Jurisprudences
Liquidation - Loi applicable à la liquidation du régime matrimonial
Cass. civ. 1ère, 11 sept. 2024, n°22-16.951, Inédit
Droit international privé de la famille
Enseignement de l'arrêt
En l’absence de changement du régime matrimonial et en l’absence de contestation de la loi applicable, une règle spéciale de conflit de lois en droit international privé doit être mise en œuvre. La loi étrangère applicable à la liquidation du régime matrimonial des époux l’est également pour partage complémentaire.
Rappel du contexte légal
Loi applicable en l’absence de contrat de mariage
En l’absence de contrat de mariage, la loi applicable au régime matrimonial est définie selon les modalités suivantes.
Pour les époux mariés avant le 1er septembre 1992 : 1er domicile conjugal commun (présomption simple).
Pour époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019 : 1erdomicile conjugal commun (sauf exceptions et sauf la mutabilité automatique).
Pour les époux mariés depuis le 29 janvier 2019 :
- loi de la première résidence habituelle commune, à défaut
- loi de la nationalité commune, à défaut
- loi de l’État avec lequel les époux ont les liens les plus étroits
Cette loi régit l’intégralité des biens des époux quelle que soit le lieu de leur situation ou leur nature. La liquidation et le partage des biens des époux doivent se faire selon les règles de fond et de preuve de la loi qui régit leur régime matrimonial sans qu’il y ait à distinguer entre les meubles et les immeubles (Cass. 1re civ., 12 juin 1979 : D. 1980, p. 202, note Boulanger ; Rev. crit. DIP 1981, p. 491, note Batiffol).
Le règlement européen en date du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux résume de la manière suivante la portée de la loi applicable :
« La loi applicable au régime matrimonial en vertu du présent règlement régit, entre autres : a) la classification des biens des deux époux ou de chacun d’entre eux en différentes catégories pendant et après le mariage; b) le transfert de biens d’une catégorie à une autre; c) les obligations d’un époux qui découlent des engagements pris par l’autre époux et des dettes de ce dernier; d) les pouvoirs, les droits et les obligations de l’un des époux ou des deux époux à l’égard des biens; e) la dissolution du régime matrimonial, sa liquidation ou le partage des biens; f) les effets du régime matrimonial sur un rapport juridique entre un époux et des tiers; et g) la validité au fond d’une convention matrimoniale. ».
La Cour de cassation admet plusieurs correctifs permettant de modifier la loi applicable au régime matrimonial. Ces correctifs sont soumis à un accord des parties.
Accord procédural
Dans son arrêt prononcé le 10 février 2021, la Cour de cassation rappelle que « pour les droits dont elles ont la libre disposition, les parties peuvent, par un accord procédural qui peut résulter de conclusions concordantes sur ce point, choisir, pour régir une situation juridique déterminée, la loi française du for et évincer celle désignée par la règle de conflit applicable » (Cour de cassation – Première chambre civile — 10 février 2021 – n° 19-17.028).
Les parties ne peuvent conclure un accord procédural que pour les droits dont elles ont la libre disposition. Un droit disponible est un droit auquel on peut librement renoncer. Le droit des régimes matrimoniaux est rattaché aux droits librement disponibles.
Selon la Cour de cassation, l’accord procédural peut résulter « de conclusions concordantes ». Autrement dit, le choix de loi peut être tacite lorsqu’il prend la forme d’un accord procédural. Ainsi, la seule concordance des conclusions des parties, se fondant respectivement sur la loi française suffit à caractériser l’accord procédural et vaut choix tacite de cette loi.
La Cour de cassation autorise la mise à l’écart de la règle de conflit. Les juges appliquent ensuite leur propre loi, celle qu’ils maîtrisent mieux. L’accord procédural n’est pas une véritable manifestation de volonté des parties mais constitue un moyen pour revenir à la loi du for.
Accord de fond
La loi du régime matrimonial en détermine les règles de liquidation sauf dans le cas où les époux, capables et maîtres de leurs droits, sont convenus, dans leurs rapports réciproques, d’une liquidation sur des bases différentes (Cass. 1re civ., 25 janv. 2005 : Bull. civ. I, n° 33, p. 26 ; JurisData n° 2005-026639). L’arrêt commenté reproduit également cette jurisprudence devenue ancienne.
