Jurisprudences
Méthode de calcul des droits du conjoint survivant bénéficiaire de libéralités
Cass. civ. 1ère, 17 janv. 2024, n° 21-20.520, FB
Liquidation et partage de successions
Enseignement de l'arrêt
- Pour le calcul des droits du conjoint survivant, en application de l’article 758-6 du Code civil, les libéralités qu’il reçoit s’imputent sur ses droits légaux. Si elles sont inférieures à sa vocation légale, il peut réclamer le complément dans la limite de la quotité disponible spéciale (article 758-6 du Code civil).
- Il y a donc imputation des libéralités et non cumul avec les droits légaux. Il convient donc de calculer la valeur totale des libéralités et de comparer le montant ainsi obtenu à la valeur de la propriété du quart des biens calculée selon les modalités prévues à l’article 758-5 du Code civil.
Rappel du contexte légal
La loi du 3 décembre 2001 a modifié les droits du conjoint survivant dans la succession et a fait naître un débat concernant l’articulation entre les droits légaux de ce conjoint survivant et les droits qu’il pourrait recevoir en cas de libéralité entre époux.
Pour certains auteurs, en présence d’enfants uniquement issus du couple, le conjoint aurait pu cumuler ses droits en optant pour l’usufruit de la succession au titre de ses droits légaux ET pour la quotité disponible en toute propriété au titre de sa libéralité (disposition à cause de mort).
Les successions ouvertes entre le 1er juillet 2002 et le 31 décembre 2006
Pour les successions ouvertes du 1er juillet 2002 au 31 décembre 2006, le cumul est possible, sans que le conjoint survivant ne puisse jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité disponible spéciale définie à l’article 1094-1 du Code civil.
Les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007
Cependant, pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007, la loi du 23 juin 2006 a réintroduit une règle d’imputation à l’article 758-6 dans le Code civil, de sorte que le conjoint survivant ne peut plus bénéficier du cumul des droits successoraux prévus aux articles 757, 757-1 et 757-2 du Code civil avec une ou des libéralités consenties en application de l’article 1094 ou de l’article 1094-1 du Code civil.
Ainsi, pour les successions ouvertes depuis le 1er janvier 2007, le conjoint ne peut pas cumuler sa vocation légale avec ses libéralités. Les libéralités qu’il reçoit s’imputent sur ses droits légaux, et si elles sont inférieures à sa vocation légale, il peut réclamer le complément dans la limite de la quotité disponible spéciale (article 758-6 du Code civil).
C’est cette obligation d’appliquer la règle de l’imputation prévue par l’article 758-6 du Code civil que vient rappeler la Cour de cassation dans l’arrêt du 17 janvier 2024.
« Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l’article 1094-1 ».
Apport de l’arrêt
Rappel des faits et de la procédure
Les faits
En l’espèce, en 2010, un défunt laisse pour lui succéder :
- Son épouse,
- Les deux enfants qu’il a eu avec cette dernière,
- Un fils né d’un premier mariage.
Aux termes d’un testament olographe, le de cujus lègue à son épouse :
- La pleine propriété de ses liquidités et valeurs,
- L’usufruit de tous les biens meubles et immeubles qui composeraient sa succession.
Le partage de la succession est opéré en 2020 soit dix ans après le décès, par le notaire.
S’estimant avoir été lésé lors de la liquidation de la succession, le fils né du premier mariage assigne le notaire en responsabilité et indemnisation.
En première instance, les juges du fond constatent le manquement du notaire à son obligation d’information et de conseil à l’égard du fils au motif qu’il ne l’avait pas informé des conséquences de la stricte application des dispositions testamentaires sur le partage.
La procédure
Arrêt d’appel
La cour d’appel retient que les droits successoraux de l’épouse doivent se cumuler avec les libéralités que le défunt lui avait consenties (legs de la pleine propriété des liquidités et valeurs et de l’usufruit de tous les biens meubles et immeubles composant la succession) selon les dispositions de l’article 758-6 du code civil et que, par application combinée des articles 757 et 1094-1 du même code, celle-ci bénéficiait, outre du quart en pleine propriété de la succession, de l’usufruit des trois quarts, au titre de la quotité disponible spéciale au profit du conjoint survivant.
La cour en déduit donc que les droits de l’héritier demandeur dans la succession de son père étaient de la nue-propriété du quart et qu’ayant reçu du partage des droits d’une valeur supérieure, celui-ci ne justifiait d’aucune perte de chance de refuser le partage proposé et de négocier un partage plus avantageux.
Pourvoi en cassation
Pour les successions ouvertes depuis le 1er janvier 2007, la règle applicable étant celle de l’imputation des libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant sur ses droits légaux, le requérant estime qu’en retenant que le conjoint survivant pouvait recevoir, outre la pleine propriété d’une part de la succession de son époux, l’usufruit sur le reste par l’effet d’un testament, alors que le cumul de ces droits légaux et testamentaires dépassait la quotité disponible spéciale et portait atteinte à la réserve, la cour d’appel a violé les articles 757, 758-6, 913 et 1094-1.
La réponse de la Cour de cassation
La Cour de cassation explique que, pour la détermination des droits successoraux du conjoint survivant, les legs consentis à l’épouse survivante devaient d’abord, non pas se cumuler, mais s’imputer en intégralité sur les droits légaux de celle-ci.
Dès lors, la Cour de cassation indique que dans une succession avec legs au conjoint survivant, il y a lieu :
- De calculer la valeur totale des legs (en ajoutant à la valeur des droits légués en propriété celle, convertie en capital, des droits légués en usufruit),
- Et de comparer le montant ainsi obtenu à la valeur de la propriété du quart des biens calculée selon les modalités prévues à l’article 758-5 du Code civil.
« Le calcul du droit en toute propriété du conjoint prévu aux articles 757 et 757-1 sera opéré sur une masse faite de tous les biens existant au décès de son époux auxquels seront réunis fictivement ceux dont il aurait disposé, soit par acte entre vifs, soit par acte testamentaire, au profit de successibles, sans dispense de rapport.
Le conjoint ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le prédécédé n’aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte testamentaire, et sans préjudicier aux droits de réserve ni aux droits de retour. ».
Ainsi, la solution retenue par la Cour de cassation est la suivante : imputation des libéralités et non cumul avec les droits légaux. En effet, en application de l’article 758-6 du Code civil, les droits successoraux du conjoint survivant se déterminent d’abord en imputant en intégralité les libéralités qui lui ont été consenties par le défunt sur les droits qu’il tient des articles 757 et 757-1 du Code civil.
« Les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieure à la quotité définie à l’article 1094-1 ».
« Si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».
« Si, à défaut d’enfants ou de descendants, le défunt laisse ses père et mère, le conjoint survivant recueille la moitié des biens. L’autre moitié est dévolue pour un quart au père et pour un quart à la mère.
Quand le père ou la mère est prédécédé, la part qui lui serait revenue échoit au conjoint survivant. ».
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