Jurisprudences
Licéité des pactes d’actionnaires conclus pour la durée de vie de la société
Liquidation et partage de successions, Anticipations de successions
Rappel des notions de « pacte sur succession future » et « pacte d’associés / actionnaires »
Pacte sur succession future
L’article 722 du Code civil interdit d’avoir recours à des « pactes sur succession future ».
Il s’agit de toute stipulation ayant pour objet d’attribuer un droit privatif sur tout ou partie d’une succession non ouverte, même avec le consentement de celui de la succession duquel il s’agit.
« Les conventions qui ont pour objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie d’une succession non encore ouverte ou d’un bien en dépendant ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par la loi ».
Il existe certaines exceptions comme le précise l’article 722 du Code civil. C’est ainsi le cas des donations-partages ou encore de la renonciation anticipée à l’action en réduction prévue par l’article 929 du Code civil.
« Tout héritier réservataire présomptif peut renoncer à exercer une action en réduction dans une succession non ouverte. Cette renonciation doit être faite au profit d’une ou de plusieurs personnes déterminées. La renonciation n’engage le renonçant que du jour où elle a été acceptée par celui dont il a vocation à hériter.
La renonciation peut viser une atteinte portant sur la totalité de la réserve ou sur une fraction seulement. Elle peut également ne viser que la réduction d’une libéralité portant sur un bien déterminé.
L’acte de renonciation ne peut créer d’obligations à la charge de celui dont on a vocation à hériter ou être conditionné à un acte émanant de ce dernier ».
Pacte d’associé
Le pacte d’associés est un contrat conclu entre les associés d’une entreprise dont l’objectif est de compléter les statuts de la société et de déterminer de façon détaillée les rapports entre les associés (modalités d’entrée et de sortie des associés, conditions de cessions des parts…).
Il est conclu par au moins deux associés.
Contrairement aux statuts de la société, le pacte d’associés n’est pas obligatoire.
Faits de l’espèce
1. Monsieur I.F., ses cinq enfants ainsi que la société HC sont actionnaires de la SAS « SOCRI Promotions ».
2. Par acte du 30 janvier 2010, Monsieur I.F., ses cinq enfants ainsi que la société HC concluent un contrat intitulé « Pacte d’actionnaires » qui prévoit ce qui devra être mis en œuvre lorsque Monsieur I.F. ne sera plus associé du groupe SOCRI.
Une des dispositions de ce pacte d’associés prévoit les modalités de remboursement du compte courant d’actionnaire de Monsieur I.F. lors de l’ouverture de sa succession.
Le pacte d’actionnaires contient également des dispositions devant immédiatement régir la vie de la société et les actes des associés.
L’objectif de ce pacte d’actionnaires est le maintien du groupe au sein de la famille.
3. Par lettre du 23 février 2017, Monsieur I.F. et la société HC notifient à Monsieur R.F. (fils de Monsieur I.F.) la résolution unilatérale du pacte d’actionnaires.
Une autre associée, Madame B.F., résilie également le pacte d’actionnaire de manière unilatérale quelques temps plus tard.
4. Monsieur R.F. assigne Monsieur I.F. et la société HC, en présence des autres associés (ses frères et sœurs) ainsi que de la société « SOCRI promotions ». Il sollicite la reconnaissance du caractère abusif de la mise en œuvre de la résolution du pacte d’actionnaires et qu’elle soit aussi reconnue comme étant irrégulière et inefficace.
Position de la Cour de cassation
Premier moyen : rejet de la qualification de pacte sur succession future et étendue de la demande de nullité
Deux questions étaient posées à la Cour d’appel et à la Cour de cassation :
- Le pacte d’associé constitue-t-il un pacte sur succession future ?
- Quelle est l’étendue d’une demande en nullité ?
La Cour de cassation rappelle, au visa de l’article 722 du Code civil, les règles relatives à la nullité des actes : lorsque la nullité d’un acte n’affecte qu’une ou plusieurs clauses de l’acte, la nullité s’applique à l’acte dans son intégralité uniquement si la ou les clauses litigieuses en constituent une condition essentielle et déterminante.
Validant le raisonnement d’appel, la Cour de cassation retient ainsi que :
- La Cour d’appel a effectivement retenu qu’une disposition (article 5 du pacte) énonçait des règles relatives à un bien futur de la succession de Monsieur I.F (au sujet des modalités de son compte-courant d’actionnaire lors de l’ouverture de sa succession) ;
- La Cour d’appel a néanmoins souligné que les autres dispositions du pacte (les quatorze autres articles) n’avaient pas pour objectif le règlement de la succession de Monsieur I.F, mais de définir la stratégie de gestion que devraient adopter ses héritiers lorsque Monsieur I.F se serait retiré des affaires ou serait décédé ;
- La Cour d’appel a considéré que l’article 5 n’était pas un élément essentiel du pacte d’actionnaire.
La Cour de cassation ne se positionne pas sur le caractère du pacte (pacte d’actionnaire ou pacte sur succession future ?). Elle estime ne pas devoir le faire dans la mesure où elle estime suffisant le raisonnement de la Cour d’appel, qui a apprécié souverainement qu’un seul article du pacte, détachable du contrat, était relatif au sort de biens futurs de Monsieur I.F.
Néanmoins, la Cour de cassation approuve expressément l’arrêt d’appel de ne pas avoir prononcé la nullité totale du pacte, précisant qu’il s’agissait de la seule demande présentée.
Implicitement donc, la Cour de cassation ne considère-t-elle pas être en présence d’une stipulation prohibée qui ne pouvait être attaquée que par une demande de nullité partielle, la disposition contestée étant sans emport sur le reste du pacte ?
Second moyen : sur la durée excessive et la possibilité de résiliation du pacte d’actionnaire
Par le deuxième moyen tranché par la Chambre commerciale, la question de la durée du pacte d’associés était soumise à la Cour de cassation.
Le pacte d’associés a été conclu pour la durée de vie de la société, à savoir 99 ans.
Au jour de l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, la durée restante était de 58 ans.
La Cour d’appel a considéré que la durée du pacte d’associés « était d’une durée excessive assimilable à une durée indéterminée ». Pour cette raison et comme tous les contrats à durée indéterminée, le pacte d’associés pouvait faire l’objet d’une résiliation unilatérale.
L’arrêt est cassé sur ce point par la Cour de cassation au motif que « la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement ».