Jurisprudences
L’enrichissement sans cause ne permet pas de pallier la carence de la preuve d’une partie
Com. civ. 1ère, 10 janv. 2024, n°22-10.278
Liquidation et partage de régime matrimonial
Enseignement de l'arrêt
L’enrichissement sans cause ne permet pas de pallier la carence de la preuve d’une partie.
La difficulté à fonder sa demande sur un enrichissement sans cause
Rappels à propos de l’enrichissement sans cause
L’enrichissement sans cause, aujourd’hui appelé enrichissement injustifié, est un quasi-contrat, une situation dans laquelle une personne appauvrie au bénéfice d’un tiers peut solliciter une indemnité à ce titre.
Initialement une création jurisprudentielle, ce quasi-contrat est désormais défini à l’article 1303 du code civil :
« En dehors des cas de gestion d’affaires et de paiement de l’indu, celui qui bénéficie d’un enrichissement injustifié au détriment d’autrui doit, à celui qui s’en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »
Le code civil pose ainsi des conditions à la recevabilité d’une demande fondée sur l’enrichissement sans cause :
- N’est injustifié que l’enrichissement qui n’est pas lié à l’accomplissement d’une obligation ou à une donation,
- L’appauvrissement ne doit pas avoir été causé par un profit personnel,
- Une demande de paiement au titre de l’enrichissement sans cause ne peut être formulée qu’à titre subsidiaire, c’est-à-dire lorsqu’il n’existe pas d’autre fondement juridique permettant de formuler la même demande. Ce principe est désormais affirmé à l’article 1303-3 du code civil :
« L’appauvri n’a pas d’action sur ce fondement lorsqu’une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription. »
L’enrichissement sans cause en cas d’impossibilité de prouver l’existence d’un prêt
Un jugement du 3 décembre 2014 prononce le divorce par consentement mutuel d’époux mariés sous le régime de la séparation de biens et homologue la convention réglant les effets de leurs divorces.
Trois ans plus tard, le 21 juillet 2017, l’ex-épouse assigne son ex-époux afin de le faire condamner à lui verser une créance entre époux d’un montant de 80.000 € au titre d’un prêt.
Dans le cadre de la procédure d’appel initiée par l’ex-épouse, elle ajoute à cette demande principale une demande subsidiaire tendant au versement de cette même créance, mais au titre de l’enrichissement sans cause.
Par arrêt du 14 octobre 2021, la Cour d’appel de Douai rejette toutefois sa demande.
L’ex-épouse forme donc un pourvoi en cassation, considérant que sa demande de créance au titre d’un contrat de prêt et donc d’une obligation de restitution ayant été rejetée en raison de l’absence de preuve dudit prêt, sa demande au titre d’un enrichissement sans cause était recevable.
Une demande peut-elle être formée au titre de l’enrichissement sans cause lorsque la demande principale échoue à cause d’un défaut de preuve ?
Le caractère restrictif du fondement de l’enrichissement sans cause
L’enrichissement sans cause, un fondement exclusivement subsidiaire
Par arrêt du 10 janvier 2024, la Cour de cassation affirme que l’épouse ne pouvait pas pallier sa carence à apporter la preuve de l’existence d’un contrat de prêt en formulant une demande subsidiaire au titre de l’enrichissement sans cause.
Une demande ne peut donc être formulée au titre de l’enrichissement sans cause que lorsqu’il s’agit réellement du seul fondement envisageable.
Cet arrêt est bienvenu en ce qu’il rappelle donc le caractère subsidiaire essentiel de l’enrichissement sans cause.
Ce fondement ne peut effectivement pas permettre de contourner toutes les règles de droit et notamment celle concernant la charge de la preuve : c’est au demandeur de prouver le bien-fondé de sa demande et, s’il n’y parvient pas, il ne peut pas arguer de l’enrichissement injustifié pour sauver sa demande.
Dit autrement, l’enrichissement sans cause ne peut pallier la carence de la preuve d’une partie.
Il ne peut pas non plus permettre de contourner les règles propres à la liquidation des régimes matrimoniaux et notamment les règles afférentes aux créances et récompenses, comme la Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt du 23 février 2011 (Cass. Civ. 1ère. 23 février 2011 n°09-70745).
Les autres moyens de solliciter une créance entre époux
Difficile de savoir ce qui, en l’espèce, empêchait l’ex-épouse de démontrer l’existence d’un prêt et, donc, de solliciter son remboursement.
Si c’est l’absence d’écrit qui était problématique, il aurait été pertinent de se fonder sur l’article 1360 du code civil, selon lequel « Les règles prévues à l’article précédent reçoivent exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. », et qui permet à des époux d’expliquer que le fait qu’ils soient mariés les empêchait moralement de rédiger un contrat de prêt écrit.
La conclusion de cet arrêt, aussi pessimiste soit elle, reste qu’il faut hélas anticiper le jour où les époux pourraient être en désaccord et qu’il est donc indispensable d’acter par écrit de leurs ententes, notamment et surtout financières.