Jurisprudences
Procédure civile : procédure d’appel simplifiée ?
Décret n° 2023-1391 du 29 déc. 2023 portant simplification de la procédure d'appel en matière civile
Procédure et pratiques professionnelles
Enseignement de l'arrêt
Apports :
- Allongement des délais pour conclure dans une procédure à bref délai (2 mois) mais aussi pour les procédures devant le CME
- Distinction claire entre la procédure à bref délai et la procédure de mise en état
- Formalisme de la déclaration d’appel plus souple
- Suppression de l’indivisibilité de l’objet du litige en appel, effet dévolutif étendu aux premières conclusions
- Simplification rédactionnelle : plus de renvoi aux règles du TJ
- Simplification rédactionnelle : plus de renvoi aux règles du TJ
Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti avait annoncé durant une conférence de presse le jeudi 5 janvier 2023 et à la commission des lois de l’Assemblée nationale du 10 janvier 2023, que la procédure d’appel était trop contraignante pour les avocats et qu’il fallait revoir les délais afin de les faciliter. C’est avec cette idée principale que le décret du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile est né.
L’enjeu de ce décret est la simplification de la procédure qui s’est exprimé de différentes manières comme l’allongement des délais, des sanctions moins sévères, le remplacement par des injonctions de conclure au lieu de caducités ou d’irrecevabilités.
Le décret entre en vigueur le 1er septembre 2024 et sera applicable aux instances d’appel et aux instances consécutives à un renvoi après cassation introduites à compter de cette date.
Le décret opère des modifications au le titre 6, sous-titre 01, chapitre 01, sous-section 01 à partir de l’article 901 du code de procédure civile.
La simplification de la procédure d’appel par la forme
L’autonomisation de la procédure ordinaire d’appel
L’article 901 du code de procédure civile est rédigé comme suit :
« La déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité :
1° La constitution de l’avocat de l’appelant ;
2° L’indication de la décision attaquée ;
3° L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
Elle est signée par l’avocat constitué. Elle est accompagnée d’une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d’inscription au rôle. »
Et le décret le rédige comme suit :
« La déclaration d’appel, qui peut comporter une annexe, est faite par un acte contenant, à peine de nullité :
« 1° Pour chacun des appelants :
« a) Lorsqu’il s’agit d’une personne physique, ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;
« b) Lorsqu’il s’agit d’une personne morale, sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;
« 2° Pour chacun des intimés, l’indication de ses nom, prénoms et domicile s’il s’agit d’une personne physique ou de sa dénomination et de son siège social s’il s’agit d’une personne morale ;
« 3° La constitution de l’avocat de l’appelant ;
« 4° L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
« 5° L’indication de la décision attaquée ;
« 6° L’objet de l’appel en ce qu’il tend à l’infirmation ou à l’annulation du jugement ;
« 7° Les chefs du dispositif du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est, sans préjudice du premier alinéa de l’article 915-2, limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement.
« Elle est datée et signée par l’avocat constitué. Elle est accompagnée d’une copie de la décision et sa remise au greffe vaut demande d’inscription au rôle. »
La simplification s’opère par l’autonomisation de la procédure d’appel ordinaire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de renvoi aux dispositions du tribunal judiciaire, l’article se suffit à lui seul pour les mentions obligatoires. De plus le décret est beaucoup plus détaillé ce qui rend son application moins contraignante car beaucoup plus claire.
La simplification par le remaniement du code de procédure civile
Au sein du code de procédure civile, la procédure d’appel ordinaire est réunie dans une seule section malgré les différentes voies possibles (procédure à bref délai mais aussi le recours devant le conseiller de la mise en état…), ce qui rend sa compréhension difficile.
Toujours dans l’objectif de simplification, le décret vient clarifier les voies de recours possibles et structure la section 01 afin de faire apparaître différentes sous catégories permettant d’analyser rapidement et efficacement les différentes voies procédurales. Ainsi, au sein de la sous-section 1 « procédure ordinaire », les différentes parties sont intitulés comme suit :
« Premier paragraphe : Déclaration d’appel et la constitution d’avocat
Deuxième paragraphe : Orientation de l’affaire
Troisième paragraphe : Procédure à bref délai
Quatrième paragraphe : Procédure de mise en état
Sous paragraphe 1 : Échange de conclusions
Sous paragraphe 2 : Attributions du conseiller de la mise en état
Sous paragraphe 3 : Clôture de la mise en état et le renvoi à l’audience de plaidoiries
Cinquième paragraphe : Dispositions communes à la procédure à bref délai et à la procédure avec mise en état »
Mieux structurée, la procédure est beaucoup plus compréhensible.
La simplification par le fond
L’allongement des délais
Le décret de 2023 vient opérer un allongement des délais pour la procédure d’appel ordinaire.
Le code de procédure civile énonce actuellement à son article 905-1 que lorsqu’une affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l’appelant a un délai de 10 jours à compter de la réception de l’avis de fixation qui lui est adressé par le greffe pour signifier sa déclaration d’appel à l’intimé.
Le décret allonge le délai à 20 jours.
