Jurisprudences
La nullité des actes réalisés par un majeur protégé
Cass. civ. 1ère, 13 déc. 2023, n°18-25.557
Protection des majeurs (tutelle – curatelle – sauvegarde)
Enseignement de l'arrêt
- L’héritier administrateur légal du défunt bénéficie de deux qualités pour solliciter la nullité d’actes régularisés par le défunt.
- La prescription de l’action en nullité exercée par l’héritier d’un majeur protégé est interrompue pendant la durée de la protection.
Le délai pour solliciter la nullité d’actes régularisés par un majeur protégé
La possibilité d’annuler des actes réalisés par un majeur placé sous un régime de protection
L’objectif des règles afférentes aux régimes de protection des majeurs (habilitation familiale, mandat de protection future, sauvegarde de justice, curatelle, tutelle) est de protéger les majeurs vulnérables, tant en ce qui concerne leur personne que leur patrimoine.
C’est la raison pour laquelle il est possible de solliciter la nullité d’actes que le majeur aurait régularisés après son placement sous régime de protection (tutelle, curatelle etc.) et même avant ce placement
Ainsi, selon l’ article 464 du Code civil : « les obligations résultant des actes accomplis par la personne protégée moins de 2 ans avant la publicité du jugement d’ouverture de la mesure de protection peuvent être réduites sur la seule preuve que son inaptitude à défendre ses intérêts, par suite de l’altération de ses facultés personnelles, était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés »
Rappelons que les actions en justice patrimoniales sont transmises aux ayants droit du défunt. De sorte que les causes d’interruption ou de suspension de la prescription dont bénéficiait le défunt bénéficient également à leurs héritiers.
Or, selon l’article 2252 du code civil, devenu l’article 2235, « Elle ne court pas [la prescription] ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle, sauf pour les actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, les actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts ».
La prescription de la demande de nullité d’un acte signé par un majeur protégé
En l’espèce, un homme est placé sous un régime de tutelle le 3 février 2004, l’un de ses fils étant désigné en qualité d’administrateur légal.
Le père décède le 13 août 2008 en laissant pour lui succéder ses deux fils, issus de deux premières unions.
Les 19 décembre 2012, 3, 31 janvier et 12 juillet 2013, le fils tuteur assigne plusieurs défendeurs dont un notaire aux fins d’annulation de divers actes notariés conclus par le défunt : des actes de vente immobilière signés les 22 novembre 2001 et 18 octobre 2002, un acte de partage signé le 6 septembre 2002, un acte de donation signé le 21 octobre 2002, soit uniquement des actes régularisés postérieurement au placement sous tutelle.
Par arrêt du 20 septembre 2018, la Cour d’appel d’Aix en Provence considère que la prescription a commencé à courir avant le décès du majeur, dès l’ouverture de la mesure de tutelle. De sorte que dès cette date, son fils, qui avait connaissance de l’état de sénilité et des actes régularisés par son père, pouvait, en sa qualité de tuteur, solliciter leur nullité. La Cour déclare donc irrecevables ces demandes en nullité, considérant que le délai de prescription de l’action afin de nullité d’actes régularisés avant le régime de protection est écoulé.
L’héritier du majeur protégé forme un pourvoi en cassation, la Cour de cassation doit donc déterminer si le point de départ de la prescription de l’action en nullité était la date de conclusion des actes, la date de placement sous tutelle ou la date du décès du majeur.
Les actes régularisés par un majeur protégé peuvent être annulés par ses héritiers et son administrateur légal
Le point de départ de la prescription de l’action en nullité
Dans l’arrêt étudié, la Cour de cassation rappelle tout d’abord que l’action en nullité d’un acte à titre onéreux pour insanité d’esprit intentée par un héritier sur le fondement de l’article 489-1 du code civil (désormais abrogé) est l’action qui existait dans le patrimoine du défunt sur le fondement de l’article 489 (dans sa version issue de la loi du 3 janvier 1968) et qu’elle est donc soumise à la même prescription, soit cinq ans.
La Cour rappelle ensuite que selon l’article 2252 du code civil (dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008), la prescription extinctive ne court pas contre les majeurs sous tutelle.
La Haute juridiction en conclut que la prescription n’avait pu courir contre le majeur protégé, de sorte que son fils, qui agissait en annulation des actes notariés en sa qualité d’héritier, ne pouvait pas se voir opposer le délai de prescription à compter du jugement de tutelle jusqu’au décès, même si l’action qu’il aurait pu exercer pendant la mesure de protection était quant à elle prescrite.
Autrement dit, les ayants droit du majeur protégé peuvent initier une action en nullité qui ne serait pas prescrite au décès de ce dernier.
Autre enseignement de cet arrêt : il n’est pas possible de reprocher à l’héritier de ne pas avoir exercé l’action en nullité du vivant du majeur en qualité d’administrateur légal.
Ainsi, lorsque l’ayant droit est également le tuteur, il dispose de deux actions distinctes pour solliciter la nullité d’un acte : celle que l’héritier détient en sa qualité d’administrateur légal et celle que détenait le majeur, qui bénéficie de la suspension du délai de l’article 2252 du code civil.
La nécessaire attention des professionnels
Cet arrêt démontre, si besoin était, à quel point les professionnels du droit et particulièrement les notaires doivent faire attention et s’assurer que leurs clients vulnérables, notamment âgés, peuvent véritablement consentir à la régularisation d’un acte.
C’est ainsi que la Chambre des notaires leur recommande notamment de refuser de régulariser des actes de vente immobilière lorsqu’une procédure est en cours devant le Juge des contentieux de la protection (anciennement dénommé « juge des tutelles »).
Gardons donc à l’esprit qu’un acte signé par une personne affaiblie peut être annulé plusieurs années après. S’il existe le moindre doute quant à la possibilité que son libre consentement soit remis en cause, il est donc préférable, soit de ne pas passer l’acte, soit, par exemple, de demander des certificats médicaux à des dates concomitantes afin d’attester du fait que le majeur a pu librement consentir.
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