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Droit de la famille

Participation aux acquêts : partage de plus-value d’un bien résultant de l’industrie personnelle d’un époux lors du divorce

Cass. civ. 1ère, 13 déc. 2023 n°21-25.554

Divorce – Séparation de corps, Liquidation et partage de régime matrimonial

Enseignement de l'arrêt

La plus-value liée à l’industrie personnelle d’un époux doit être calculée et considérée comme un acquêt net et doit être pris en compte dans le calcul de la créance de participation.

Les principes fondateurs du régime de la participation aux acquêts

L’article 1569 du Code civil défini le régime de la participation aux acquêts :

« Quand les époux ont déclaré se marier sous le régime de la participation aux acquêts, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus depuis par succession ou libéralité et ceux qu’il a acquis pendant le mariage à titre onéreux. Pendant la durée du mariage, ce régime fonctionne comme si les époux étaient mariés sous le régime de la séparation de biens. A la dissolution du régime, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final. Le droit de participer aux acquêts est incessible tant que le régime matrimonial n’est pas dissous. Si la dissolution survient par la mort d’un époux, ses héritiers ont, sur les acquêts nets faits par l’autre, les mêmes droits que leur auteur ».

La reconstitution des patrimoines originaires et finaux des époux

Présentons d’abord simplement le régime matrimonial de la participation aux acquêts.

Durant le mariage la participation aux acquêts fonctionne comme une séparation de biens, chacun dispose de ses biens propres et les gère sans devoir rendre des comptes à l’autre. 

Au jour de la liquidation du régime matrimonial, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l’autre.

En pratique, il convient de reconstituer les patrimoines originaires (au jour du mariage) des époux et leurs patrimoines finaux au jour de la liquidation (article 1574 du Code civil). 

« Les biens existants sont estimés d’après leur état à l’époque de la dissolution du régime matrimonial et d’après leur valeur au jour de la liquidation de celui-ci. Les biens qui ont été aliénés par donations entre vifs, ou en fraude des droits du conjoint, sont estimés d’après leur état au jour de l’aliénation et la valeur qu’ils auraient eue, s’ils avaient été conservés, au jour de la liquidation.

De l’actif ainsi reconstitué, on déduit toutes les dettes qui n’ont pas encore été acquittées, y compris les sommes qui pourraient être dues au conjoint.

La valeur, au jour de l’aliénation, des améliorations qui avaient été apportées pendant le mariage à des biens originaires donnés par un époux sans le consentement de son conjoint avant la dissolution du régime matrimonial doit être ajoutée au patrimoine final. »

Le droit à la moitié de l’enrichissement : la créance de participation

Lorsque les patrimoines, originaires et finaux, ont été reconstitués, il convient de calculer l’enrichissement perçu par chacun des époux durant l’union. Celui des deux qui se sera le moins enrichi aura droit à la moitié de l’enrichissement perçu par l’autre. 

Cette somme est appelée créance de participation

La jurisprudence a dû se prononcer à plusieurs reprises sur les méthodes d’évaluation des actifs constituant les patrimoines originaires et finaux. Dans un arrêt du 13 décembre 2023, la première Chambre civile de la Cour de cassation s’intéresse à la prise en compte de la plus-value d’un bien résultant de l’industrie personnelle d’un époux, c’est-à-dire de son travail personnel. 

La plus-value procurée par l’industrie personnelle d’un époux dans son fonds de commerce

Une pharmacienne et un directeur de laboratoires d’analyses sont mariés sous le régime de la participation aux acquêts. Le contrat de mariage contient une clause très classique stipulant qu’en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès (le divorce dans la majorité des cas), les biens affectés à l’exercice effectif de la profession des époux ainsi que les dettes afférentes à ces biens seront exclus de la liquidation. 

Dans le cadre des opérations de partage, l’époux demande la révocation de plein droit de cette clause. Il sollicite l’intégration des biens susmentionnés dans la liquidation. La Cour de cassation fait droit à sa demande (Cass 1ère civ, 18 décembre 2019 n°18-26.337) et missionne une autre Cour d’appel pour prendre une décision sur le fond. Rappelons en effet que la Cour de cassation ne juge pas le fond du dossier. Elle vérifie la bonne application de la loi dans les décisions de cour d’appel qui lui sont soumises mais ne tranche pas le dossier en lui-même.

La Cour d’appel de renvoi de Grenoble rend son arrêt le 17 novembre 2020. Un conflit survient pour le calcul de la créance de participation, et plus précisément la prise en compte de l’industrie personnelle de l’épouse dans l’exploitation de sa pharmacie. 

La décision des juges du fond : la valeur retenue est identique dans le patrimoine originaire et dans le patrimoine final

La Cour d’appel de renvoi de Grenoble retient pour la pharmacie de l’épouse une valeur identique pour le patrimoine originaire et pour le patrimoine final, considérant que : 

  • Certes dans le régime de la participation aux acquêts les plus-values volontaires liées à des investissements financiers effectués durant le mariage doivent être considérés comme des acquêts, mais que les plus-values liées à l’industrie personnelle d’un époux ne doivent pas être prises en compte, comme dans le régime de la communauté où ces plus-values ne donnent pas droit à récompense ; 
  • En conséquence, pour calculer la valeur de la pharmacie dans le patrimoine final de l’épouse il ne devait pas tenir compte de la plus-value puisque celle était liée à l’industrie personnelle de l’épouse. La valeur de la pharmacie dans le patrimoine final devait donc être identique à celle retenue dans le patrimoine originaire. 

La décision de la Cour de cassation : la prise en compte de la plus-value apportée par l’industrie personnelle de l’épouse pour l’évaluation du fond de commerce dans le patrimoine originaire

La Cour de cassation dans son arrêt du 13 décembre 2023 considère qu’il résulte des dispositions des articles 1571 et suivants du Code civil que, lorsqu’un bien a été amélioré par l’industrie d’un époux, il doit être estimé de la manière suivante : 

  • Dans le patrimoine originaire : dans son état initial,
  • Dans le patrimoine final : selon son état à la date de la dissolution du régime en tenant compte des améliorations apportées, y compris par l’industrie personnelle de l’un des époux. Ainsi la plus-value augmente les acquêts nets de l’époux propriétaire. 

L’épouse pharmacienne a amélioré le bien par son travail entre le jour du mariage et celui de la dissolution. La plus-value doit être considérée comme un acquêt. 

Compte tenu de ce qui précède, la Haute Cour casse et annule la décision de la Cour d’appel de renvoi de Grenoble en date du 17 novembre 2020.