Jurisprudences
Les intérêts de la prestation compensatoire courent même si le débiteur est autorisé à reporter son règlement à l’occasion des opérations liquidatives du régime matrimonial
Cass. civ. 1ère, 3 juill. 2024, n°23-14532
Divorce – Séparation de corps
Enseignement de l'arrêt
La faculté donnée au débiteur de la prestation compensatoire de régler sa dette à l’occasion des opérations de liquidation de la communauté ne retire pas à cette dette son caractère exigible, de sorte que celle-ci continue de porter intérêts au taux majoré.
Présentation de la prestation compensatoire
Définition de la prestation compensatoire
Le divorce peut avoir pour conséquence de créer une disparité dans les conditions de vie des époux. En conséquence, l’un des époux peut être condamné à verser à l’autre une prestation compensatoire : une somme d’argent allouée par principe en capital mais qui peut prendre des formes différentes dans certaines situations.
Cette somme d’argent a pour objectif de lisser la disparité de conditions de vie existante entre les époux (article 270 du code civil).
« Le divorce met fin au devoir de secours entre époux.
L’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge.
Toutefois, le juge peut refuser d’accorder une telle prestation si l’équité le commande, soit en considération des critères prévus à l’article 271, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’époux qui demande le bénéfice de cette prestation, au regard des circonstances particulières de la rupture ».
Le montant de la prestation compensatoire
Nos avocats en divorce vous le diront : il n’existe pas de méthode de calcul précise pour fixer le montant de la prestation compensatoire. Certes, des méthodes ont été établies par certains professionnels du droit y compris par notre cabinet, lesquelles permettent de donner un ordre de grandeur, mais ces méthodes ne sont impératives et ne lient pas le Juge aux affaires familiales. Elles restent, cependant, un bon outil d’appréciation pour les avocats spécialisés en divorces et prestations compensatoires à condition de les pondérer grâce à l’expérience judiciaire de ces avocats.
La prestation compensatoire repose sur l’appréciation de la disparité existante et des besoins des époux. Pour cela, le législateur a dressé une liste de critères qualitatifs, qu’il convient d’étudier cumulativement pour apprécier le droit et le montant de la prestation compensatoire (article 271 du code civil).
La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
A cet effet, le juge prend en considération notamment :
– la durée du mariage ;
– l’âge et l’état de santé des époux ;
– leur qualification et leur situation professionnelles ;
– les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
– le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial;
– leurs droits existants et prévisibles ;
– leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa.
La date d’exigibilité de la prestation compensatoire
Le point de départ de l’exigibilité
En application des dispositions de l’article 1231-7 du Code civil, la prestation compensatoire doit être payée à compter de la date à laquelle la décision prononçant le divorce devient irrévocable.
« En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.
En cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel. Le juge d’appel peut toujours déroger aux dispositions du présent alinéa. »
Mais face au risque de non-paiement de la prestation compensatoire, le législateur s’est efforcé de mettre en place des solutions préventives, qui s’appliquent dès le prononcé du divorce.
Il s’agit du mécanisme des intérêts de retard.
Comment s’appliquent-ils ?
Le calcul des intérêts de retard
La prestation compensatoire, comme les intérêts qu’elle produit, n’est due qu’à compter de la date à laquelle la décision prononçant le divorce est devenue irrévocable (Civ. 1re, 19 avr. 2005, no 03-13.078 ; Civ. 2e, 3 mars 1988, no 87-10.253 ; Civ. 1re, 3 nov. 2004, no 01-16.031 ; Civ. 1re, 14 déc. 2004, no 03-16.987).
À compter de cette date, l’intérêt au taux légal est dû, même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement conformément à l’article 1231-7 du code civil.L’article 1479, alinéa 1er, du code civil, qui prévoit que certaines créances entre époux ne portent intérêts que du jour de la sommation ne s’applique pas pour la prestation compensatoire. Il concerne les créances personnelles entre époux trouvant leur origine pendant le fonctionnement du régime matrimonial, ce que n’est pas la prestation compensatoire (Civ. 1re, 7 févr. 2018, no 17-14.184). Ce taux est majoré de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois (C. mon. fin., art. L. 313-3) qui commence à courir suivant le jour de la signification du jugement.
