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Droit de la famille

L’expertise médicale non-contradictoire ne peut suffire à établir la preuve de l’insanité d’esprit ?

Cass. civ. 3e, 14 sept. 2023 n°22-19.223

Protection des majeurs (tutelle – curatelle – sauvegarde)

Enseignement de l'arrêt

L’expertise non contradictoire régulièrement communiquée aux débats doit être prise en compte mais ne peut suffire à rapporter la preuve de l’insanité d’esprit et doit être corroborée par d’autres éléments. 

Faits

Une promesse synallagmatique de vente portant sur un immeuble est signée le 23 mai avril 2018 entre une société civile immobilière et un homme marié agissant pour le compte de la communauté et son épouse. La promesse n’est pas réitérée par acte authentique. 

Le promettant assigne le bénéficiaire en paiement de la pénalité contractuelle, à savoir 87.500 € et en indemnisation de ses préjudices financiers. Reconventionnellement, le bénéficiaire demande l’annulation de la promesse sur le fondement de l’article 414-1 du Code civil, lequel dispose : « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ».

Procédure

Décision de fond

La Cour d’appel de Versailles par un arrêt en date du 19 mai 2022 rejette la demande de l’époux. Elle considère que lorsqu’une partie communique à la cause un rapport d’expertise non-contradictoire, le Juge ne peut refuser d’examiner ce rapport, dès lors que celui-ci a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties. Il revient alors au Juge du fond de rechercher si le rapport d’expert est corroboré par d’autres éléments de preuve.

La Cour d’appel de Versailles a relevé que le bénéficiaire de la promesse produisait un certificat médical rédigé le 16 février 2021 et une expertise psychiatrique en date du 4 mars 2021 mais a considéré que l’expertise était insuffisante pour établir la preuve de l’insanité d’esprit, puisque cette dernière n’avait pas été établie contradictoirement.

Certes elle était régulièrement versée aux débats, et donc devait être prise en compte mais ils ne pouvaient fonder leur décision sur un avis isolé établi de manière non contradictoire.

Pourvoi

L’époux motive son pourvoi au motif que les juges du fond n’auraient pas recherché si les deux pièces communiquées corroboraient le fait qu’il avait conclu la promesse sous l’empire d’un trouble mental. La cour d’appel aurait ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles 16 du Code de procédure civile, 414-1 et 1129 du même code. 

L’époux faisait également état pour, rapporter la preuve de son insanité, de deux autres promesses de vente conclues très peu de temps avant la promesse litigieuse, sans condition suspensive d’obtention d’un prêt et pour des prix que son patrimoine ne lui permettait manifestement pas d’acquitter. La cour d’appel a considéré que le fait que son épouse soit cosignataire de ces deux promesses retirait tout crédit à ces explications. En effet, à considérer qu’il se soit trouvé affaibli au point de signer n’importe quel acte dont il était incapable d’assumer les conséquences, le fait que son épouse soit cosignataire permettait d’exclure qu’il avait contracté sous l’empire d’un trouble mental. Sur ce dernier point, le bénéficiaire a motivé son pourvoi en considérant que ce motif était inopérant et que par conséquent les juges du fond avaient violé les dispositions des articles 414-1 et 1129 du Code civil. 

Arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation rappelle d’abord le pouvoir d’appréciation des juges du fond, lesquels n’ont pas violé le principe du contradictoire. La cour d’appel de Versailles a étudié les éléments communiqués par les parties et en a déduit que la preuve de l’altération des facultés mentales du bénéficiaire à la date de la signature de la vente n’était pas rapportée.   

Pour établir la preuve de son insanité l’époux communique d’une part un certificat médical en date du 16 février 2021 et un rapport d’expertise amiable du 4 mars 2021, établis soit près de trois ans après la signature de l’acte litigieux. 

L’expertise non contradictoire doit être corroborée par d’autres éléments permettant de rapporter la preuve de l’insanité. En l’espèce cette expertise était corroborée par le certificat médical, lequel ne faisait état que d’un suivi psychiatrique du bénéficiaire depuis 2014 qui ne pouvait être considéré comme un complément de l’expertise compte tenu de sa date postérieure de plus de deux ans après la signature de l’acte. Une expertise établie non contradictoirement par un médecin rémunéré par le bénéficiaire doit être prise en compte dans les débats mais doit être corroborée par des éléments permettant de rapporter concrètement la preuve de l’insanité. En l’espèce un certificat médical établi trois ans après les faits ne faisant état que d’un simple suivi psychiatrique pour une cause ignorée ne peut suffire.