Jurisprudences
PMA post mortem : le refus d’exportation des gamètes ne constitue ni une voie de fait, ni une atteinte au respect du droit de propriété
Cass. civ. 1ère, 15 juin 2022, n°21-17.654
Enfants – Filiation et adoption, Droit international privé de la famille
Enseignement de l'arrêt
- La liberté de procréer n’entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution selon la Cour de Cassation.
- Les gamètes humains ne constituent pas des biens au sens de l’article premier du protocole additionnel numéro 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
- Dès lors que les gamètes humains ne constituent pas des biens au sens de l’article premier du protocole additionnel numéro 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le refus de restitution des gamètes par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris n’est pas une voie de fait.
Le contexte légal de l’exportation de gamètes à des fins de procréation médicalement assistée post mortem
En droit français toute procréation médicalement assistée post mortem est interdite sur le fondement des dispositions de l’article L. 2141-2 alinéa 4 1° du code de la santé publique qui prévoit expressément que : « L’assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à un projet parental. Tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée ont accès à l’assistance médicale à la procréation après les entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l’équipe médicale clinicobiologique pluridisciplinaire effectués selon les modalités prévues à l’article L. 2141-10. Cet accès ne peut faire l’objet d’aucune différence de traitement, notamment au regard du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs. Les deux membres du couple ou la femme non mariée doivent consentir préalablement à l’insémination artificielle ou au transfert des embryons. Lorsqu’il s’agit d’un couple, font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons : 1° Le décès d’un des membres du couple ; 2° L’introduction d’une demande en divorce ; 3° L’introduction d’une demande en séparation de corps ; 4° La signature d’une convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ; 5° La cessation de la communauté de vie ; 6° La révocation par écrit du consentement prévu au troisième alinéa du présent article par l’un ou l’autre des membres du couple auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation. Une étude de suivi est proposée au couple receveur ou à la femme receveuse, qui y consent par écrit. Les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation sont fixées par décret en Conseil d’Etat, pris après avis de l’Agence de la biomédecine. Elles prennent en compte les risques médicaux de la procréation liés à l’âge ainsi que l’intérêt de l’enfant à naître. Lorsqu’un recueil d’ovocytes par ponction a lieu dans le cadre d’une procédure d’assistance médicale à la procréation, il peut être proposé de réaliser dans le même temps une autoconservation ovocytaire. ».
S’agissant de l’exportation des gamètes humains, l’article L. 2141-11-1 du même code prévoit une autorisation spéciale de l’Agence de la biomédecine puisqu’il dispose que : « L’importation et l’exportation de gamètes ou de tissus germinaux issus du corps humain sont soumises à une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine. Elles sont exclusivement destinées à permettre la poursuite d’un projet parental par la voie d’une assistance médicale à la procréation ou la restauration de la fertilité ou d’une fonction hormonale du demandeur, à l’exclusion de toute finalité commerciale. Seul un établissement, un organisme, un groupement de coopération sanitaire ou un laboratoire titulaire de l’autorisation prévue à l’article L. 2142-1 pour exercer une activité biologique d’assistance médicale à la procréation peut obtenir l’autorisation prévue au présent article. Seuls les gamètes et les tissus germinaux recueillis et destinés à être utilisés conformément aux normes de qualité et de sécurité en vigueur, ainsi qu’aux principes mentionnés aux articles L. 1244-3, L. 1244-4, L. 2141-2, L. 2141-3, L. 2141-11 et L. 2141-12 du présent code et aux articles 16 à 16-8 du code civil, peuvent faire l’objet d’une autorisation d’importation ou d’exportation. Toute violation des prescriptions fixées par l’autorisation d’importation ou d’exportation de gamètes ou de tissus germinaux entraîne la suspension ou le retrait de cette autorisation par l’Agence de la biomédecine. »
Par un arrêt du 31 mai 2016, n° 396848, Gonzales Gomez, le Conseil d’Etat, saisi d’une demande d’exportation de gamètes – conservées en France – en vue d’une procréation médicalement assistée post mortem en Espagne, autorise l’exportation. Pour justifier sa décision, le Conseil d’Etat considère qu’à ce cas d’espèce le refus d’exportation des gamètes à des fins de procréation médicalement assistée post mortem constitue une atteinte manifestement excessive au respect du droit à la vie privée et familiale consacrée à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
En réalité, la situation était très spécifique de sorte que cet arrêt constitue une décision d’exception.
Dans les faits, le projet parental des époux était indéniable, à l’annonce du futur décès de Monsieur, de nouvelles tentatives de procréation médicalement assistée ont été tentées en France et en Espagne, l’époux a consenti en Espagne à une insémination post mortem et a même entamé des démarches pour obtenir l’exportation de son vivant (qu’il n’a pas pu poursuivre en raison de son décès) et enfin, l’épouse, de nationalité espagnole, est revenue vivre en Espagne auprès de sa famille au moment de l’arrêt.