« En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l’intérêt légal est majoré de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. Cet effet est attaché de plein droit au jugement d’adjudication sur saisie immobilière, quatre mois après son prononcé. Toutefois, le juge de l’exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant. »
En effet, la Cour de cassation considère, ce qui n’a pas toujours été le cas, qu’en vertu des articles 503 Code de procédure civile et L. 313-3 Code monétaire et financier, le taux de l’intérêt légal majoré n’est applicable qu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de condamnation a été notifiée (Civ. 2e, 4 avr. 2002, no 00-19.822 ; Civ. 1re, 28 févr. 2006, no 04-11.510).
Ainsi, à moins que le jugement n’en décide autrement, la prestation compensatoire porte intérêt au taux légal ordinaire à compter du jour où le divorce est devenu irrévocable, puis au taux légal majoré de cinq points deux mois plus tard.
Cette position légale et jurisprudentielle peut-être résumé schématiquement de la manière suivante :
« Les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire. En cas d’exécution au seul vu de la minute, la présentation de celle-ci vaut notification. »
Récemment, la Cour de cassation a été saisie de la question de la détermination de la date d’exigibilité de la prestation compensatoire lorsque le débiteur décide de reporter le règlement à l’occasion de la liquidation du régime matrimonial. Le cours des intérêts de retard s’arrête-t-il ?
Arrêt de la Cour de cassation du 3 juillet 2024
Faits de l’espèce
Un arrêt d’appel du 20 juin 2000 prononce le divorce d’époux, mariés sans contrat préalable, et condamne M. à verser à Mme la somme de 100 000 francs (15 245 euros) à titre de prestation compensatoire.
Après le divorce, un jugement du 25 novembre 2010, confirmé par un arrêt du 30 janvier 2012, statue sur divers points de désaccord relatifs à la liquidation du régime matrimonial, et dit que la prestation compensatoire, augmentée des intérêts légaux à compter du 20 juin 2000, sera prise en compte dans le partage puis renvoie les parties devant le notaire.
L’épouse met en œuvre des mesures d’exécution forcée aux fins de paiement de la prestation compensatoire.
L’ex-époux assigne Mme pour voir trancher diverses nouvelles difficultés liquidatives.
L’un des désaccords persistants des époux est de savoir quelle est la date d’exigibilité de la prestation compensatoire afin de déterminer les éventuels intérêts de retard. Si le sujet sur la date de départ ne pose pas de débat, en revanche, il y a un désaccord sur le cours des intérêts (la date de fin).
Selon l’époux : il sollicite que le cours des intérêts soit arrêté à la date du premier jugement ouvrant les opérations de compte liquidation et partage du régime matrimonial des ex-époux.
Selon Madame : elle considère au contraire que les intérêts de retard cours toujours. Décision des juges du fond : ils donnent gain de cause à l’ex-époux considérant que « le jugement du 25 novembre 2010 a eu pour effet de rendre inexigible la prestation compensatoire et ainsi de stopper le cours de tous les intérêts dus. »
Position de la Cour de cassation
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel aux termes de la motivation suivante :
« En statuant ainsi, alors que la faculté donnée au débiteur de la prestation compensatoire de régler sa dette à l’occasion des opérations de liquidation de la communauté ne retire pas à cette dette son caractère exigible, de sorte que celle-ci continuait de porter intérêts au taux majoré, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »
Critiques de la position de la Cour de cassation
La Cour de cassation reste fidèle à sa nouvelle jurisprudence. Il s’agit d’une continuité sur l’application stricto sensu des textes fixant les intérêts de retard. Les textes ne fixent pas de date de fin, dès lors qu’il n’y a pas eu de règlement.
Avertissements : cette prise de position amène à une grande prudence sur le règlement de la prestation compensatoire. En effet, eu égard les taux légaux élevés depuis quelques années, sans compter la pénalité des 5 points, dans le cas où l’un d’un époux souhaite reporter le règlement de la prestation compensatoire, notamment à l’occasion des opérations de liquidation du régime matrimonial, il devient nécessaire de :
- dans un cadre contentieux : solliciter du juge de divorce une clause contraire pour fixer différemment le cours des intérêts,
- dans un cadre amiable : prévoir une clause contraire dans la convention de divorce.
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