se prononcer pour la première fois à ce sujet.
Les apports de l’arrêt du 4 mars 2020
Faits de l’espèce
Une action en partage d’indivision est formée devant un juge français par un créancier concernant un bien immobilier situé en France, alors que les époux indivisaires résident en Algérie, sur le fondement des dispositions de l’article 815-17 du code civil :
« les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût indivision, et ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, seront payés par prélèvement sur l’actif avant le partage. Ils peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente des biens indivis.
Les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou immeubles.
Ils ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui. Les coindivisaires peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur. Ceux qui exerceront cette faculté se rembourseront par prélèvement sur les biens indivis ».
La difficulté est la détermination du juge compétent.
Les règles internes françaises susceptibles d’être étendues
En droit interne, l’article L. 213-3 du code de l’organisation judiciaire énonce que le juge aux affaires familiales connaît, notamment, de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux. Il s’agissait donc de déterminer la portée du principe d’extension des règles de compétence interne à un tel litige. Plus précisément, il s’agissait de déterminer s’il y avait ou non lieu de faire application de l’article 1070 du code de procédure civile, qui fixe, en matière interne, les chefs de compétence territoriale du juge aux affaires familiales :
« le juge aux affaires familiales territorialement compétent est :
– le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ; si les parents vivent séparément,
– le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d’exercice en commun de l’autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité ;
– dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n’a pas pris l’initiative de la procédure.
En cas de demande conjointe, le juge compétent est, selon le choix des parties, celui du lieu où réside l’une ou l’autre.
Toutefois, lorsque le litige porte seulement sur la pension alimentaire, la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant, la contribution aux charges du mariage ou la prestation compensatoire, le juge compétent peut être celui du lieu où réside l’époux créancier ou le parent qui assume à titre principal la charge des enfants, même majeurs.
La compétence territoriale est déterminée par la résidence au jour de la demande ou, en matière de divorce, au jour où la requête initiale est présentée ».
L’article 1070 du code de procédure civile compte parmi les règles de compétence interne qui sont traditionnellement étendues aux litiges internationaux même si son application est largement réduite depuis l’entrée en vigueur du règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 2003 en matière matrimoniale et de responsabilité parentale.
Néanmoins, son application peut-elle se justifier dans le cadre spécifique d’une action en partage d’un immeuble situé en France alors que les indivisaires résident hors de France, et donc de l’Union européenne ?
La position de la Cour de cassation
L’arrêt du 4 mars 2020 répond négativement à cette question, en énonçant, le principe suivant :
« s’agissant d’une action en partage d’un bien immobilier situé en France, exercée sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du code civil, l’extension à l’ordre international des critères de compétence territoriale du juge aux affaires familiales, fondés sur la résidence de la famille ou de l’un des parents ou époux, n’était pas adaptée aux nécessités particulières des relations internationales, qui justifiaient, tant pour des considérations pratiques de proximité qu’en vertu du principe d’effectivité, de retenir que le critère de compétence territoriale devait être celui du lieu de situation de ce bien ».
Par un arrêt du 20 avril 2017 (Civ. 1re, 20 avr. 2017, n° 16-16.983), la première chambre civile avaient énoncé qu’en application des articles 22 et 25 du règlement Bruxelles I du 22 décembre 2000, « le juge espagnol est seul compétent pour connaître d’un litige relatif à la propriété et au partage, entre des résidents français, d’une indivision portant sur un immeuble situé en Espagne ». Si ce principe a été posé dans un contexte différent, lié à la séparation d’un couple, et en application du règlement Bruxelles I qui n’était pas applicable dans l’affaire jugée le 4 mars 2020, il n’en demeure pas moins que la problématique générale est identique dans les deux cas et sa solution également : la compétence revient au juge du lieu de situation de l’immeuble concerné.
Cet arrêt est d’autant moins étonnant que le régime juridique des immeubles en droit international est traditionnellement conditionné au rattachement physique des biens considérés au territoire de l’État où ils sont situés dès lors qu’en outre, c’est dans l’Etat de situation de l’immeuble que la décision devra être exécutée.
Ainsi, par son arrêt du 4 mars 2020, la Cour de cassation s’est expressément prononcée en faveur de la compétence des juges français après application des règles de compétence, en droit international privé commun, à une action en partage d’un bien situé en France lorsqu’aucun règlement européen n’est donc applicable.
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