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Droit du patrimoine

L’attribution préférentielle : une définition stricte de l’indivision de nature familiale

Cass. civ. 1ere, 5 mars 2025, n°22-22.143

Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières

Enseignement de l'arrêt

La cour de cassation définie les conditions de l’attribution préférentielle dans le cadre d’une indivision d’origine familiale. L’indivisaire peut prétendre à l’attribution préférentielle acquis ses droits par héritage, mariage ou PACS.

L’attribution préférentielle

Définition

L’attribution préférentielle est une modalité spécifique du partage successoral ou d’une indivision de couple, permettant à un héritier, au conjoint survivant, ou dans certains cas à un partenaire de PACS, de conserver un bien indivis. Elle est régie par les articles 831 et suivants du Code civil, qui en précisent les conditions, les bénéficiaires et les modalités d’application.

« Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s’il y a lieu, de toute entreprise, ou partie d’entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou quote-part indivise d’une telle entreprise, même formée pour une part de biens dont il était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès, à l’exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement. Dans le cas de l’héritier, la condition de participation peut être ou avoir été remplie par son conjoint ou ses descendants.

S’il y a lieu, la demande d’attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers. »

Plus précisément, l’attribution préférentielle permet de recevoir un bien indivis en priorité lors d’un partage. Ce mécanisme vise à préserver des biens importants pour l’exploitation ou pour la vie personnelle du bénéficiaire.

Les conditions de l’attribution préférentielle (article 833 du Code civil)

L’attribution préférentielle répond à plusieurs conditions :

  • Elle doit être demandée par le conjoint survivant ou l’héritier copropriétaire;
  • Le demandeur doit justifier d’un lien juridique directe et personne avec le bien (propriété indivise, vocation successorale, etc.);
  • le demandeur à l’attribution préférentielle doit démontrer qu’il a établi sa résidence principale dans ledit bien (lorsqu’il s’agit d’un bien immobilier) ou qu’il exploite le bien (lorsqu’il s’agit comme dans le cas de l’espèce d’exploitation agricole);
  • il doit disposer des capacités financières pour payer la soulte due en contrepartie de cette attribution. 

L’expérience des avocats spécialisés en droit du divorce ou en droit des successions au cabinet Canopy nous contraint à tempérer un peu ces critères ; les juges ayant parfois une appréciation souple de ceux-ci, notamment, mais pas seulement, sur la démonstration de la capacité de financement.

Ces points doivent donc être particulièrement travaillés devant le juge.

« Les dispositions des articles 831 à 832-4 profitent au conjoint ou à tout héritier appelé à succéder en vertu de la loi, qu’il soit copropriétaire en pleine propriété ou en nue-propriété.

Ces dispositions, à l’exception de celles de l’article 832, profitent aussi à l’héritier ayant une vocation universelle ou à titre universel à la succession en vertu d’un testament ou d’une institution contractuelle. »

Les faits et la procédure de l’arrêt du 5 mars 2025

Les faits

Une femme veuve, consent à quatre de ses huit enfants par acte authentique une donation-partage (une première interrogation se pose sur les effets de cette donation-partage partielle, mais ce n’est pas la problématique traitée par cet arrêt) : 

  • l’un des héritiers reçoit un corps de ferme et une pâture 
  • les trois autres reçoivent une parcelle agricole (une deuxième interrogation est relative au fait que la donation n’effectue pas un réel partage de sorte que la donation aurait pu être requalifiée en donation simple, mais l’arrêt ne porte pas non plus sur ce point). 

Par acte authentique, les donataires ayant reçu la parcelle vendent à leur frère ayant reçu le corps de ferme et son épouse, une partie de cette passerelle cadastrée ZI n°6. 

L’un des frères leur vend également ses droits indivis détenus sur l’autre partie de la parcelle (cadastrée ZI n°7).

Les deux époux assignent les deux autres indivisaires en compte liquidation et partage de la parcelle ZI n°7 dont ils demandent l’attribution préférentielle

La cour d’appel est saisie du litige et fait droit à la demande d’attribution préférentielle, en considérant que : 

  • toutes les parties avaient la qualité d’héritiers,
  • l’indivision existante était d’origine conventionnelle (du fait de la vente) mais également successorale, en toutes hypothèses de nature familiale puisque découlant de la succession de leurs parents,

La motivation au pourvoi

Les demandeurs au pourvoi considèrent que les époux demandeurs ne respectaient pas les conditions de l’attribution préférentielle de l’article 831 du Code civil : l’attribution préférentielle ne pourrait être demandée que par le conjoint ou un héritier. L’acquisition de droit indivis par un tiers ne lui confèrerait pas la qualité permettant de solliciter l’attribution préférentielle

Or, la cour d’appel a constaté que les demandeurs de l’attribution préférentielle sont devenus indivisaires de la parcelle litigieuse par acte authentique d’achat et non en vertu de leur qualité d’héritiers et a pourtant fait droit à la demande d’attribution, violant ainsi selon les demandeurs l’article 831 du Code civil.

Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation est saisie du litige. Elle fonde sa décision au visa des articles 831, 1476, 1542 et 515-6 du Code civil incluant donc tous les fondements juridiques de l’indivision familiale, et de l’attribution préférentielle.

« Le partage de la communauté, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre  » Des successions  » pour les partages entre cohéritiers.

Toutefois, pour les communautés dissoutes par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, et il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant. »

« Après la dissolution du mariage par le décès de l’un des conjoints, le partage des biens indivis entre époux séparés de biens, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre  » Des successions  » pour les partages entre cohéritiers.

Les mêmes règles s’appliquent après divorce ou séparation de corps. Toutefois, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit. Il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant ».

« Les dispositions des articles 831, 831-2, 832-3 et 832-4 sont applicables entre partenaires d’un pacte civil de solidarité en cas de dissolution de celui-ci.

Les dispositions du premier alinéa de l’article 831-3 sont applicables au partenaire survivant lorsque le défunt l’a expressément prévu par testament.

Lorsque le pacte civil de solidarité prend fin par le décès d’un des partenaires, le survivant peut se prévaloir des dispositions des deux premiers alinéas de l’article 763. »

La Cour de cassation suit le raisonnement des demandeurs au pourvoi. Elle considère que l’attribution préférentielle peut être demandée dans le partage des indivision familiales (même d’origine conventionnelle), mais uniquement : 

  • par le conjoint ;
  • par le partenaire d’un pacte civil de solidarité ; 
  • par un héritier.

La Cour de cassation considère que la Cour d’appel a bien constaté que l’indivision n’était pas née par un héritage commun (les demandeurs n’avaient pas acquis leurs indivis par succession, mariage ou PACS mais bien par la signature d’un acte d’acquisition) mais n’en a pas tiré les justes conséquences. Elle a donc violé les dispositions de l’article 831 du Code civil. 

La Haute Cour par cet arrêt vient renforcer les conditions de l’attribution préférentielle, laquelle n’est possible que dans le cadre d’une indivision familiale dont les droits des indivisaires sont nés par héritage, mariage ou PACS.