C’est donc pour des raisons extrêmement particulières que la Conseil d’Etat a accordé l’exportation considérant au cas d’espèce que l’épouse n’a pas eu l’intention de contourner la loi française.
Il est possible de faire un parallèle de la justification de cet arrêt du Conseil d’Etat avec le concept d’ordre public de proximité connu en droit international privé. En effet, si cette même affaire avait été portée devant la Cour de cassation, le jeu de l’exception d’ordre public de proximité – qui peut se définir comme l’application devant le juge français de règles de droits étrangères autorisant une situation prohibée en France, en raison de la proximité plus forte qui existe entre les protagonistes de la situation et le pays étranger qu’avec la France – aurait pu justifier que l’exportation soit également admise. En effet, le lien de connexité entre cette affaire et l’Espagne est particulièrement fort : l’épouse est de nationalité espagnole, vit désormais en Espagne et la procédure de procréation médicale post mortem a été entamée en Espagne.
Apport de l’arrêt de la première chambre civile du 15 juin 2022, n°21-17.654
L’affaire portée devant la Cour de cassation est différente : un jeune homme décède des suites d’un cancer en 2017 à l’âge de 23 ans après avoir procédé au dépôt de ses gamètes auprès du centre d’étude et de conservation des oeufs et du sperme humain (CECOS) d’un établissement relevant de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
Sa mère saisit le juge des référés du tribunal administratif de Paris qui rejette sa requête tendant à enjoindre à l’administration de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l’exportation des gamètes vers un établissement de santé situé en Israël.
Elle saisit ensuite le juge des référés du Conseil d’Etat qui rejette son recours contre cette décision.
Par suite, cette mère saisit la Cour européenne des droits de l’homme invoquant une violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, disposant que : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Par décision du 12 novembre 2019 (n° 23038/19), la Cour déclare sa requête irrecevable aux motifs, d’une part, que « le sort des gamètes déposés par un individu et la question du respect de sa volonté qu’elles soient mises en œuvre après sa mort concernent le droit d’un individu de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent relève de la catégorie des droits non transférables », d’autre part, que le champ d’application de l’article 8 de la Convention précitée ne comprend pas le droit de fonder une famille et ne saurait englober, en l’état de sa jurisprudence, le droit à une descendance pour des grands-parents.
Le 22 janvier 2020, considérant que le refus de transfert est une voie de fait, la mère assigne l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris devant la juridiction judiciaire aux fins de lui voir enjoindre de lui restituer les gamètes de son fils. En défense, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris soulève une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.
Dans son arrêt du 15 juin 2022, n°21-17.654, la première chambre civile de la Cour de Cassation rappelle la compétence traditionnelle de la juridiction administrative s’agissant des demandes dirigées contre un établissement de santé public, au titre notamment du transfert et de l’exportation de gamètes ou de tissus germinaux.
La Cour ajoute cependant qu’il y a voie de fait de la part de l’administration, justifiant la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire dans une affaire relevant traditionnellement de la juridiction administrative, uniquement lorsque l’administration a :
- soit procédé à l’exécution forcée d’une décision dans des conditions irrégulières portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété,
- soit pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction d’un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative.
Pour rejeter l’argument tiré de la voie de fait, la Cour de cassation juge que des gamètes humains ne constituent pas des biens au sens de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, eu égard à la portée économique et patrimoniale attachée à ce texte – s’appuyant sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 27 août 2015, n° 46470/11, suivant lequel : « En effet, eu égard à la portée économique et patrimoniale qui s’attache à cet article, les embryons humains ne sauraient être réduits à des « biens » au sens de cette disposition » – dont seule la personne peut en disposer et considère également que la liberté de procréer n’entre pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution, selon lequel « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
La première chambre civile retient sur ces éléments l’incompétence du juge judiciaire.
Selon certains auteurs, la motivation retenue par la Cour de cassation est constante et suit celle retenue par le Conseil d’État dans l’arrêt du 31 mai 2016, n° 396848, Gonzales Gomez. Cette décision de la première chambre s’inscrit également dans la lettre de l’article 18, alinéa 2, de la convention d’Oviedo du 4 avril 1997 sur les droits de l’homme et la biomédecine, relatif à la constitution d’embryons humains aux fins de recherche, mais surtout, elle suit l’interprétation stricte donnée par le Conseil constitutionnel de la notion de liberté individuelle de l’article 66 de la Constitution, pour qui le moyen tiré de son atteinte ne vise que les situations de privations de liberté (garde à vue, mesures de rétention et hospitalisation sans consentement).
Également, la Cour de cassation s’aligne sur sa jurisprudence au travers de laquelle, par un arrêt rendu en assemblée plénière, elle a considéré que le droit à la vie n’entrait pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution (Cass., ass. plén. 28 juin 2019, n° 19-17.330).
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