Il convient de distinguer l’accord procédural de l’accord de fond. Dans le premier cas, l’accord élude la règle de conflit et il n’a pour objet que le litige en cours.
Dans le deuxième cas, l’accord découle de la règle de conflit et il est censé engager pour l’avenir les parties (Cass. 1re civ., 4 mai 2011, n° 10-16.086 : JurisData n° 2011-008218). Autrement dit, les époux peuvent conclure un contrat de liquidation devant le notaire chargé de la liquidation.
Contrairement à l’accord procédural, l’accord de fond peut intervenir en dehors de tout procès.
Apport de l’arrêt
Rappel des faits et de la procédure
Madame, de nationalité suisse, et Monsieur, de nationalité roumaine, se marient en 1982 en Suisse sous le régime légal suisse de la participation aux acquêts.
Un jugement suisse du 13 mai 1993 prononce leur divorce et homologue une convention du 8 février 1993 organisant la liquidation de leur régime matrimonial.
Postérieurement à l’homologation de la convention organisant la liquidation du régime matrimonial, l’ex-épouse découvre que son ex-époux a acquis des biens immobiliers au cours du mariage non compris dans la convention de divorce.
Les ex-époux fixent ensuite leur résidence habituelle en France. L’immeuble litigieux se trouve également en France.
L’ex-épouse l’assigne en liquidation et partage complémentaire de leur régime matrimonial et recel devant le juge français.
Par application de la loi française, le 2 février 2022, la cour d’appel d’Aix-en-Provence :
❶ ordonne la liquidation complémentaire du régime matrimonial des parties, portant sur divers biens immobiliers ;
❷ décide que l’ex-épouse est bénéficiaire d’une créance de participation ;
❸ dit que l’ex-époux s’est rendu coupable du recel visé par l’article 1477 du code civil français ;
❹ fait bénéficier à l’ex-épouse la totalité du bénéfice généré par les biens qui ont été omis par la convention liquidative du 8 février 1993 homologué par jugement du 13 mai 1993 ;
❺fixe la créance de participation de l’ex-épouse à un certain montant.
sur le fondement des articles 3 du code civil ainsi que des articles 42, 43, 14 et 1070 du code de procédure civile
Selon la Cour d’appel :
- d’une part, l’action en partage complémentaire n’est pas soumise aux dispositions du droit suisse mis en œuvre par la convention du 8 février 1993, puisqu’autonome par rapport à celle-ci, et
- d’autre part, à la date de la demande de liquidation complémentaire, les parties avaient l’un et l’autre leur domicile en France et l’immeuble litigieux est situé en France.
« Les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire.
Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française.
Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger. »
Position de la Cour de cassation
La Cour de cassation n’adhère pas à ce raisonnement.
Elle casse et annule l’arrêt de la cour d’appel en toutes ses dispositions en indiquant que :
« En statuant ainsi, alors qu’il n’était pas contesté que les parties s’étaient mariés sous le régime légal suisse de participation aux acquêts, de sorte que, un changement de ce régime matrimonial n’étant pas invoqué, la loi suisse était applicable au litige, l’arrêt a violé le texte susvisé ».
La Cour de cassation indique que la loi suisse est applicable à la liquidation du régime matrimonial des époux. Cette loi trouve son application dès lors que :
- aucune contestation des ex-époux n’a eu lieu sur l’applicabilité de la loi suisse à la liquidation du régime matrimonial;
- aucun changement du régime matrimonial n’est intervenu (le divorce étant prononcé, ce changement n’était plus possible).
Ensuite, la loi suisse est également applicable à l’action en partage complémentaire du régime matrimonial, y compris si ce partage ne concerne qu’un immeuble situé en France.
La Cour d’appel a ainsi, à tort, appliqué les règles du droit français à la liquidation complémentaire du régime matrimonial des ex-époux. Il aurait fallu procéder à la liquidation complémentaire sur le fondement du droit suisse.