Art. 906-1 du décret. – Lorsque l’affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l’appelant signifie la déclaration d’appel dans les vingt jours de la réception de l’avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d’appel relevée d’office par le président de la chambre saisie ou le magistrat désigné par le premier président.
« Si l’intimé constitue avocat avant la signification de la déclaration d’appel, il est procédé par voie de notification à son avocat.
« Dans tous les cas, une copie de l’avis de fixation à bref délai est jointe.
« A peine de nullité, l’acte de signification indique à l’intimé que, faute pour lui de constituer avocat dans un délai de quinze jours à compter de celle-ci, il s’expose à ce qu’un arrêt soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire et que, faute de conclure dans le délai mentionné à l’article 906-2, il s’expose à ce que ses conclusions soient déclarées d’office irrecevables.
De même, l’appelant qui disposait d’un délai d’un mois à compter de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe, possède désormais avec le décret, d’un délai de deux mois.
De même pour l’intimé, qui a désormais deux mois pour remettre ses conclusions au greffe à compter de la notification des conclusions de l’appelant. Enfin, l’intervenant forcé à l’instance d’appel dispose aussi d’un délai de deux mois, à compter de la notification de la demande d’intervention formée à son encontre, pour remettre ses conclusions au greffe ( même principe pour l’intervention volontaire).
« Art. 906-2 du décret. – A peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, l’appelant dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe.
« L’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.
« L’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d’un délai de deux mois à compter de la notification de l’appel incident ou de l’appel provoqué à laquelle est jointe une copie de l’avis de fixation pour remettre ses conclusions au greffe.
« L’intervenant forcé à l’instance d’appel dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d’un délai de deux mois à compter de la notification de la demande d’intervention formée à son encontre à laquelle est jointe une copie de l’avis de fixation pour remettre ses conclusions au greffe. L’intervenant volontaire dispose, sous la même sanction, du même délai à compter de son intervention volontaire.
« Sous les sanctions prévues aux premier à quatrième alinéas, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour et sont signifiées aux parties qui n’ont pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l’expiration des délais prévus à ces mêmes alinéas ; cependant, si celles-ci constituent avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat.
« Le président de la chambre saisie ou le magistrat désigné par le premier président peut, à la demande d’une partie ou d’office, allonger ou réduire les délais prévus aux alinéas précédents. Cette décision, prise par mention au dossier, constitue une mesure d’administration judiciaire.
« En cas de force majeure, constituée par une circonstance non imputable au fait de la partie et qui revêt pour elle un caractère insurmontable, le président de la chambre saisie ou le magistrat désigné par le premier président peut, à la demande d’une partie, écarter l’application des sanctions prévues au présent article.
Les nouvelles modalités
Recours à la procédure participative
Le code de procédure civile, dans sa section dédiée à la procédure d’appel, ne mentionne pas de recours amiable préalablement au litige.
Le décret impose au greffe de proposer un règlement amiable du litige au stade de l’appel.
« Art. 905 alinéa 02- Le greffe en avise les avocats constitués. Cet avis contient une invitation à conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état dans les conditions prévues au titre II du livre V et reproduit les premier et troisième alinéa de l’article 915-3. »
Cette modalité peut entraîner une simplification de la procédure car les délais de procédure en appel sont longs et cela peut, in fine, désengorger les juridictions d’appel.
Ainsi il y aura une invitation systématique par le greffe, aux parties, de conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état en appel.
Indivisibilité du litige
Enfin, au sein de la déclaration d’appel existe le principe d’indivisibilité de l’objet du litige (562 alinéas 02 et 901 4° du code de procédure civile) qui prévoit que l’appelant doit notifier expressément les chefs du jugement attaqué qu’il souhaite contester. Sans mentions expresses, le juge ne peut statuer et revenir sur la décision déjà prise en première instance.
Cette obligation pouvait être contraignante, du fait du délai court d’appel, cela pouvait mener rapidement à des oublis.
Ainsi, le décret est venu supprimer ce principe et ajoute à l’article 901 du code de procédure civile la mention suivante « sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ». De ce fait, qu’importe qu’il y ait de mentions expresses ou non, dès lors que l’appelant souhaite l’annulation du jugement, tous les chefs seront visés et non pas, seulement, ceux expressément cités.
Critique
Malgré les modifications qui ont pu être faites, cela paraît insuffisant. Il est vrai que la procédure paraît assouplie avec un formalisme moins exigeant et des délais rallongés. Cependant, il existe toujours un formalisme strict à respecter et la sanction est lourde.
En cas de non-respect des mentions obligatoires ou des délais, la sanction peut être l’irrecevabilité relevée d’office ce qui entraîne un rallongement de l’affaire, mais il y a aussi la caducité qui peut être retenue. Dans ce cas, l’acte litigieux est caduc et cela peut conduire à des cas où l’appelant ne peut plus avoir un recours devant la cour d’appel (si les délais sont dépassés).
Si rallonger les délais permet de faire respecter au mieux le formalisme, cela n’a pas d’intérêt si la sanction reste aussi sévère. Les sanctions auraient pu être allégées, comme prévoir des injonctions en cas de défaut d’une mention obligatoire.
Cet article vous intéresse ? Découvrez aussi les contenus suivants
jurisprudences et lois commentées