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Procédure

Procédure civile - Invalidité de l’obligation de tentatives de conciliation : arrêt du 22 septembre 2022 du Conseil d’Etat sur l’article 750-1 du code procédure civile et son application dans le temps

CE 22 sept. 2022

Procédure et pratiques professionnelles

Enseignement de l'arrêt

  • L’article 750-1 du code de procédure civile est annulé.
  • Les effets de l’article ne sont pas annulés rétroactivement pour les contentieux engagés avant le 22 septembre 2022.

La réforme du code de procédure civile, par un décret en date du 11 décembre 2019 a créé l’article 750-1 qui sanctionne d’irrecevabilité les demandes en justice qui ne sont pas précédées d’une tentative de conciliation, d’une tentative de procédure participative, ou d’une tentative de médiation pour diverses procédures ainsi que celles dont les demandes sont inférieures à 5.000 euros.

Cet article a été soumis à un contrôle de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel qui ne l’a pas censuré, émettant tout de même certaines réserves relatives au manque de précision de l’article.

Le Conseil national des barreaux ainsi que l’ordre des avocats au barreau de Paris ont saisi le Conseil d’Etat afin d’obtenir l’annulation pour excès de pouvoir du décret instaurant cette réforme.

C’est dans ce contexte que se présente l’arrêt du Conseil d’Etat qui a, dans un premier temps, annulé l’article 750-1 du code de procédure civile avant de déroger au régime de l’annulation des actes administratifs en raison des conséquences manifestement excessives à prévoir sur le fonctionnement de la justice.

L’annulation de l’article 750-1 du code de procédure civile

L’article 750-1 du code de procédure civile disposait : 

« A peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.

Les parties sont dispensées de l’obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :

1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;

2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ;

3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ;

4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;

5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l’article L. 125-1 du code des procédures civiles d’exécution. »

Par une décision rendue le 21 mars 2019, Le Conseil Constitutionnel avait déjà sommé au législateur de préciser le « délai raisonnable » d’indisponibilité du conciliateur de justice au terme duquel le justiciable serait recevable à saisir la juridiction

Les demandeurs se sont, dans un premier temps, fondés sur le principe d’égalité devant la justice arguant que certains justiciables plus aisés pourraient éviter l’irrecevabilité en ayant recours aux médiateurs dont les services sont onéreux, a contrario des conciliateurs de justice, moins disponibles et dont les services sont gratuits. Le Conseil d’Etat considère toutefois ce moyen infondé car les textes n’opéreraient pas littéralement de différence entre les justiciables.

C’est sur le moyen relatif au « délai raisonnable » de l’indisponibilité des conciliateurs de justices que le Conseil d’Etat s’est fondé afin d’annuler l’article 750-1 du code de procédure civile. Il considère que cette imprécision porterait atteinte au droit d’exercer un recours effectif devant une juridiction, garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. 

Les conséquences de l’annulation pour le justiciable

Régime juridique de l’annulation des décrets

L’article 750-1 du Code de procédure civile étant issu d’un décret, il est de source réglementaire et donc soumis au régime juridique des annulations des actes administratifs. Dès lors, l’administration doit opérer une remise en état, comme si l’acte n’avait jamais existé. Ainsi, en principe, l’annulation d’un acte administratif est rétroactive.

La jurisprudence a relevé que l’annulation « entraîne nécessairement certains effets dans le passé, à raison même de ce fait que les actes annulés pour excès de pouvoir sont réputés n’être jamais intervenus » (Rodière, 1925).

Or, l’annulation d’un acte administratif pouvant avoir des conséquences plus larges, le juge administratif s’est permis de de moduler dans le temps les effets de l’annulation des actes administratifs irréguliers (arrêt Association AC !, 2004). Par exception au principe, le juge administratif peut ainsi déroger à l’effet rétroactif de l’annulation si d’une part il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur et d’autre part que cette dérogation entre dans l’intérêt général.

Aménagement des effets de l’annulation de l’article 750-1 du CPC

En l’espèce, le Conseil d’Etat a considéré qu’il y avait lieu, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, de déroger au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses.

Concernant les procédures lancées à partir du 22 septembre 2022, la solution est évidente : l’article 750-1 du code de procédure civile étant annulé dès le jour du prononcé de la décision, les demandeurs ne sont plus tenus de procéder aux tentatives amiables prévues par l’article.

S’agissant des procédures initiées avant le 22 septembre 2022, soumises à l’obligation de recourir à un mode amiable préalable, l’arrêt prévoit que : 

  • l’irrecevabilité est acquise si les juges ont statué avant le 22 septembre 2022, 
  • à l’inverse, les demandes sont recevables même sans tentative amiable préalable lorsque juge statue après cette date.

Application au cas d’espèce

C’est dans cette dernière situation que s’est trouvé un individu ayant interjeté appel d’une décision le 16 juin 2022, demandant l’irrecevabilité de l’action en justice dont il est défendeur sur le fondement de l’article 750-1 du code civil.

L’arrêt d’appel a été prononcé le 15 novembre 2022, soit après l’annulation de l’article 750-1 sur lequel il fonde ses moyens.

Partant, la Cour d’appel de Reims précise que la dérogation à l’effet rétroactif de l’annulation intervient « sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision », soit, sous réserve des instances en cours, pour lesquelles il n’est pas dérogé au principe de la rétroactivité. La Cour décide donc de la recevabilité de la demande.

Analyse d’opportunité

L’opportunité de cette exception à la rétroactivité de l’annulation de l’article est débattu par plusieurs auteurs. 

Pour certains, l’objectif de la procédure civile est d’assurer aux particuliers le respect et la sanction de leurs droits privés. Il apparaît donc curieux que des individus protégés par un article, et qui l’invoquent en défense alors même qu’il est en vigueur, soient dépourvus de toute défense après une telle décision d’annulation.

Pour les autres, il peut sembler cohérent que ces défendeurs ne soient pas en mesure de se fonder sur un article annulé car il porte, justement, une atteinte à un droit garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Toutefois, la doctrine est unanimement optimiste quant à la résurrection de l’article 750-1 du code de procédure civile qui va sans doute être précisé par le législateur. Le recours aux MARD (Modes alternatifs de Règlement des Conflits) va dans le sens de l’histoire judiciaire, portée par le manque de moyens de la justice civile et le désir sociétal légitime de déjudiciariser les rapports sociaux.