Jurisprudences
Le pacte de préférence sans durée
Cass. civ. 1ère, 25 sept. 2024, RG N°23-14777
Liquidation et partage d’indivisions mobilières et immobilières
Enseignement de l'arrêt
En l’absence de durée déterminée, le promettant ou le bénéficiaire d’un pacte de préférence, peuvent décider de le résilier unilatéralement, à condition de respecter le délai de préavis contractuellement prévu, à défaut un délai raisonnable.
Le pacte de préférence ne prévoyant pas de durée déterminée n’est pas prohibé sur le fondement de l’interdiction des engagements perpétuels.
Rappel juridique et factuel
Rappel juridique : définition et effets du pacte de préférence
Aux termes de l’article 1223 du Code civil, le pacte de préférence est le contrat par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui pour le cas où elle se déciderait de contracter.
La jurisprudence a par ailleurs précisé que le pacte de préférence ne suppose pas de prédéterminer un prix ou de stipuler un délai (Cass. civ. 1ère, 6 juin 2001, n°97-21.786).
En pratique, le pacte de préférence offre :
- à son bénéficiaire, la qualité de créancier d’une priorité contractuelle,
- son promettant, la qualité de débiteur d’une obligation de proposer en priorité l’offre au bénéficiaire.
La jurisprudence a également eu l’occasion de préciser qu’en cas de décès du promettant, le pacte se transmettait à ses héritiers, légataires universels et à titre universel (Cass. civ. 1ère, 6 nov. 1963, n°62-10.300), sauf clause contraire.
Enfin, en cas de vente à un tiers, le bénéficiaire du pacte dispose d’une option :
- obtenir la réparation du préjudice subi ;
- agir en nullité de la vente ou demander à être substitué au tiers dans le contrat conclu, mais uniquement s’il parvient à prouver que tiers a eu connaissance de l’intention du bénéficiaire de se prévaloir du pacte.
Le pacte de préférence trouve de nombreuses applications en droit des successions ou en droit du divorce.
Ainsi, il n’est pas rare que nous proposions à nos clients d’insérer une telle clause dans un acte de partage quand l’un des héritiers récupère un bien immobilier familial ou des actions de société. Les autres héritiers peuvent l’accepter à condition de pouvoir surveiller leur sort après le partage et de choisir ensuite de le récupérer si l’héritier détenteur initial choisi de le vendre. Nos avocats spécialisés en droit des successions pourront vous renseigner sur le principe et les modalités de cet ajout contractuel utile.
Les faits de l’espèce
En juillet 1990, la propriétaire de parcelles de terrain consent un droit de préférence au profit d’un couple. Ce pacte de préférence ne prévoit pas de durée.
Le 16 mai 2011, la propriétaire des parcelles demande aux bénéficiaires de se prononcer dans un délai de trois mois, tel que le prévoit le pacte. Dans le délai qui leur était imparti, les bénéficiaires ont notifiés à la propriétaire, leur intention d’exercer leur droit de préférence.
Toutefois, la propriétaire ne souhaitant plus vendre ces biens aux bénéficiaires du pacte, ne répond pas aux deux sommations à comparaître chez le notaire pour procéder à la signature de la vente et décède le 11 novembre 2012.
Les bénéficiaires du pacte assignent le légataire universel de la défunte pour faire prononcer la vente forcée du bien. Le légataire conteste l’application dudit pacte.
Dans son arrêt, la Cour d’appel considère que même sans terme, le pacte de préférence est valide, ce dernier n’étant pas considéré comme un engagement perpétuel.
Les juges du fond font ainsi droit aux demandes des bénéficiaires et déclare la vente parfaite, comme ayant respecté les conditions de délai prévu par le pacte de préférence.
Le légataire universel se pourvoit en cassation au motif de l’excessivité de la durée du pacte en raison de l’absence de fin programmée de ce dernier.
La solution de la Cour de Cassation
La position de la Cour de cassation
Le 25 septembre 2024, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le légataire universel.
Elle considère en effet, que cet engagement perpétuel ne peut pas être frappé de nullité puisqu’il peut être résilié unilatéralement sous réserve de respecter un préavis contractuel ou, à défaut, un délai raisonnable.
Ainsi, le pacte de préférence non limité dans le temps n’est pas soumis à la prohibition des engagements perpétuels au titre de l’article 1210 du Code civil.
En conséquence, lorsque le pacte de préférence ne prévoit pas de durée, celui-ci peut être résilié unilatéralement par l’une des parties, à l’expiration d’un délai de préavis contractuellement prévu ou à défaut d’un délai raisonnable.
Les incidences de la solution apportée
En pratique, la possibilité de résilier unilatéralement un pacte de préférence a des impacts tant sur l’intérêt et la finalité de ce pacte, que sur sa transmission.
L’affaiblissement de la protection du bénéficiaire
Il convient de se rappeler la finalité pratique du pacte du préférence : garantir à son bénéficiaire le droit de se voir proposer en priorité, la vente du bien pour lequel il a été consenti.
Cette clause ne garantit le bénéficiaire que s’il ne peut s’y soustraire. La solution jurisprudentielle apportée vient donc considérablement en réduire la portée lorsque le pacte ne prévoit pas de durée.
En effet, dans ce cas, le propriétaire peut donc faire le choix, après le respect d’un délai de préavis contractuellement prévu, ou d’un délai raisonnable, de résilier unilatéralement ce contrat.
La condition de respect d’un préavis constitue pour autant un garde fou à l’absence totale d’efficacité et d’utilité du pacte de préférence. Ce dernier retrouvant sa substance pendant ce délai.
La création d’un engagement « illimité » en raison de sa transmissibilité
Enfin, comme nous avons déjà pu l’évoquer, le pacte de préférence est transmissible, tant pour les héritiers, légataires universels et à titre universel du promettant, que ceux du bénéficiaire.
En pareille hypothèse, l’absence de durée rend cet engagement particulièrement contraignant. Il semble d’insérer une clause, déjà déclarée valable en jurisprudence, d’exclusion de toute cession et/ou transmission aux ayants-droits des parties.